Démission de Sarah Schlitz : une prévalence du double standard en politique ?
Démission de Sarah Schlitz : une prévalence du double standard en politique ?
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Par Camille Wernaers pour Les Grenades
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La secrétaire d’État à l’Égalité des Chances, des Genres et à la Diversité Sarah Schlitz (Ecolo) a annoncé sa démission ce mercredi 26 avril. Elle se trouvait depuis plusieurs semaines au cœur d’une polémique concernant l’utilisation de son logo personnel dans des communications publiques d’associations subsidiées par le secrétariat.
Une erreur qu’elle a reconnue au Parlement, ce qui ne s’est pas avéré suffisant, car La DH a révélé l’existence d’un guide qui précise qu’il faut apposer le logo de la secrétaire d’État pour toucher des subsides dans le cadre de l’appel à projets "Tant qu’il le faudra", ce guide aurait été validé par la secrétaire d’État fédérale. Le député N-VA Sander Loones a rebondi sur ces révélations et a accusé la secrétaire d’État d'avoir menti plusieurs fois au Parlement.
"La polémique a pris trop d’ampleur. Elle occupe toute la presse, tout l’espace médiatique. Pour moi, ce qui compte, c’est que les dossiers avancent", a expliqué Sarah Schlitz à la suite de sa démission, estimant qu’elle avait été attaquée par la N-VA pour "le symbole" qu’elle représente.
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"Sarah Schlitz est le symbole des personnes pour qui on travaille, c’est-à-dire de la lutte contre les discriminations, pour le féminisme, contre le racisme, pour les droits LGBT. La N-VA ne partage pas vraiment ce programme", a renchéri son porte-parole, Oliviero Aseglio, qui a rappelé que Sarah Schlitz n’était pas la première femme à démissionner du gouvernement.
Il fait ainsi référence au fait que ces derniers mois, la N-VA s’est attaquée à trois des dix femmes qui composent le gouvernement Vivaldi : Eva De Bleeker, alors secrétaire d’État au Budget (Open VLD), a démissionné en novembre dernier et Ludivine Dedonder (PS) a été ciblée par Théo Francken qui avait par exemple trouvé "peu approprié" qu’elle porte des baskets pour aller travailler (comme le souligne Le Vif).
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Deux poids, deux mesures ?
Certaines analyses concernant cette démission ont mis en évidence le sexisme qui sévit en politique et qui aurait justifié un acharnement contre la secrétaire d’Etat écolo et féministe.
Cette affaire serait-elle alors un exemple du double standard qui pèse sur les femmes dans le monde politique ? "Je pense qu'il s'agit d'un des facteurs qui a pu jouer, mais ce n'est pas le seul", souligne Clémence Deswert, chercheuse au Centre d’Etude de la Vie Politique (CEVIPOL). "II existe effectivement un double standard en politique. Dans cette affaire cependant, d’autres éléments entrent en jeu, comme la lutte entre les partis à l’approche des élections de 2024 et des problèmes internes au sein d‘Ecolo. Cela dit, Sarah Schlitz défendait une certaine vision de la société, et j’ai l’impression qu’il s’agit peut-être aussi pour la N-VA de politiser la question du soi-disant ‘wokisme’ (ou de ce qu’ils estiment être du wokisme), pour le mettre à l’agenda politique en vue des élections qui arrivent", continue-t-elle.
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Comment définir ce double standard ? "C’est l’idée qu’on en attend davantage des femmes politiques. On exige d’elles une certaine forme d’exemplarité. J’ajoute également qu’il y a cette idée qu’elles doivent être actrices de changement et de bonne gouvernance, ce qu’on n’attend pas forcément des hommes politiques. Comme si pour être acceptées dans ce milieu encore masculin, elles doivent être exemplaires et ouvrir le champ à autre chose", analyse Clémence Deswert.
"C’est le principe du deux poids deux mesures", explique quant à elle Marlène Coulomb-Gully, chercheuse française en communication politique qui a travaillé sur la place des femmes dans ce milieu. "Ce double standard se retrouve dans toute la société, et donc également en politique. Je me suis rendu compte de mille façons de la pertinence de ce concept et de sa réalité. Les actions et les paroles des femmes politiques ne sont pas interprétées de la même manière que celles des hommes. Par exemple, quand un homme politique fait quelque chose d’imprévu dans son programme, on va estimer qu’il fait preuve d’initiative. S’il s’agit d’une femme politique, on dira d’elle qu’elle est incontrôlable."
Le travail acharné mené par la N-VA pour obtenir la démission de Sarah Schlitz nous semble s’apparenter davantage à du marchandage politique voire carrément à un backlash contre une femme politique
La compétence est un "sujet central" pour les femmes politiques. " Elles sont plus souvent taxées d’incompétences, précise Marlène Coulomb-Gully. "Il n’y a aucune indulgence à leur égard, ce qui signifie qu’elles jouent gros en cas d’erreur. Pour autant, cela reste difficile à prouver. On va systématiquement rétorquer qu’un homme politique aurait été traité de la même manière. Je constate aussi que les femmes politiques démissionnent plus rapidement, elles s’accrochent moins au pouvoir que les hommes. Ce n'est pas essentialiste de le mettre en exergue. Il s'agit d'une question de socialisation genrée."
Début janvier par exemple, Jacinda Ardern avait démissionné de son poste de Première ministre en Nouvelle Zélande. "Je pars parce qu’un poste aussi privilégié s’accompagne d’une grande responsabilité. La responsabilité de savoir quand vous êtes la bonne personne pour diriger, et aussi quand vous ne l’êtes pas", avait-elle expliqué. En Belgique, la ministre de la Coopération au développement, Meryame Kitir (Vooruit), a quitté la gouvernement pour raison médicale en 2022. Marlène Coulomb-Gully poursuit : "Je pense que certaines femmes politiques n’ont pas envie d’encaisser les violences engendrées par la vie politique. Elles se disent parfois que cela ne vaut pas le coup. Et je suis assez d’accord avec elles…"
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Se jeter dans la gueule du loup
Les femmes politiques sont en effet, comme d’autres femmes qui prennent la parole publiquement, plus souvent la cible de certaines violences : outre le sexisme en politique, elles sont par exemple fréquemment cyberharcelées. Des concepts comme la falaise de verre, qui les concernent, ont été théorisés.
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Opaline Meunier (MR), conseillère communale à Mons, peut également attester de l’existence de ce double standard. "Il y a un double standard qualitatif : la moindre erreur des femmes politiques va être montée en épingle, alors que les hommes politiques bénéficient d’une sorte de solidarité, entre hommes ", observe-t-elle. " Il y a aussi un double standard quantitatif : plus on monte dans les responsabilités, moins on trouve de femmes. Nous sommes un certain nombre de conseillères communales, il y a nettement moins de vice-Première ministres… Plus les femmes atteignent des hautes responsabilités plus va se poser la question de leur mari et de leurs enfants, de leur supposée ‘fragilité’. Il y a aussi certaines matières considérées comme féminines, la petite enfance, la santé, etc., qui vont plus souvent leur être attribuées, à la place de la fiscalité par exemple, ou d’autres compétences régaliennes."
Les personnalités politiques féministes portent un message qui dérange : elles rappellent que l’égalité n’est pas acquise
La femme politique libérale explique par ailleurs s’être "volontairement tenue à l’écart de l’affaire Sarah Schlitz sur les réseaux sociaux", une affaire qui a entrainé de nombreuses réactions en ligne.
"J’ai exprimé mon opinion via des canaux parallèles. Je n’ai pas tweeté à ce sujet. Que je tweete ou non n’aurait rien changé à l’affaire. En revanche, je risquais de subir plusieurs jours de cyberharcèlement. Je me suis donc tue. Mais je n’allais pas spontanément me jeter dans la gueule du loup, précise Opaline Meunier. "C’est une vraie question démocratique et de silenciation des femmes, selon moi. De nombreuses femmes ont quitté Twitter et Facebook à cause des violences qui y règnent. Les statistiques sont claires : les femmes politiques sont plus harcelées par des menaces ou des commentaires sexualisés. Cela m'est déjà arrivé. Être insultée n’est jamais agréable, mais recevoir des menaces de viols 50 fois par jour et apprendre que des internautes recherchent votre adresse, c’est encore autre chose. C’est complètement effrayant". D’autres personnes approchées nous ont également expliqué craindre du cyberharcèlement si elles s’exprimaient dans notre article.
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L’association Garance a partagé sa réponse sur les réseaux sociaux après avoir été directement sollicitée par le député Sander Loones (N-VA), à l’initiative de la motion appelant à la démission de la secrétaire d’État à l’Égalité des Genres.
L’asbl qui défend les droits des minorités et ayant bénéficié de l’appel d’offres qui a entrainé la démission de Sarah Schlitz précise : "L’intensité de notre travail de terrain ne nous laisse de toute façon que peu de temps pour ce type d’exercices, mais le travail acharné mené par la N-VA pour obtenir la démission de Sarah Schlitz nous semble s’apparenter davantage à du marchandage politique voire carrément à un backlash contre une femme politique qu’à une réelle question de transparence".
De son côté, l’association féministe Fem&Law, qui rassemble des juristes et avocates, a publié le 26 avril à la suite de la démission de Sarah Schlitz un texte en soutien "aux féministes qui ont le cran de se lancer en politique". "Dans tous les cénacles et quelle que soit leur orientation partisane, les personnalités politiques féministes se trouvent en plus grande difficulté que leurs collègues […] Pourquoi ? Parce que ces personnalités politiques féministes portent un message qui dérange : elles rappellent que l’égalité n’est pas acquise. Et que le genre est un système de domination", écrivent-elles, ajoutant que cela est encore plus compliqué en période de backlash.
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