"Projet Lawyer Victim Assistance" : quand des avocat·es s’engagent pour mieux répondre aux besoins des victimes
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06 févr. 2024 à 20:11
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Par Anaïs Du Champs pour Les Grenades
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Le projet-pilote Lawyer Victim Assistance (LVA) a récemment vu le jour à Bruxelles. Ce projet se présente comme une initiative novatrice dans la lutte contre les violences sexuelles et intrafamiliales.
Il a été initié en novembre 2023 grâce à une collaboration entre le parquet de Bruxelles, la zone de police Bruxelles-Capitale/Ixelles et l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH). Ils bénéficient également du soutien du ministre de la Justice, Paul Van Tigchelt, et de la Secrétaire d’État à l’Égalité des Genres, Marie-Colline Leroy.
L’objectif principal de ce programme est d’améliorer la disponibilité de l’assistance juridique pour les victimes de violences sexuelles et intrafamiliales tout en les informant de manière plus complète sur leurs droits.
Les chiffres précis manquent sur les violences faites aux femmes en Belgique, mais plus de 4500 cas de violence intrafamiliale ont été dénombrés rien qu’en Région bruxelloise en 2021.
D’après le collectif StopFeminicide, qui répertorie tous les cas de féminicides dans notre pays, le nombre de femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint s’élevait à 26 en 2023. Depuis le début de l’année 2024, on compte déjà au moins deux féminicides. Chaque féminicide est précédé de violences spécifiques, ce sont ces violences que ce projet incite à mieux prendre en compte.
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Comme l’explique Marie-Colline Leroy, secrétaire d’État à l’Égalité des Genres, en ce début d’année : "Chaque victime de violences sexuelles et intrafamiliales est une victime de trop. Le projet 'Lawyer Victim Assistance' s’inscrit pleinement dans la volonté du gouvernement fédéral d’adopter une stratégie coordonnée face aux violences sexuelles et intrafamiliales."
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Une approche novatrice
Le cœur du projet réside dans l’accès plus facile des victimes à une première consultation juridique gratuite. Caroline Poiré, avocate co-fondatrice du projet, souligne que cette approche novatrice permet aux victimes de franchir plus facilement le pas, en éliminant la charge liée à la recherche d’un·e avocat·e.
Une liste d’avocat et d’avocates formé·es à la prise en charge des victimes de violences sexuelles et intrafamiliales constitue l’outil principal du projet. Ces avocat·es auront tous et toutes suivi la formation du programme. Celle-ci est disponible sur le site du barreau de Bruxelles et compte à ce jour 40 avocat·es.
Les victimes peuvent également accéder à la liste par le biais des enquêteurs, des services de police, des centres CPVS ainsi qu’auprès de 18 associations telles que SOS Viol, SOS Inceste, ou l’association Mediante.
Ces derniers et dernières remettent aux victimes une carte sur laquelle se trouve un QR code ramenant vers l’explication détaillée du projet, un numéro de téléphone ainsi qu’une adresse mail pour contacter directement les avocat·es de permanence. Pour bénéficier du projet, la victime ne doit pas obligatoirement résider en Région bruxelloise.
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Formation des avocat·es
Au sein du projet, des formations sont donc prévues pour les avocat·es. La première caractéristique des formations est sa nature multidisciplinaire, comme l’explique l’avocate Pascale Poncin : " Il y a des orateur·rices de tous bords, des avocat·es qui viennent partager leurs expériences dans certaines matières, et qui expliquent les premiers réflexes à avoir lorsqu’on est face à une victime de violences sexuelles et intrafamiliales."
Cette formation a remis en question mon attitude lorsque j’accueille une personne victime de violences sexuelles et intrafamiliales. Je ne pose plus les mêmes questions
Cette diversité d’intervenant·es comprend des psychologues, des infirmières du centre de prise en charge de victimes de violences sexuelles (CPVS), des scientifiques de l’INCC (Institut National de Criminalistique et de Criminologie), ainsi que des associations comme SOS Viols, Praxis ou encore Mediante qui enrichissent la formation d’une variété de perspectives.
La formation aborde d’ailleurs des thématiques qui demeurent encore actuellement assez peu traitées, comme la sensibilisation et la responsabilisation des auteurs de violences conjugales et sexuelles. Un séminaire donné par l’association Praxis clôture les 4 jours de formations donnés aux avocat·es. Avec l’aide de cette conférence, les avocat·es comprennent l’importance pour les auteurs de violences de reconnaitre leurs actes afin de prévenir la récidive.
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Maître Poncin souligne que cette formation se déroule sur base volontaire et qu’à l’issue de celle-ci le choix de s’inscrire sur la liste des permanences juridiques gratuites n’est pas obligatoire. A ce jour on compte près de 100 avocat·es formé·es et 40 d’entre elleux ont accepté de participer au projet-pilote en s’inscrivant sur la liste de permanence afin de donner des consultations juridiques gratuites.
Au-delà des aspects juridiques, la formation LVA vise à sensibiliser les avocat·es et à les amener à adopter des points de vue plus humains et psychologiques. L’avocate Pascale Poncin explique : "Il y a des formations qui traitent du vécu où des victimes viennent expliquer leur parcours, leurs expériences avec la justice et le corps médical." Cette approche holistique permet aux avocat·es et avocates de développer une compréhension approfondie des traumatismes subis par les victimes.
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L’avocate Pascale Poncin souligne le changement que la formation a apporté dans sa pratique : "Pour moi, cette formation a remis en question mon attitude lorsque j’accueille une personne victime de violences sexuelles et intrafamiliales. Je ne pose plus les mêmes questions, je veille à faire attention à ce que la personne souhaite et non pas tout de suite être dans l’idée d’une solution juridique."
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Grâce à la diversité des associations présentées lors de la formation, les avocat·es peuvent rediriger les victimes qui ne souhaitent pas directement entamer une procédure juridique vers d’autres pistes. Maître Poncin explique qu’avoir plusieurs cordes à son arc est un outil précieux car il arrive qu’après un parcours de soutiens thérapeutique ou médical, une victime revienne vers elle et explique se sentir prête à entamer une procédure juridique.
Le parcours des victimes
Lorsqu’une victime décide de porter plainte, généralement en se rendant dans un centre de Prise en charge des victimes de violences sexuelles (CPVS) ou dans un poste de police, elle se voit remettre une carte informative du projet LVA. Cette carte, équipée d’un QR code et d’un numéro de téléphone, représente la première porte d’entrée vers un soutien juridique spécialisé.
Si la victime appelle ce numéro, elle est accueillie par une personne spécialisée qui, dans les 48 heures, lui attribue un·e avocat·e de permanence qui la recontactera. Un agenda a été établi selon lequel 4 à 5 avocats sont de permanence par semaine pour assister les victimes.
Un contact est rapidement établi entre l’avocat·e et la victime, créant ainsi un lien essentiel dans le processus. Cette étape est cruciale pour instaurer la confiance et comprendre les besoins spécifiques de la victime.
Dans les 8 jours après le premier contact, un rendez-vous est fixé entre l’avocat·e et la victime. Ce délai court souligne l’engagement du projet à agir rapidement pour répondre aux préoccupations de la victime.
En fonction des échanges et des souhaits exprimés par la victime, l’avocat·e peut adapter son accompagnement. Les options incluent l’accompagnement lors des auditions, l’initiation d’une procédure judiciaire, ou encore l’orientation de la victime vers d’autres associations spécialisées. La flexibilité de ces options permet d’ajuster le parcours en fonction des choix personnels, des besoins et des désirs de chaque victime.
Un projet aligné avec la loi Stop Féminicides
Le projet LVA s’inscrit dans la logique de la loi Stop Féminicides mis en place en Belgique en juillet 2023, une loi qui vise à mettre en place des dispositifs de prévention et de lutte contre les féminicides, les homicides fondés sur le genre et les violences. Marie-Colline Leroy précise le soutien gouvernemental au projet : "Le gouvernement a soutenu financièrement ce dispositif en ce qui concerne la formation, l’évaluation, ainsi que les outils de communication pour les victimes."
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Bien que le projet Lawyer Victim Assistance soit encore à ses débuts, il représente une avancée significative dans la prise en charge des victimes de violences sexuelles et intrafamiliales en Belgique.
Alors qu’il ne s’agit encore que d’un projet-pilote, il offre, selon les premiers retours, déjà un soutien essentiel aux victimes tout en renforçant la collaboration entre la Justice et les associations. Sur le modèle du projet bruxellois, le gouvernement fédéral envisage de soutenir prochainement des projets similaires en Flandre et en Wallonie.
Une évaluation externe et les enseignements généraux tirés de ce projet-pilote pourront servir de référence aux divers barreaux de Belgique, dont plusieurs ont déjà exprimé leur intérêt pour cette approche.
Si vous ou quelqu’un·e de votre entourage ressentez le besoin de faire appel à l’assistance juridique du projet Lawyer Victim Assistance, contactez le numéro 04 78 11 54 88 ou envoyez un e-mail à LVA@barreaudebruxelles.be
Cet article a été écrit lors d’un stage au sein de la rédaction des Grenades.
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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.
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