Limitation du crédit-temps : les femmes poussées hors du travail ?
Limitation du crédit-temps : les femmes poussées hors du travail ?
22 oct. 2022 à 15:06
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5 min
Par Camille Wernaers pour Les Grenades
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Mi-octobre, lors de la confection des budgets 2023-2024, le gouvernement De Croo a adopté plusieurs mesures d’économie pour faire face aux multiples crises que nous vivons, dont l’une en particulier fait couler beaucoup d’encre : la limitation du crédit-temps.
A partir du 1er janvier 2023 en effet, la durée maximale du crédit-temps pour soin à un enfant sera réduite de 51 mois à 48 mois. Désormais, ces congés seront également autorisés jusqu’à ce que l’enfant ait 5 ans et non plus 8 ans comme c’était le cas jusqu’ici.
Le système du crédit-temps permet à des travailleuses et des travailleurs du secteur privé de suspendre temporairement leur carrière sans devoir mettre fin à leur contrat de travail pour s’occuper d’un·e enfant, d’un parent malade, d’un·e jeune de moins de 21 ans souffrant d’un handicap ou d’une personne en soins palliatifs.
Le même type de congé existe pour les fonctionnaires : l’interruption de carrière. Ce congé a aussi été raboté : la durée totale d’interruption de carrière passera de 60 mois à 48 mois pour un·e enfant âgé·e de maximum 5 ans.
Est-ce un vœu du gouvernement, à peine déguisé, de voir les femmes reprendre place au foyer ?
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Bertrand Massart – RTBF
Bertrand Massart – RTBF
Un impact genré ?
Selon les chiffres officiels, les femmes sont majoritaires au sein des régimes de crédit-temps, de congé thématique ou de l’interruption de carrière : en avril 2022, il y avait 63% d’allocataires féminines contre 37% d’allocataires masculins.
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Plusieurs associations ont réagi et ont dénoncé l’aspect genré de cette mesure, Vie Féminine par exemple. "Qu’en est-il des parents, et plus particulièrement des femmes, qui depuis trop longtemps galèrent à maintenir un équilibre entre vie privée et vie professionnelle ?", questionne l’association féministe dans une carte blanche. "Qu’en est-il de ces femmes qui superposent différentes casquettes (mère, travailleuse, aidante, taxi, etc.) au détriment de leur santé physique et mentale, au détriment de leurs besoins, de leur carrière et de leur autonomie économique ? Ne sont-elles pas “lâchées” au seuil d’une précarité et d’un isolement croissants ? Et à l’avenir, doivent-elles s’inquiéter de voir disparaître d’autres droits ? Nous savons que le congé parental, lui aussi, a fait l’objet de réflexions visant notamment à limiter ses indemnités."
Pour l’instant, rien ne change pour le congé parental. Il s’agit d’un congé pris pour s’occuper de ses enfants jusqu’à leurs douze ans. L’allocation perçue est faible : 845 euros nets par mois si elle s’effectue à temps plein. Dans le cas du congé parental, la durée d’interruption prévue est moindre puisque chaque parent peut par exemple prétendre à 4 mois à temps plein ou 8 mois à mi-temps.
Bertrand Massart – RTBF
Selon Vie Féminine, la conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle reste difficile pour les femmes, puisqu’elles assument encore majoritairement les responsabilités de soin aux autres, ainsi que la charge mentale qui y est liée. "Et cette difficulté est d’autant plus conséquente pour certains publics, on pense notamment aux femmes en situation de monoparentalité, mais citons également les mères présentant une santé physique et/ou mentale affaiblie, les mères d’enfants en situation de handicap, etc.", précise Vie Féminine.
Ces indemnités ne sont déjà pas suffisantes aujourd’hui, alors comment imaginer les réduire demain !
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Un risque de décrochage du marché du travail
Même son de cloche du côté des associations membres du réseau Solidaris : Liages, Sofélia, Esenca, Latitudes Jeunes et Soralia (le nouveau nom des Femmes Prévoyantes Socialistes). "Les femmes, plus nombreuses à s’investir dans la fonction d’aidante proche, mais aussi dans les tâches familiales, seront les premières touchées par une telle réduction des crédits-temps. Le stress et la charge mentale d’une organisation familiale déjà complexifiée par la maladie n’en seront que décuplés. […] Pour certaines femmes, le risque de décrochage à court et long terme du marché de l’emploi est réel. Est-ce un vœu du gouvernement, à peine déguisé, de voir les femmes reprendre place au foyer ?", s’insurgent les associations dans un texte.
"Cette mesure est présentée comme nécessaire pour faire des économies, mais en a-t-on réellement mesuré les conséquences sur les femmes et les familles ? Selon nous, associations du réseau Solidaris, il s’agit d’un très mauvais calcul ! À réduire ainsi les dispositifs de soutien à la parentalité déjà insuffisants, on pousse les familles vers la défiance et l’exclusion sociale en renforçant le risque de pauvreté !", poursuivent-elles.
Pour Vie Féminine, au contraire, il faudrait augmenter les allocations liées aux congés familiaux et faciliter les conditions d’accès. "Ces indemnités ne sont déjà pas suffisantes aujourd’hui, alors comment imaginer les réduire demain ! […] Il importe également de diminuer l’impact sur les droits sociaux : en effet, les congés familiaux ont notamment un impact direct sur le calcul de la pension. Les femmes, de par leur trajectoire professionnelle plus sinueuse (temps partiels subis, etc.) que celle des hommes, affichent déjà une plus faible pension", précise Vie Féminine.
"Les mesures fédérales doivent unir et non diviser la population en donnant le sentiment qu’on réduit les droits des un·es pour financer ceux des autres, écrivent les associations du groupe Solidaris. Des solutions équitables existent. La justice fiscale en est une. En taxant correctement les particuliers et les entreprises et en luttant plus efficacement contre l’évasion fiscale, l’État pourrait soutenir massivement les politiques sociales actuelles et nouvelles."
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Un contexte compliqué
Cette mesure arrive dans un contexte déjà compliqué pour la place des femmes sur le marché du travail, conséquence de la pandémie de coronavirus. En mars 2022, une enquête commandée par le Parlement européen avait conclu que la pandémie avait eu des conséquences négatives sur les revenus des travailleuses.
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Le 13 octobre, Eurofond, l’agence européenne spécialisée dans les politiques sociales et liées au travail, a publié un rapport qui révèle l’aggravation des tensions pour les femmes entre vie privée et vie professionnelle.
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"La crise du Covid-19 a mis en lumière les disparités entre les sexes au travail et à la maison. Après la pandémie, nous avons la possibilité d’apporter un réel changement en abordant les normes de genre, les comportements et l’innovation politique. Il est crucial que les décideurs politiques […] accordent la priorité aux questions de genre tout en continuant à suivre de près et à évaluer les progrès", déclare Maria Jepsen, directrice adjointe d’Eurofond.
Pour les associations de la société civile, on semble loin d’une prise en compte de l’aspect genré lors de l’adoption de certaines mesures politiques.
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