In Chantal-Iris Mukeshimana We Trust, la cyclodanse comme renaissance
In Chantal-Iris Mukeshimana We Trust, la cyclodanse comme renaissance
30 avr. 2022 à 13:04
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7 min
Par Sang-Sang Wu pour Les Grenades
Les Grenades
Societe
DISCRIMINATION
HANDICAP
Dans la série In… We Trust (en français : "Nous croyons en"), Les Grenades vont à la rencontre de femmes arrivées là où personne ne les attendait. Aujourd’hui, nous avons rendez-vous avec Chantal-Iris Mukeshimana, une jeune femme rescapée du génocide rwandais et qui tente de redonner le sourire aux gens grâce à la cyclodanse, la passion de sa vie.
Tout sourire, Chantal-Iris nous ouvre la porte de son petit appartement situé à Louvain-la-Neuve. Par ce bel après-midi d’avril, elle nous propose gentiment un thé et se déplace avec aisance et rapidité dans cette cuisine parfaitement fonctionnelle. "J’ai tout fait mettre à ma hauteur, lorsque je suis arrivée", lance-t-elle en faisant bouillir l’eau pour la boisson chaude.
Née en 1983 et d’origine rwandaise, Chantal-Iris Mukeshimana est paralysée des membres inférieurs depuis ses huit ans, à cause de séquelles de la polio. Alors que le génocide au Rwanda fait rage, elle est hospitalisée à proximité de Kigali. "Quelques semaines après mon entrée à l’hôpital, j’ai été rapatriée en Belgique par les Casques bleus."
Ce sauvetage constitue un épisode douloureux et traumatique pour la fillette d’à peine onze ans qui doit quitter son pays, sa famille, ses repères. "Je ne comprenais pas un mot de français. J’étais perdue, sans famille ni proches. Tout l’hôpital a été évacué, ainsi qu’une partie de l’orphelinat attenant."
Pendant deux ans, elle est hébergée au centre de la Croix-Rouge d’Yvoir, avant d’atterrir dans une famille d’accueil à Salet, un petit village situé non loin de Maredsous. "Durant la semaine, j’étais en internat près de Binche, mais il était très difficile de trouver des écoles accessibles aux personnes handicapées. Dans ma première école, ma professeure me portait sur son dos car il y avait des volées d’escaliers à monter. Il fallait aller loin pour trouver une école adaptée. Ensuite, j’ai suivi une formation en coiffure car je n’avais pas envie d’exercer un métier de secrétaire." Car c’est un des combats de Chantal-Iris : lutter contre l’idée que seuls les emplois administratifs sont accessibles aux personnes en chaise roulante.
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Mais après quelques mois de formation en coiffure, elle est contrainte de jeter l’éponge, la mort dans l’âme : "Je me suis vraiment rendu compte qu’il n’y avait pas de volonté de rendre les fauteuils et tout le mobilier du salon de coiffure accessibles à quelqu’un comme moi".
Malgré les épreuves, la jeune femme ne se décourage à aucun moment. Elle puise dans ses ressources pour trouver la force de continuer à tracer sa route. En souriant, toujours. Et la vie le lui rend bien puisqu’un beau jour, elle est invitée à participer à un défilé de mode adaptée, comme mannequin. "C’est à ce moment-là que j’ai découvert la cyclodanse. C’était la première fois que je voyais une personne valide et une autre non valide danser ensemble. Je n’en croyais pas mes yeux, j’étais complètement émerveillée, je n’imaginais pas que ça pouvait exister !", se souvient la danseuse, visiblement encore très émue.
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"Ce n’est pas possible, je rêve deux fois !"
"La nuit même, j’en ai rêvé ! Je me suis tout de suite projetée dans ce monde. Ce qui me subjuguait, c’est de voir le partage entre les deux danseurs et surtout, le fait qu’ils soient sur le même plan, d’égal à égal. J’ai toujours eu à cœur de casser les stéréotypes que l’on peut avoir sur les personnes en chaise. Que l’on soit valide ou non, on a toutes et tous nos difficultés. Il ne doit pas y avoir de barrière entre nous."
Chantal-Iris semble avoir trouvé sa voie, ce qui la fait vraiment vibrer au plus profond d’elle-même. Mais elle ne sait rien de ces danseurs ni de cette discipline. Alors, elle se contente de rêver. "Et puis un jour, alors que je résidais au Village n°1 (un service d’accueil de jour et d’hébergement réservé à des adultes en situation de handicap, ndlr), j’ai été invitée à assister à un cours de cyclodanse." Et là, à sa grande surprise, elle se rend compte qu’il s’agit précisément du couple qu’elle a vu danser quelque temps plus tôt.
"Je me suis dit : 'Ce n’est pas possible, je rêve deux fois, là'. La personne valide m’a demandé si je voulais essayer et on a tout de suite accroché, c’était comme si on avait toujours fait ça !" Chantal-Iris est si motivée qu’elle n’hésite pas à se rendre à Liège et à Huy pour s’adonner à sa nouvelle passion. Elle suit des stages, fait des démonstrations sur des événements. "J’étais complètement mordue", se souvient-elle.
Ce que j’aime dans ce sport, c’est qu’il est accessible à tout le monde, y compris aux mal voyants
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Requinquée mais sachant qu’il sera compliqué de vivre de la cyclodanse, elle débute une formation pour devenir esthéticienne. "Mais à nouveau, je me suis heurtée à des murs. C’était inaccessible, comme en coiffure. Sauf qu’ici, ça aurait vraiment pu être possible car la prof était prête à mettre des choses en place. En plus, la manucure, c’est facile en chaise roulante. Et pour les massages, on pouvait adapter les tables. Là où ça bloquait, c’était le stage. Quand je suis allée me présenter, la gérante m’a dit "Toi, tu veux te lancer dans l’esthétique ?" J’ai bien compris qu’elle n’avait même pas envie d’essayer de m’inclure dans son salon car la chaise faisait peur et ne donnait pas une bonne image à l’institut. Ça m’a cassée." Chantal-Iris se résigne alors à faire une formation en secrétariat d’accueil. À contrecœur.
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Mais comme la vie est faite de cycles, la chance lui sourit peu de temps après. L’ASBL Escalpade, une école d’enseignement spécialisé et un centre de jour, la sollicite pour animer une semaine de stage de cyclodanse. Pendant quelques années, elle enseigne tous les samedis, avant de voler de ses propres ailes en fondant son ASBL à elle, Cycloceza. Dans la foulée, elle passe son permis, histoire d’être complètement autonome et de pouvoir donner cours partout où elle est demandée.
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Danser et s’envoler
Avec son club, la jeune femme veut transmettre sa passion pour la cyclodanse, une discipline reconnue comme un sport par l’Adeps. "Lorsque je danse, je m’envole, j’oublie que je suis en chaise." À ce moment-là, elle est alors une danseuse comme une autre, ni plus ni moins. Le tango, la salsa ou encore la valse sont autant de possibilités pour les adeptes de la cyclodanse. Il suffit de se laisser emporter par les sons et la musique. Comme une invitation à s’ouvrir à l’altérité, au monde de l’autre, sans jugement ni crainte.
J’ai toujours eu à cœur de casser les stéréotypes que l’on peut avoir sur les personnes en chaise. Que l’on soit valide ou non, on a toutes et tous nos difficultés. Il ne doit pas y avoir de barrière entre nous
"Quand je donne cours à des personnes qui ont des difficultés à ne serait-ce que lever les bras, je vois qu’ils font l’effort d’essayer. Je suis heureuse pour eux car c’est comme si je leur faisais faire leur kiné inconsciemment. Ce que j’aime dans ce sport, c’est qu’il est accessible à tout le monde, y compris aux mal voyants. C’est une véritable thérapie : quand je danse, je n’ai plus mal au dos, c’est un médicament naturel, c’est vraiment génial ! Le message que je veux envoyer, c’est de dire que la personne valide ne doit pas se sentir en train de danser 'pour', mais bien 'avec' la personne en chaise. La complicité est essentielle. Les spectateurs sont fort émus quand ils voient une démo de cyclodanse, je reçois beaucoup de retours très positifs."
Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, Chantal-Iris rencontre peu de temps après celui qui est aujourd’hui le père de son petit garçon de deux ans et demi, Sohan. "J’ai fait la connaissance de mon compagnon via un site internet, après de nombreuses déceptions amoureuses. Je faisais des rencontres facilement, mais j’arrêtais la relation assez vite car beaucoup d’hommes n’assumaient pas d’être avec moi. Il y en a même un qui m’a un jour dit 'Sois déjà contente que je sorte avec toi'. Et là, je lui ai répondu que je n’avais absolument pas besoin de lui !"
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Mais cette fois, tout est différent. La jeune femme le sent. Elle attend la veille de leur premier rendez-vous dans la vraie vie pour lui dire qu’elle est en chaise. Cela surprend Chantal-Iris, mais il ne prend pas peur, au contraire. "Sa fille a un handicap mental donc il y avait déjà été confronté, et il avait même certains réflexes car sa maman est aussi en chaise. Je pense que ça a facilité les choses. On est allés boire un verre, ça s’est bien passé. Il était très attentionné." Depuis, c’est l’amour fou entre eux deux. À tel point que la famille devrait encore s’agrandir dans les mois qui viennent.
Aussi passionnante qu’un roman, la vie de Chantal-Iris a été racontée dans un livre écrit par Louisa de Groot et préfacé par la journaliste Colette Braeckman, spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs. Dans "Relève-toi et danse", elle montre qu’épreuve après épreuve, il est possible de se relever toujours plus forte et pleine d’espoir.
Le témoignage d'Iris
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Le témoignage de Manon
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https://www.rtbf.be/article/in-chantal-iris-mukeshimana-we-trust-la-cyclodanse-comme-renaissance-10984322