Où trouver de la sororité ?
Où trouver de la sororité ?
22 oct. 2022 à 14:06
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Par Stéphanie Brumat*, une chronique pour Les Grenades
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"Nous sommes solidaires parce que militantes, pas parce que femmes". Ainsi résume Nadine Plateau sa relation au concept de sororité lors d’un débat organisé par le Festival des Libertés ce lundi 17 octobre avec plusieurs invitées. Cette année, le festival a choisi de porter un regard féministe sur sa thématique annuelle "déchainer les liens ".
Pour Nadine Plateau, féministe de longue date et cofondatrice de la maison des femmes de Bruxelles et de Sophia, le réseau de coordination des études de genre, la sororité est un terme avec lequel elle n’est pas toujours à l’aise tant il est évocateur de lien familial, mais elle nous rappelle aussi que le concept a toujours fait débat au sein des mouvements féministes. "Dans les années 70, il y avait déjà des divergences, mais nous avons privilégié ce qui nous unissait et relégué au deuxième rang les conflits politiques, religieux et autres".
Déjà à l’époque, l’idée de sororité était associée au concept de non-mixité, pratique de se rassembler entre personnes appartenant à un ou plusieurs groupes perçus comme ‘opprimés’ en excluant les individus appartenant au groupe perçu comme ‘dominant’ et caractéristique de certains mouvements féministes, LGBT ou anti-racistes.
"Lorsque nous avons découvert l’émerveillement de l’entre-femmes, nous avons compris que nous avions été dressées les unes contre les autres, et avons découvert que nous avions en commun la lutte contre le patriarcat". Pour Nadine Plateau, la sororité serait un lien social de solidarité qui n’acquerrait son sens que dans un combat féministe.
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La non-mixité comme moyen pour des personnes s’estimant subir des discriminations systémiques de partager des expériences communes est pour Fatma Karali, elle aussi présente au festival, une partie essentielle du collectif Des Mères Veilleuses. Ce dernier est un espace d’échanges et d’entraide entre mères monoparentales qui leur permet de s’exprimer librement dans un endroit qu’elles considèrent sécure.
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De plus, pour Fatma, "être isolées ne nous permet pas de voir les violences systématiques qui nous sont faites […] rassembler les histoires individuelles par un faire commun, par la visibilisation de revendications communes" aboutirait en contrepartie à une solidarité politique entre femmes car "plus on combat le patriarcat, plus il y aura de sororité".
Pour Fatma, la sororité permet non seulement, un échange d’expériences du quotidien, de conseils, d’humour, dans un débat serein mais ce serait grâce à cette sororité que les femmes se sortiraient de situations difficiles dans des contextes où l’État est défaillant.
Nous avons compris que nous avions été dressées les unes contre les autres
C’est bien ce qu’a vécu Cécile Kakozi, aide-soignante habitant en Belgique depuis 2014, pour qui la sororité a pris une forme très concrète dans l’aide que lui a apporté son amie migrante pour payer le crédit téléphonique dont elle avait besoin afin d’appeler son avocat pendant ses 4,5 mois d’enfermement en centre d’accueil lors de sa procédure de demande d’asile.
"Parfois on ne parlait pas la même langue, on n’avait pas les mêmes origines, mais on se soutenait", raconte-t-elle. Lorsque Cécile Kakozi est relâchée, toujours sans papiers, elle tombe enceinte et est dans la foulée abandonnée par le père de sa fille. "Tu fais ce que tu peux pour t’en sortir. J’ai fui la guerre chez moi, ici aussi c’est une autre guerre, silencieuse." Cette fois, c’est encore son amie qui lui vient en aide pour garder sa fille lorsqu’elle décide de suivre une formation d’aide-soignante, métier qu’elle exerçait dans son pays.
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"La véritable solidarité politique, c’est apprendre à lutter contre des oppressions qu’on ne subit pas soi-même". Cette phrase de bell hooks pourrait être l’adage d’Adriana Costa Santos, qui, arrivée à Bruxelles lors de la crise de l’accueil de 2015 devient coordinatrice et co-présidente de la plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés.
Son engagement auprès des migrant·es l’amène à une conscience politique plus aiguisée et confrontée aux violences spécifiques vécues par les femmes migrantes, Adriana Costa Santos co-crée Sister’s House, un centre d’hébergement dédiées aux femmes migrantes et organisé exclusivement par des femmes. "La non-mixité s’y est imposée pour créer un sentiment de sécurité et un lien de confiance avec ces femmes. Mais même parmi celles qui s’engagent, on n’est pas exempte de relations de domination et la sororité nait de ce décentrement et du fait de laisser la place à celles qu’on essaie d’aider", souligne-t-elle.
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C’est précisément argument de la reproduction de rapports de domination au sein même des groupes non-mixtes qu’invoquent les détracteurs accusant la non-mixité de recréer une inégalité entre individus, sous couvert de la supprimer.
Adriana Costa Santos en est bien consciente et s’évertue dans ses actions à "créer une place ‘pour’plutôt que d’effacer les différences de statut. La sororité se construit dans l’intime, et pour nous, la non-mixité choisie s’est imposée en tant qu’outil de protection pour les femmes ayant subi des violences". Pour Adriana Costa Santos, allier la volonté de créer un espace de rencontre et de "laisser exister le spécifique" à certains moments en se retrouvant en non-mixité permettrait d’enrichir, d’apporter une finesse d’analyse aux personnes concernées.
Parfois on ne parlait pas la même langue, on n’avait pas les mêmes origines, mais on se soutenait
Pour Nadine Plateau, il est important de combattre l’accusation des détracteurs de la non-mixité qui la qualifie de discriminatoire et essentiel de respecter le besoin de non-mixité pour "élaborer des savoirs et acquérir de la force nécessaire pour se défendre dans la société".
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Une notion riche et fertile
Peut-être ce qu’il faut retenir du débat est la notion que la sororité conflictuelle ou sororité dans le conflit n’est pas contradictoire, bien au contraire, elle serait riche et fertile.
Nadine Plateau avance l’idée, reprenant la définition du féminisme de Françoise Collin selon laquelle le féminisme devrait être "un espace politique où les personnes diverses s’affrontent sans remettre en question l’objectif fondamental du féminisme, au sein des conflits multiples, on peut négocier et se mettre d’accord". Mais ce qui manquerait serait précisément l’espace où se rencontrer dans un minimum de respect mutuel, de débat apaisé où "essayer de voir pourquoi on n’est pas d’accord. Afin de faire bouger les choses."
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Nadine Plateau choisit de voir comme une richesse le paysage féministe actuel qu’elle qualifie de pluriel et fragmenté et conclut "Féminisme des marges ou féminisme mainstream, tout est bon, tout fait avancer la cause."
"Aucune de nous n’est détentrice de la vérité, mais chacune peut, à partir de sa position et de sa compétence, exercer sa vigilance et son action dans le domaine qui lui est propre, tout en restant attentive aux initiatives des autres et en soutenant activement certaines démarches plus globales", nous dit d’ailleurs Françoise Collin. Une belle façon de continuer ce débat !
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*Stéphanie Brumat est une réalisatrice italo-vénézuélienne formée à la Tisch School of the Arts de la New York University et à la Vancouver Film School. Ancienne productrice à la BBC Television, elle est réalisatrice indépendante en Belgique depuis 2017.
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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.
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