Réarmement démographique : "La définition des femmes ne s’arrête pas à leur capacité de reproduction"
Réarmement démographique : "La définition des femmes ne s’arrête pas à leur capacité de reproduction"
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13 févr. 2024 à 12:10
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Temps de lecture6 min
Par Juliette Vandestraete pour Les Grenades
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Le 16 janvier, le Président français Emmanuel Macron a dévoilé lors d’une conférence de presse plusieurs mesures dans le cadre d’un "réarmement démographique".
Ces initiatives émergent dans un contexte où le taux de naissances en France, n’a jamais été aussi bas depuis la Deuxième Guerre mondiale, selon les paroles du chef de l’État.
Parmi les mesures annoncées par Emmanuel Macron, le Président propose le remplacement du "congé parental" par un "congé de naissance" de 6 mois (le congé parental pouvant aller jusqu’à 3 ans) et le lancement d’un vaste plan de lutte contre l’infertilité.
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Des mots qui troublent l’opinion publique
Depuis quelques semaines, ces déclarations agitent l’opposition, les expert·es et le milieu féministe. "Je pense que c’est lunaire d’avoir un président dans un discours hyper réactionnaire, qui finit par nous dire 'réarmement démographique', c’est quoi la suite ? C’est la servante écarlate ? En tant que femme, franchement, ça m’a plongée dans un profond malaise. Je me suis dit, de quoi il se mêle ? Laisse-moi tranquille ! […]" s’exclame Marine Tondelier, Secrétaire nationale du groupe "Les Écologistes" au micro de Sud Radio le 18 janvier dernier.
Les réactions étaient également nombreuses parmi les femmes en attente de la procréation médicalement assistée (PMA), confrontées à des délais persistants.
Ces discours n’ont aucun effet, c’est une simple adresse envoyée aux conservateurs
L’univers de la maternité en Belgique s’indigne
Chez nous aussi, cette expression fait réagir. "On se croirait en période de post-guerre 40-45, où il fallait refaire des jeunes pour refaire la chair à canon", déclare aux Grenades Michèle Warnimont, sage-femme responsable du Cocon (Erasme) qui fait partie de la plateforme citoyenne pour une naissance respectée.
"La position de la plateforme est claire : les femmes sont maîtresses de leur corps et décident de ce qu’elles font. Parler de réarmement démographique, c’est vraiment réduire les femmes à un simple objet utérin. C’est aux femmes de décider et ce ne sont pas des notions démographiques qui doivent influencer les décisions dans le privé. On est instrumentalisé dans des propos pareils et le terme de réarmement n’est pas du tout adéquat. […] C’est mon corps, je décide, et je décide d’avoir un enfant ou pas. Il y a quelque chose de l’ordre du déterminisme des femmes qui n’ont d’intérêt d’existence que dans leur capacité reproductive. […] C’est un discours d’une démagogie affolante."
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Michèle Warnimont souligne également que "le véritable enjeu va au-delà d’une simple baisse de la natalité. Revoir la durée du congé de maternité est une démarche complexe. Si certaines femmes veulent revenir plus tôt au travail, il est impératif d’augmenter les places en crèche. Mais d’un autre côté, prendre des congés de maternité plus longs pose également des défis, notamment dans une société où les femmes cherchent à évoluer professionnellement de manière équitable avec les hommes. Dans notre société de compétition, si on part un an en congé de maternité, à notre retour, il y a vite quelqu’un·e qui s’est glissé·e à notre place."
La sage-femme met également en lumière le manque de soutien financier pour les familles où les deux parents prendraient un congé parental : "Quelles sont les familles qui peuvent se permettre de n’avoir que deux revenus à 60% ? Si les familles n’ont pas les moyens ou qu’elles n’ont pas mis de l’argent de côté, comment peuvent-elles vivre ?"
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Entre crises et évolutions sociales
En Belgique, le taux de natalité est de 1,6 enfant par femme en moyenne. Actuellement, nous sommes dans ce que l’on appelle une période de basse fécondité, en dessous du "seuil de remplacement de générations" qui est de 2,1 enfants en moyenne par femme.
Selon Thierry Eggerickx, docteur en démographie à l’Université catholique de Louvain (UCL) : "Divers facteurs contribuent à la diminution de la natalité en Belgique." Les périodes de crises socio-économiques tendent à influencer négativement la natalité.
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Depuis 2010, la Belgique a fait face à diverses crises, qu’elles soient économiques, liées à la pandémie ou environnementales. Ces situations anxiogènes ne poussent pas les jeunes générations à avoir des enfants.
Toutefois, Thierry Eggerickx souligne que les politiques natalistes déjà mises en place n’ont jamais réussi à produire des résultats durables.
Autour du mot "réarmement démographique"
Dans son entretien avec le média Reporterre, Isabelle Cambourakis, éditrice et fondatrice de la collection féministe "Sorcières", explique que ce discours n’est pas simplement un discours nataliste parmi tant d’autres dans l’histoire. L’éditrice souligne l’utilisation d’une connotation guerrière qui lui est insoutenable, d’autant plus que les conflits se multiplient dans le monde.
C’est aux femmes de décider
Selon elle, le chef d’État français s’érige en chef autoritaire, en autorité paternelle, voulant exercer un contrôle sur la reproduction de la population. Isabelle Cambourakis est claire : "Ces discours n’ont aucun effet, c’est une simple adresse envoyée aux conservateurs. […] Il ne s’agit pas de répondre à un éventuel problème démographique, pour peu qu’il existe, sinon l’État parierait aussi sur l’immigration et intégrerait à 'l’effort' les lesbiennes, les trans et tout ce qui sortirait du modèle hétéro. Le pouvoir défend d’abord une approche identitaire. Son projet, c’est que les femmes blanches fassent des enfants. C’est un discours raciste, impérialiste et autoritaire."
Pour elle, le discours d’Emmanuel Macron rappelle les discours nationalistes du Premier ministre hongrois, Viktor Orban et de l’Italienne Giorgia Meloni ou encore la doctrine conservatrice du président russe Vladimir Poutine qui demande aux femmes russes de ne pas avoir recours à l’avortement invoquant une chute de la natalité.
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La déclaration d’Emmanuel Macron soulève donc de nouveaux enjeux qui touchent directement le bien-être physique et mental des femmes.
La solitude, la charge mentale ou encore les violences gynécologiques, font partie des risques multifactoriels associés aujourd’hui à la maternité chez les femmes.
Au cœur des injonctions maternelles
D’après une étude menée par Vie féminine, la maternité reste un facteur de précarité pour les femmes. L’étude souligne que la pression de faire des enfants est le premier élément qui interfère avec leurs choix. Cette pression exacerbée par des normes procréatives, qui incite à choisir soigneusement les conditions dans lesquelles avoir un enfant. Et cette pression sociale s’intensifie davantage pour les femmes dans des situations de précarité.
En Belgique, dans les couples hétérosexuels, les femmes avec de jeunes enfants consacrent en moyenne 16 heures et 6 minutes par semaine aux soins et à l’éducation des enfants, soit près du double du temps alloué par les pères. Une charge mentale qui continue, voir qui empire même, si les parents décident de se séparer.
Cette charge est amplifiée par divers facteurs, notamment l’isolement maternel croissant, la surcharge d’informations culpabilisantes imposée aux mères ou encore le jugement sévère de la société sur la qualité des soins maternels prodigués aux enfants.
Ces pressions, comme le souligne le rapport, sont profondément ancrées dans le système patriarcal. Le compte Instagram et collectif féministe "Taspenséà" regroupe notamment beaucoup de témoignages de charge mentale.
Les violences gynécologiques et obstétricales
En 2021, la Plateforme des naissances respectée sortait une enquête sur l’accouchement en Belgique francophone. Cette enquête met en lumière des données alarmantes concernant les violences gynécologiques et obstétricales. Les résultats sont sans équivoque : 1 femme sur 5 a subi des actes de violence lors de sa grossesse. Ce chiffre monte à 1 femme sur 3 pour les femmes susceptibles de subir une discrimination liée à leur couleur de peau.
Les témoignages poignants inclus dans le rapport sont éloquents : "Quand ils m’ont recousue, j’ai signalé avoir très mal et on m’a répondu " Occupez-vous de votre bébé, ça vous changera les idées."
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En Belgique toujours, c’est Marie-Hélène Layahe, une juriste, féministe et lanceuse d’alerte qui est devenue une figure dans la lutte contre les violences obstétricales.
Depuis 2013, son blog "Marie accouche là" est devenu une référence, introduisant notamment le terme de "violence obstétricale" dans le monde francophone.
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Cet article a été écrit lors d’un stage au sein de la rédaction des Grenades.
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