EUROPE / MONDE
Au Kenya, huit ans après, la douleur des victimes de viols « post-électoraux »
lundi 15 février 2016 16:51 par Marina Fabre Laisser un commentaire
Kenya Viol HRWElles sont des centaines de Kényanes à avoir subi des viols collectifs à la suite de l’élection présidentielle de 2007. Bilan : isolement, souffrance physique, psychologique, non assistance médicale. Human Rights Watch réclame une aide d’urgence du gouvernement.
« J’ai été violée par cinq hommes – ils me frappaient, écartaient mes jambes. J’ai eu tellement mal. J’ai du mal à contrôler mon urine. J’ai tellement honte. » Comme des centaines de femmes, Njeri N a été la victime des « violences post-électorales » au Kenya.
Tout à commencé le 27 décembre 2007, jour de l’élection présidentielle. Le président sortant Mwai Kibaki, de l’ethnie dominante Kikyhu, est réélu face à Raila Odinga, un Luo. Sur fond de conflits ethniques, le perdant accuse Kibaki de fraude. S’ensuit une période d’extrême violence, des « violences post-électorales » impliquant des agents des forces de sécurité kényanes comme des civils, et des membres de milices. L’ONG Human Rights Watch (HRW), compte 1 133 morts, et estime que plus de 600 000 personnes ont dû se déplacer. Les autorités font état de 900 cas de violences sexuelles, « mais ce chiffre est probablement sous-estimé », affirme HRW.
Njeri N souffre désormais d’une « fistule traumatique », une blessure qui provoque régulièrement des fuites urinaires et d’excréments ; mais pas seulement : maux de dos, jambe douloureuse… Elle se sent « blessée ». Son témoignage et celui de 163 autres femmes et jeunes filles, ainsi que de 9 victimes masculines et de témoins, a permis à HRW de publier un rapport, rendu public lundi 15 février, intitulé : « “J’attends simplement de mourir” : Réparations dues aux victimes des violences sexuelles post-électorales de 2007-2008 au Kenya ».
« Elle a été attaquée à la maison . Elle a été violée par quatre hommes, puis ils ont utilisé les vieilles bouteilles de coca »
« Des hommes ont violé des femmes assez âgées pour être leurs grands-mères, des enfants aussi jeunes que 3 ans, des femmes enceintes, des femmes qui venaient de mettre un enfant au monde, des mères qui donnaient le sein à leurs enfants », assène le rapport. Particularités de ces viols : ils sont dans la plupart des cas collectifs, et « brutaux », relève HRW. « Ces femmes ont raconté avoir été pénétrées avec des armes à feu, des bâtons, des bouteilles et d’autres objets. » Des hommes et des jeunes garçons ont également été violés, ou circoncis, ou encore castrés de force.
Dans certains cas, des membres de la famille, ont assisté au viol de leur fille, femme, mère ou sœur. Kariuki P a retrouvé sa sœur inconsciente :
« Elle a été attaquée à la maison. Elle a été violée par quatre hommes, puis ils ont utilisé les vieilles bouteilles de coca. Nous l’avons trouvée dans son sang et inconsciente. Je me suis évanouie quand je l’ai vue. Les voisins l’ont emmenée à l’hôpital général de Nakuru. Ils ont retiré l’utérus. Elle a maintenant un handicap et ne peut pas marcher correctement. »
D’autres victimes n’ont tout simplement pas pu se rendre dans des hôpitaux. Honte, isolement, pression familiale, rejet, pauvreté… les raisons sont multiples. HRW estime que des centaines de femmes et jeunes filles ont contracté le VIH et d’autres MST suite aux viols. Mais « elles sont trop pauvres pour se déplacer afin d’obtenir un traitement gratuit, ou pour accéder à une alimentation suffisante lorsqu’elles le prennent ».
Pour Agnes Odhiambo, chercheuse senior sur l’Afrique auprès de la division Droits des femmes à Human Rights Watch, « cela a été un choc de découvrir le nombre de survivantes qui sont malades, vivent dans la pauvreté et sont stigmatisées, ignorées, et souvent rejetées au lieu de recevoir de l’aide du gouvernement ».
En outre, parmi les femmes interrogées par l’ONG, 37 femmes sont tombées enceintes après avoir été violées. La majorité ont dû garder le bébé, l’avortement étant illégal et considéré comme immoral au Kenya.
« Les autorités kényanes ont fait preuve d’un manque de volonté à mener une enquête approfondie concernant ces crimes »
Pour l’ONG, c’est clair : « Le gouvernement kényan a échoué à apporter une aide de base et des réparations à ces victimes de viol. » Une commission d’enquête a pourtant été créée, elle devait déboucher sur l’instauration d’un tribunal spécial – qui n’a jamais vu le jour. « Les autorités kényanes ont fait preuve d’un manque de volonté à mener une enquête approfondie concernant ces crimes. Les autorités ont également fait peu de progrès dans l’élaboration d’une politique globale et d’une stratégie pour garantir la justice pour les victimes de violences sexuelles », dénonce HRW.
En mars dernier, le chef de l’Etat Uhuru Kenyatta a proposé la création d’un fonds de 10 milliards de shillings kényans, soit 8,7 millions d’euros, pour les trois prochaines années afin d’établir une « justice réparatrice » pour les victimes. Une annonce en réponse au « directeur des poursuites publiques » qui déclarait que la plupart des auteurs, y compris ceux de violences sexuelles, ne pourraient pas être poursuivis en raison d’un manque de preuves.
Mais pour l’instant, rien de concret n’a été mis en place et rien ne concerne spécifiquement les victimes de viols qui restent condamnées à l’oubli. HRW souligne pourtant l’urgence de la situation, réclamant surtout un accès rapide à l’assistance médicale.
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