18 juin 1940 : ils ont entendu l'appelFanny Stolpner17 Juin 201018 juin 1940, Londres, général, de gaulle, de gaulleREPORTAGE DOSSIERLe Général De Gaulle lors de l'appel du 18 juin.Il paraît qu’il y a un général, à Londres…
Anne Marc, Sables d’Olonne. Le 10 juin, ma mère, ma tante et moi quittions Paris. Nous avons fait une soixantaine de kilomètres à pied dans la foule de l’exode, pris plusieurs trains dont l’un a été mitraillé, et nous sommes arrivées le 15 aux Sables d’Olonne, dans notre maison de vacances où nous pensions être en sécurité. Le discours du Maréchal annonçant l’arrêt des combats a été pour moi un coup de massue, je ne parvenais pas à admettre une telle catastrophe. Le surlendemain, une de mes amies est venue chez nous et nous a dit : « Venez vite à la maison, il parait qu’il y a un général à Londres qui dit qu’il faut continuer à se battre. On doit rediffuser l’émission à 11 heures. » Toute ma famille est allée dans sa maison et c’est donc dans une cuisine, tous serrés autour du poste de TSF que nous avons entendu à la radio anglaise l’appel du 18 juin du Général de Gaulle (dont jusqu’à ce jour nous ignorions le nom). C’était pour moi une bouffée d’air pur, un rayon de soleil, une lueur d’espérance. Quand la radio s’est arrêtée, nous sommes d’abord restés silencieux, puis le père de famille a déclaré : « S’il reste une chance, je suis avec lui ». Il est effectivement devenu un résistant actif et efficace aux Chemins de fer. Mais nous nous posions des questions concernant le Maréchal qui était alors respecté par tous. Les plus optimistes voulaient croire qu’il jouait « le double jeu » et ne désapprouvait pas De Gaulle. L’avenir a montré qu’il n’en était rien. Mais l’appel du 18 juin avait commencé à nous rendre honneur et confiance ; sous une autre forme, la lutte continuait. “ Nous ne le reverrons pas ”
Dominique Paulet, Quimper. Mes parents avaient sept enfants. Au milieu de cette bande, j’étais, à neuf ans en juin 1940, trop jeune pour tout saisir mais j’ai eu conscience d’une atmosphère de désordre qui en un jour tourna au drame. Mon père Édouard était revenu à notre maison de Quimper le 15 juin, après un long voyage d’affaires durant lequel il avait parcouru les routes de la débâcle ; il était catastrophé. Ma mère a raconté dans ses mémoires : « L’angoisse et la douleur de ces jours sont telles que je puis difficilement l’imaginer maintenant. Enfin ce 18, après le dîner, harassée de fatigue, je monte donner à boire à la petite qui a 8 mois. Édouard reste écouter la TSF. Il ne me rejoint que plus tard, me disant : « il y a quelque chose à faire, De Gaulle forme une armée en Angleterre. Il appelle tous les Français qui le peuvent à venir le rejoindre »… Je dors, mais je crois bien qu’Édouard n’a pas dormi ; dès le jour, il prend le téléphone et je l’entends qui demande à Douarnenez si l’on peut partir pour l’Angleterre. Il me dit alors qu’un bateau est prêt, plein de jeunes gens, et que l’on a besoin d’un homme comme lui pour les conduire. » Ma mère ne le retient pas. Dès qu’il a franchi la porte elle explose de désespoir et murmure : « Nous ne le reverrons pas ». Nous pleurons. Mon père est l’un des rares civils d’âge mûr à rejoindre Londres à ce moment. Il effectue les campagnes de la France Libre jusqu’à Bir Hakeim où il est fait prisonnier ; il succombera ensuite lors du torpillage d’un navire de transport italien. Voix éphémère
Alice Sèze, Libourne. J 'étais seule dans le bureau quand j’ai entendu l’appel du général de Gaulle. Je ne me souviens plus si c’était vers midi ou le soir après dîner. Cette voix qui nous rendait l’espoir… J’aurais voulu que d’autres l’entendent… mais j’étais seule et j’ai pensé que le temps que je convie Roger, Mariette et tante Lucy la voix se serait tue. En effet, elle n’a pas parlé longtemps. Mais elle nous avait rendu l’espoir. Après le départ de la flotte anglaise que je m’expliquais mal, et même très mal, je voyais la France envahie et abandonnée.
Journal d’une jeune enseignante
Marie-Louise Garavel. Le 18 juin, ce doit être vers onze heures, je prépare je ne sais quoi dans ma cuisine, en écoutant la radio de Londres. C’est très brouillé et je comprends difficilement : c’est un général français qui parle, qui dit que ce n’est pas fini, qu’il faut que les hommes rejoignent Londres… Je ne comprends pas son nom mais peu importe. Je dévale les deux étages en courant. Il n’y a personne sur la petite place en bas, je file vers celle du marché. Là, quelques maraîchers, des gens qui essaient de se réconforter les uns les autres ou d’avoir des nouvelles (« il paraît qu’il y a beaucoup de prisonniers ? »), et peut-être une quinzaine de soldats, sans armes, mêlés. Je suis timide mais j’en accoste un pour lui dire ce que je viens d’entendre. Il m’envoie balader : « Mais on est foutu, ma pauvre fille, on est foutu… on n’existe plus… » J’essaie auprès d’un autre, qui m’écoute, incrédule mais tout de même intéressé. Il en appelle deux autres et je répète ce que j’ai compris : Londres, l’Empire. « Comment il s’appelle ce général ? – Belot, Delot… Je ne sais pas, mais il parlera sûrement encore. – Oui, mais nous, on n’a pas la radio. » Le petit groupe a grossi mais beaucoup ne voient là qu’une foutaise. Quelques-uns sont perplexes : « Faut voir quand même. C’est vrai qu’on a encore les colonies. – Et de la marine, aussi. – C’est foutu, je te dis… Et puis on a signé l’armistice, il paraît ! » On n’a encore pas vu d’Allemands. On dirait que la vie essaie de reprendre son cours. Hélène est même retournée voir sa sœur et je l’attends. Elle arrive, blême : « Je les ai vus. Ils sont là. – Là ? où ? – A deux kilomètres. Ils faisaient une pause sur la route. – Ils vous ont dit quelque chose ? – Non, rien. Je ne savais pas ce qu’il fallait faire, si j’avais le droit de passer, je suis descendue de mon vélo ; ils ne m’ont pas regardé. Je suis passée à pied et remontée sur mon vélo après. » Et elle éclate en sanglots. Je la comprends. Nous avons à peu près le même âge. Nées de la victoire de 1918, nous nous sentions les enfants libres d’un grand pays vainqueur, héritiers d’une gloire très cher payée… À dix ans, dans le pensionnat où j’apprenais, entre autres, à faire la révérence, nous faisions la ronde en chantant Joffre, Foch et Clemenceau et « Nous avons gagné la guerre, Hein ! crois-tu qu’on les a eus ! » Et maintenant ? Nous avons perdu la gloire, même l’honneur, et jusqu’à notre identité profonde. Qui nous la rendra ? Le vainqueur de Verdun ? L’exilé de Londres ?
Où est la vérité ?
“ Des marins français horrifiés ”
Charlotte Chardin, Paris. Je n’ai pas entendu l’appel. C’est quasi-miraculeux les gens qui l’ont entendu ! Il fallait d’abord savoir
qu’ « il » allait parler, ensuite, avec de la chance, tomber dessus. Les gens étaient très isolés, il n’y avait aucune communication, chose inimaginable aujourd’hui. J’ai ensuite passé un an en zone sud, à Toulon, avec ma mère. J’y suis arrivée début septembre, le jour où une grande cérémonie funèbre était organisée pour les 1 300 marins français tués à Mers el-Kébir (1). J’aime mieux vous dire qu’il ne valait mieux pas évoquer les Anglais, ou De Gaulle ! C’est là, de la bouche des marins français horrifiés, que j’ai appris qu’il y avait eu cet appel. En zone sud, Mers el-Kébir a eu un impact très important sur la population. J’entendais le maréchal Pétain et j’étais vaguement pétainiste au début. Mais le jour de Montoire, où j’ai vu qu’il serrait la main d’Hitler, j’ai dit non, ça ne va plus. Pas question ! À l’époque, la population redoutait que l’Angleterre, désormais seule, ne résiste pas face aux bombardements. On craignait que toute l’Europe devienne nazie. N’aurait-on pas été content, alors, qu’il y ait eu Pétain, Vichy et tout le reste ? C’était la mentalité que l’on pouvait avoir à ce moment-là. En juillet 1941, au moment où j’entrais en salle d’examen pour mon bac, j’ai vu dans les journaux que les Allemands étaient entrés en Russie. Là, je me suis dit « c’est bon, ils sont fichus ! ». Je suis remontée sur Paris en septembre. Entrée en zone nord, j’ai vu des Allemands pour la première fois. Ca a immédiatement changé ma façon de voir les choses et je suis entrée dans des groupes de résistance avec d’autres amis étudiants catholiques. Il y avait là des gens très engagés, nous étions nombreux à offrir nos services. Et à trimballer Témoignage chrétien aussi ! A partir de 1943-1944, on passait TC discrètement, sans se faire remarquer. 1. Le 3 juillet 1940, la marine britannique attaque la flotte française dans le port militaire de Mers el-Kébir (golfe d’Oran, Algérie). Il y eu 1 380 morts. Seul face aux Allemands, le Royaume-Uni craignait que l’armistice, signée par le gouvernement français avec l’Allemagne nazie quelques jours auparavant ne fasse tomber cette flotte, stratégique, dans les mains d’Hitler.
“ Qui était ce De Gaulle inconnu ? ”
Jeanne Lainé, Paris. Nous sortions d’une vision de cauchemar sur les routes où le drame et la mort étaient le lot commun de fugitif désespérés. Encore que nous, hôtes d’un cousin aux armées, étions des « privilégiés », avec la perspective d’un toit pour se détendre. Heureusement, car nous n’aurions pas entendu l’appel du 18 juin ! Donc, arrivés non sans mal à destination, j’étais allée prendre le pouls du village et c’est ce jour-là que j’ai vu arriver deux soldats allemands en side-car, avant-garde de l’armée qui allait occuper presque la totalité du pays. Quel choc pour l’adolescente-patriote que j’étais ! J’étais revenue, désespérée, retrouver ma famille qui attendait on ne sait quel sauveur improbable.
Subitement, un de mes parents s’avise qu’il existait, dans la maison, une vieille radio poussive et que peut-être, elle diffuserait des informations moins catastrophiques que celles entendues partout. L’espoir a la vie dure… A notre stupéfaction, une voix nous atteint : « J’invite, tous ceux qui le peuvent à m’écouter et à me suivre ». Qui était cette voix d’un certain De Gaulle, inconnu qui n’avait que très peu de temps endossé un ministère au cours d’un gouvernement éphémère ? Ce que nous savions, c’est que cette voix venait de Londres, sans autre précision. En silence et les larmes aux yeux
Denise Elie, Entremont. Nous l’avons entendu lors de l’exode, à Combressol, en Corrèze, sur un des deux postes de T.S.F du village que possédaient les vieux amis qui nous avaient chaleureusement accueillies, Maman et moi, venant de Paris. Avec nous, la moitié du village était venu l’entendre, en silence et les larmes aux yeux. Stupéfaits, ne sachant que penser de cet homme, qui, de Londres, appelait les Français à s’unir et à résister à l’envahisseur. Mais en France, c’était le chaos, le désastre le plus complet, les milliers de soldats prisonniers et les réfugiés belges et hollandais – fuyant souvent à pied – devant les armées allemandes. Comment ce général espérait-il réaliser des espoirs et sortir notre pays de tant de malheurs ? Nous avions presque tous un soldat dont nous étions sans nouvelles : le fils de nos amis, notre mari et père. Maman, justement née le 18 juin 1893 pleurait, et moi, cet appel emplissait ma tête avec l’espoir bien mince de le voir se concrétiser un jour. Source : TCSur le même sujet
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