Handicap : ils et elles militent pour la légalisation de l'accompagnement sexuel
TÉMOIGNAGES - En France, l'accompagnement sexuel est assimilé à de la prostitution. Accompagnant-es et accompagné-es racontent pourquoi ils et elles militent pour la légalisation de cette pratique.
L'accompagnement sexuel des personnes handicapées est interdit en France.
Crédit : Unsplash/Roman Kraft
Marie Zafimehy
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publié le 17/12/2018 à 15:42
"Je n'ai jamais eu de relations sexuelles avec d'autres femmes que mon épouse, ça va peut-être me coincer un peu..." Depuis la maladie et le décès de sa femme en 2016, Xavier traverse "une longue période d'abstinence". Atteint d'une sclérose en plaques depuis quinze ans, la maladie ne l'a jamais empêché d'avoir une vie sexuelle épanouie. Mais aujourd'hui, elle le handicape davantage alors que le quinquagénaire souhaiterait savoir ce qu'il peut "encore apporter et recevoir".
C'est pourquoi il y a deux mois, Xavier a décidé d'avoir recours à l'accompagnement sexuel, une pratique illégale en France car elle est considérée comme de la prostitution : une personne accompagnante sexuelle est rémunérée par son client ou sa cliente en situation de handicap, pour une séance qui peut aller de la simple découverte sensuelle du corps à une relation sexuelle.
En accord avec la loi de 2016 qui pénalise les clients de prostituées, Xavier est passible d'une amende pouvant aller jusqu'à 1.500 euros. "Je ne considère pas ça comme de la prostitution, c'est presque un acte social et médical", se défend-il. Mais c'est l'Association pour la Promotion de l'Accompagnement Sexuel (APPAS), association à laquelle il a fait appel pour être mis en relation avec une accompagnante, qui risque le plus gros : elle peut être poursuivie pour proxénétisme.
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On est dans l'hypocrisie !
Marcel Nuss, président de l'APPAS Partager la citation
Pourtant, aucune plainte n'a jamais été déposée contre l'association et les formations proposées par l'APPAS sont légales depuis une décision de justice datant de 2015. "On est dans l'hypocrisie !", s'indigne Marcel Nuss, président de l'APPAS. "Cela fait trois ans que l'on travaille ouvertement en proposant de l'accompagnement sexuel, et on n'a jamais eu aucun problème".
Lui-même handicapé, Marcel Nuss milite depuis une dizaine d'années pour la reconnaissance de l'accompagnement sexuel. Pour légitimer son combat, il s'appuie notamment sur la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
Ce texte des Nations Unies, adopté en 2006 et entré en vigueur deux ans plus tard, dispose notamment que les États signataires s'engagent à assurer le droit des personnes handicapées à "se marier" et "fonder une famille". Ce droit demeure entravé par la difficulté pour certaines personnes handicapées à nouer des relations affectives et amoureuses, estime Marcel Nuss, qui a créé l'APPAS en 2015.
Aujourd'hui, il s'agit de la seule association française proposant à la fois une formation d'accompagnant-e sexuel-le, ainsi qu'une mise en relation entre accompagné-e et accompagnant-e.
Car l'accompagnement sexuel reste un tabou en France, même si des formations existent. Certaines sont dispensées par l'association C(h)ose, une organisation qui propose des formations d'accompagnant-e sexuel-le en partenariat avec des organisations originaires de Suisse romande.
"Dans ce pays, l'accompagnement sexuel est légal parce que la prostitution est légale", résume Isabelle Da Costa, administratrice d'APF France handicap qui héberge C(h)ose.
Un engagement militant
Être "prostituée" ne dérange pas Christine P. Cette cinquantenaire originaire de région parisienne est entrée à l'APPAS après avoir lu le livre de Marcel Nuss intitulé Je veux faire l'amour - Handicap, sexualité, liberté (2012), il y a deux ans.
Frappée par le message de la première de couverture, elle l'a tout de suite acheté. "Je me suis dit 'Moi aussi je veux faire l'amour'", raconte-t-elle à RTL Girls. "J'ai lu ce livre avec intérêt. Pour moi, faire l'amour est la seule liberté dont on dispose vraiment. Le seul vrai moment personnel de liberté".
Secrétaire de direction dans une banque, Christine a décidé d'attendre sa retraite en 2016 pour passer la formation de l'APPAS. Aujourd'hui, elle n'hésite pas à dire son occupation à quiconque lui pose la question. Pour autant, elle n'exercerait pas ce métier, s'il n'était pas militant et "bénévole". "Je le fais vraiment pour faire avancer la cause", justifie-t-elle.
Être accompagnante sexuelle m'apporte un enrichissement humain, de la relation humaine
Christine, accompagnante sexuelle depuis deux ans Partager la citation
"Être accompagnante sexuelle m'apporte un enrichissement humain, de la relation humaine. J'ai rencontré des hommes que je n'aurais jamais rencontré si je n'avais jamais fait cela".
Une séance - 150 euros pour 1h30 - peut prendre des formes vraiment différentes selon ce que recherchent les personnes. "Le premier n'avait jamais vu de femme nue et ne s'était jamais mis nu devant une femme", se souvient Christine P.
"Il était content de me voir prendre ma douche. C'était vraiment une découverte du corps", ajoute celle qui a n'accompagne que des hommes, handicapés moteurs. "J'ai fait seulement trois accompagnements qui sont allés au bout de la relation intime", précise-t-elle.
Seulement 10% de demandes de femmes
L'APPAS et APF France Handicap militent aujourd'hui pour faire changer la loi au sujet de l'accompagnement sexuel - l'APPAS a d'ailleurs un texte tout prêt sur son site internet. "Nous avons le même objectif que l'APPAS, mais nous ne sommes pas d'accord sur la manière d'y arriver, nuance Isabelle Da Costa, d'APF France. Plus on fait les choses sous le manteau, moins on peut les accompagner".
Depuis sa création, l'APPAS a reçu près de 1.300 demandes, la grande majorité de la part d'hommes handicapés. "On a pour le moment environ 10% de demandes de femmes", explique Marcel Nuss. "Ce sont pour des raisons culturelles et éducatives, elles n'osent pas trop demander. Et beaucoup ont subi des maltraitances sexuelles."
Avant d'adhérer à l'APPAS, Christine D. n'a eu que des mauvais expériences sur les sites de rencontres. Infirme moteur cérébrale (IMC), elle ne se déplace qu'en fauteuil roulant. "Les hommes ne sont pas du tout sérieux, ils sont très violents verbalement et ils prennent les personnes handicapées pour des animaux", explique-t-elle à RTL Girls. "J'avais besoin de quelqu'un qui soit à l'écoute et de connaître mon corps."
Sa première séance d'accompagnement avec l'APPAS a tout changé. "J'ai été faire un tour chez le coiffeur, j'étais très bien. C'était comme une renaissance." Aujourd'hui, elle a bénéficié de six accompagnements. Mais tout cela reste un secret, même pour son auxiliaire de vie. "Le problème c'est qu'il y a des gens qui se moquent et qui ne comprennent pas. Seul mon meilleur ami est au courant", confie-t-elle.
Xavier, qui a la sclérose en plaques, a confié à ses trois enfants qu'il allait faire appel à une accompagnante sexuelle pour "éviter tout quiproquo". Malgré les réticences, la fratrie a fini par accepter l'idée.
Il faut se réapproprier ce corps qui est différent mais a besoin d’amour
Isabelle Da Costa, APF France Handicap Partager la citation
Selon Isabelle Da Costa, il est question pour elle de "dignité de la personne". "Il faut se réapproprier ce corps qui est différent mais a besoin d'amour comme tous les autres.".
Certaines organisations de personnes handicapées s'opposent pourtant totalement à l'accompagnement sexuel. C'est le cas du Collectif lutte et handicaps pour l'égalité et l'émancipation (CHLEE), composé uniquement de personnes concernées par le handicap. Créé en 2016, ce collectif défend les droits politiques des personnes handicapées et dénonce l'accompagnement sexuel comme moyen de les reléguer à une "sexualité de seconde zone".
C'est ahurissant de considérer qu'il y a besoin de formations pour coucher avec une personne handicapée !
Leny Marques, membre du Collectif Lutte et Handicaps pour l'Égalité et l'Émancipation Partager la citation
"Laisser entendre qu'une personne handicapée doit avoir une sexualité spécialisée, c'est la considérer comme un être étrange et hors de la norme", explique Leny Marques membre du collectif. "C'est ahurissant de considérer qu'il y a besoin de formations pour coucher avec une personne handicapée !" Le CLHEE se bat pour une meilleure représentation des personnes handicapées, et un traitement égalitaire. "L'accompagnement sexuel va à l'inverse de tout cela", résume Leny Marques qui assure que le collectif se battra contre tout projet de légalisation de l'accompagnement sexuel.
Pour le moment, il n'est nullement question de légiférer sur ce sujet", note Marcel Nuss qui a contacté la secrétaire d'État en charge des personnes handicapées et Brigitte Macron, sans réponse. L'association essaie cependant d'obtenir l'attention du défenseur des droits, Jacques Toubon. Un de ses adjoints a téléphoné à Marcel Nuss au printemps dernier, pour discuter d'un "rapport". Contacté par RTL Girls, le service communication du défenseur des droits a confié ne pas être au courant de la préparation d'un tel document.
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