Le jeu vidéo tourne mâle
Tombée dans le bain du jeu vidéo dès son plus jeune âge, féministe militante, l’iconoclaste Mar_Lard veut chambouler les mentalités dans un milieu qui n’aime guère les remous.
Photos : Bruno Fert / Picturetank
Pour aller plus loin
Le collectif des Féministes en mouvements vous donne rendez-vous les 6 et 7 juillet pour leurs rencontres d'été. Des centaines de participant(e)s, des plénières, une trentaine d'ateliers-débat, un village associatif, une librairie : ces deux journées d’échanges, de débats, de formations et de détente ont vocation à tracer des perspectives féministes pour la rentrée 2013 et les mois qui suivront. Voir le programme et les inscriptions.
Le débat sur le thème « Les jeux vidéos ont-ils un genre ? » du Centre Centre Hubertine Auclert organisé le 19 juin, auquel a participé Mar_Lard, sera bientôt disponible en vidéo. Pour le revoir et connaître la date du prochain atelier du centre francilien de ressources femmes-hommes intitulé « L’open-data au service du féminisme », rendez-vous sur www.centre-hubertine-auclert.fr.
Mar_Lard, "gameuse" et militante féministe
Mar_Lard, "gameuse" et militante féministe
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04 juil. 2013
Xavier Frison
« Le féminisme, c’est un des meilleurs aimants à merde qui existe. » Celle que nous appellerons Mar_Lard n’a pas l’intention de jouer les super-héros. Ni le héraut d’une revendication qu’elle se retrouve à porter, un peu malgré elle, dans le milieu hypermachiste du jeu vidéo. Depuis ses 7 ans, Mar_Lard est « gameuse ». La joueuse, compulsive, comme tout amateur de pixels animés qui se respecte, en a aujourd’hui 22. A vécu plusieurs vies qui l’ont menée en Allemagne, à Londres ou au Japon. En passant par l’Irlande, seule, à 14 ans, après avoir constaté son incapacité à suivre une scolarité classique dès les premiers jours de sa seconde, à Nancy. Alors, Mar_Lard apprend beaucoup par elle-même. Grâce à Internet, où l’on trouve tous les cours en ligne possibles. Encore faut-il potasser. Mar_Lard bosse et « par défi », décroche Sciences-Po Paris, en 2008, à 17 ans. Avec ses t-shirts à l’effigie de personnages de jeux, son look de geek et sa singulière passion, elle y devient vite « le mouton noir ».
Les billets de la colère
Simple avant-goût avant la déferlante provoquée par deux billets publiés sur le blog d’une amie, parce qu’elle ne voulait pas ouvrir un site à elle « pour si peu ». Dans la torpeur du mois d’août 2012, quand même les aficionados de la manette sont censés prendre le soleil, Mar_Lard tire à boulet rouge sur le magazine Joystick et son dossier spécial Tomb Raider.
Le journaliste y partage sa jouissance misogyne avec le lecteur, trop heureux de voir la célèbre héroïne, « qu’il faut remettre à sa place, quitte à l’humilier et à la souiller sans aucun ménagement », malmenée dans le scénario du dernier épisode. Le billet de Mar_Lard dénonçant le « sexisme geek » déclenche un tombereau d’insultes en ligne à l’encontre de l’auteure sur l’air du « on était bien tranquilles, qu’est-ce que les féministes viennent nous chercher des poux ? »
Six mois plus tard, Mar_Lard décide de lâcher ce qu’elle a sur le cœur. Cette adepte de Virginie Despentes et Christine Delphy met en ligne un pavé de 150.000 signes. Étayé de vidéos, captures d’écrans, extraits d’articles ou tweets, le texte démontre combien la communauté du jeu vidéo « est malade » et propose des pistes pour y remédier. Malgré les messages de soutien et la prise de conscience de certains gamers, c’en est trop pour une bonne partie de la « communauté » qui mène une abjecte et massive campagne de dézingage en ligne. Insultes, grasses railleries, menaces, tout y passe, jusqu’à l’appel au viol.
Entre lassitude et devoir
Fatiguée de tant de haine, Mar_Lard décide de tout arrêter, fin juin. Les forums, Twitter, les mails, la polémique. Notre rencontre sera la dernière avec un média pour l’été. « Tout cela a pris une ampleur démesurée dans ma vie et, en parallèle, suscité des attentes, explique la jeune femme aux longs cheveux bruns dans un débit accéléré. Dès qu’il y a un problème de sexisme dans le monde du jeu vidéo, on s’adresse à moi maintenant. Or je ne veux pas devenir l’AFP du féminisme. » Malgré tout, Mar_Lard tient à « changer les mentalités ». Et puis, « si je ne le fais pas, qui le fait ? »
En attendant de savoir quoi faire de cette charge inattendue, Mar_Lard se concentre sur son stage aux Éditions volumiques, un éditeur de jeux vidéo primé lors du dernier festival de l’innovation numérique d’Île-de-France, Futur en Seine. Son patron, Étienne Mineur, a vécu depuis les locaux de Malakoff (92) le gros temps traversé par sa stagiaire et la soutient « à 100% ». « Il y a toujours des énervés, regrette le chef d’entreprise, mais je note qu’au dernier salon E3 de Los Angeles [le plus grand salon mondial dédié au jeu vidéo], en juin, le vocabulaire des intervenants et de la presse a changé, notamment au sujet des hôtesses. Mar_Lard a eu un rôle là-dedans. »
Celle qui est décrite comme n’ayant « peur de rien » par son tuteur de stage espère créer dans le futur « un ou deux jeux qui changeraient l’industrie ». Dans son appartement parisien, la gameuse féministe trime déjà sur son premier opus au contenu encore top secret. Tout juste sait-on qu’aucune fille en maillot de bain ne figure au casting.
Tags Futur en Seine Égalité femmes-hommes Lutte contre les discriminations Lien social