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La loi pour réhabiliter les personnes condamnées pour homosexualité examinée début mars à l'Assemblée

8 Février 2024, 04:44am

Publié par hugo 🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️

 La loi pour réhabiliter les personnes condamnées pour homosexualité examinée début mars à l'Assemblée
Publié le 7 février 2024 à 14 h 46 min
L'Assemblée va examiner début mars une loi mémorielle déjà adoptée au Sénat, visant à offrir réparation aux personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982.
assemblée nationale france Petr Kovalenkov -2L'Assemblée nationale, à Paris - Petr Kovalenkov / Shutterstock
L’Assemblée va examiner début mars une loi mémorielle déjà adoptée au Sénat, visant à offrir réparation aux personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982.

La proposition de loi du socialiste Hussein Bourgi a été approuvée le 22 novembre à la Chambre haute. Elle a ouvert la voie à la reconnaissance de milliers de victimes d’anciennes lois discriminatoires, refusant néanmoins de leur accorder une réparation financière comme le prévoyait la version initiale.

Elle sera examinée au cours de la semaine du 4 mars à l’Assemblée, dévolue aux textes d’initiative parlementaire avec une partie réservée aux textes transpartisans, a-t-il été décidé mardi 6 février lors de la conférence des présidents de la chambre basse.

Autre texte au programme, la proposition de loi visant à renforcer la réponse pénale contre les infractions à caractère raciste ou antisémite, des députés Renaissance Mathieu Lefèvre et Caroline Yadan.

Cette proposition de loi vise à combler un « vide juridique » et à permettre l’emprisonnement immédiat des personnes condamnées pour contestation de crimes contre l’humanité ou apologie de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre.

Le second des deux articles du texte prévoit de son côté de « transformer en délit les contraventions actuellement prévues en matière de provocation non publique à la discrimination et d’injure et de diffamation non publique à caractère raciste et antisémite ».

Une proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logement, qui n’a pu être examinée la semaine dernière, sera de nouveau inscrite à l’ordre du jour.

En revanche, aucune majorité ne s’est dégagée en conférence des présidents pour inscrire à l’ordre du jour une proposition de loi portée par le député Renaissance Gilles Le Gendre et la socialiste Cécile Untermaier, qui vise à mieux encadrer l’activité des lobbys, et qui bénéficie pourtant du soutien du président Renaissance de la commission des Lois Sacha Houlié.

“La majorité s’est abstenue en disant que le texte n’était pas prêt”, a rapporté Mme Untermaier, regrettant cette décision et promettant de repartir au combat sur le sujet.

La Rédaction avec l'AFP
La Rédaction avec l'AFP
AFP

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https://www.komitid.fr/2024/02/07/une-loi-pour-rehabiliter-les-personnes-condamnees-pour-homosexualite-bientot-a-lassemblee/

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"Un vote historique" : les députés adoptent l'inscription de l'IVG dans la Constitution

31 Janvier 2024, 23:36pm

Publié par hugo 🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️

 "Un vote historique" : les députés adoptent l'inscription de l'IVG dans la Constitution
Mis à jour le 31 Janvier 2024 - 15h31
|
Publié le 31 Janvier 2024 - 15h31
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Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.

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A raison de 493 voix pour, et 30 voix contre, le texte en faveur de l'inscription de l'IVG de la Constitution vient d'être validé à l'Assemblée nationale. C'est une étape majeure de franchie.
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Ca y est ! A la grande question, 'Le droit à l'avortement doit-il figurer dans la Constitution ?', l'Assemblée nationale a rétorqué : OUI. A raison de 493 voix pour, et 30 voix contre, le texte en faveur de l'inscription de l'IVG de la Constitution vient d'être validé par les députés.

C'est une étape majeure de franchie. Le 1er février 2023, le Sénat votait pour l'inscription dans la Constitution de la "liberté de la femme" de recourir à l'IVG, vote positif avec 166 voix contre 152. Depuis, le texte a fait l'objet d'une présentation auprès du Conseil des ministres. Pour que le passage de texte soit effectif, il exige une approbation majoritaire de l'assemblée... et du Sénat.


Pour les élus de l'Assemblée nationale, c'est fait. Le texte qui "détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à l'avortement" a semble-t-il fait l'unanimité, notamment au sein des élus de gauche qui ont approuvé la chose avec un grand consensus.

Et maintenant ?

Le Sénat : un obstacle ?
A l'aube de février, tous les regards se tournent désormais vers le Sénat. Sachant que l'on connaît l'opinion de son président : Gérard Larcher. Ce dernier s'était ouvertement opposé au projet de loi constitutionnelle, assurant par ailleurs : "je ne pense pas que l'interruption volontaire de grossesse soit menacée dans notre pays".


Une prise de parole largement commentée par les militantes féministes. Comme la présidente nationale du Planning Familial, Sarah Durocher. "J'invite monsieur Larcher à écouter les femmes sur leurs parcours concernant l'avortement !", avait-elle soutenu à Télématin. "C'est un parcours très compliqué pour toutes ces femmes, et qui ne va pas en s'arrangeant. Monsieur Larcher doit écouter ces femmes car il y a des inquiétudes !"

"En tant qu'association féministe, depuis des années sur le terrain, on se dit que ce serait historique de voir le droit à l'avortement figurer dans la Constitution. Le droit à l'avortement est toujours une bataille !"

"Quand l'extrême droite arrive au pouvoir, en Italie, en Hongrie, en Pologne, l'une des attaques concerne toujours le droit à l'avortement. C'est pour cela qu'il faut l'inscrire en tant que droit fondamental"

Gérard Larcher cependant n'est pas le seul à s'opposer à ce texte. Tel que le rappelle Madmoizelle, c'est le 28 février que le texte sera examiné à la chambre haute du Parlement français, "dominée par la droite et le centre, où la formulation de " liberté garantie " fait bien moins consensus auprès des sénateurs". En outre, il faut également préciser qu'un examen supplémentaire du texte est attendu au Congrès.

La bataille n'est donc pas encore achevée... Et le Planning Familial de commenter : "L'IVG dans la constitution vient d'être adoptée à l'Assemblée nationale. Un vote historique, une bataille historique des féministes ! Sénatrices, sénateurs, on compte sur vous maintenant !"
https://www.terrafemina.com/article/ivg-les-deputes-adoptent-largement-l-inscription-de-l-ivg-dans-la-constitution_a370519/1

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LA DÉPORTATION DES HOMOSEXUELS

30 Novembre 2023, 20:34pm

Publié par hugo 🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️

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LA DÉPORTATION DES HOMOSEXUELS
La déportation des homosexuels – Jean le BITOUX et Emile TEMIME 9 avril 1994

Conférence-débat du 9 Avril 1994
Auditorium du Musée d’Histoire (Marseille)
Jean Le BITOUX, journaliste, écrivain
et Emile TEMIME, historien
Association Mémoire des Sexualités
(en collaboration avec le Collectif Gai et Lesbien Marseille-Provence)
Transcription : Anne Guérin – mise en page : Pascal Janvier

La DEPORTATION DES HOMOSEXUELS

INTRODUCTION
La déportation des juifs pendant la guerre de 1939-1945 a été massive et odieuse. On oublie souvent que la déportation a touché aussi de nombreuses autres minorités : tziganes, opposants politiques et religieux, handicapés et malades mentaux, prostituées, mais aussi des homosexuels. 10 000 à 20 000 homosexuels ont été déportés par les nazis, et le régime de Vichy a, là comme ailleurs, prêté mainforte à l’exode et au massacre.
Pierre Seel, l’un des rares survivants a voulu s’exprimer, après avoir longtemps cherché à oublier. Dans un livre à deux voix, avec Jean Le Bitoux, il raconte son histoire. Emile Temime qui connaît bien cette période, nous aidera à resituer le contexte de toutes ces  déportations.
Jean Le Bitoux : En juin 1940, les Allemands envahissent la France après une guerre éclair, contournent les Ardennes et se
précipitent sur l’Alsace-Lorraine, région qu’ils estiment leur appartenir. La région se trouve immédiatement sous un régime d’extrême vigilance et d’extrême répression. La résistance s’organise, mais l’Alsace-Lorraine « normalisée » est annexée au Grand Reich. Arrestations et déportations commencent
aussitôt. Il y a en Alsace-Lorraine plus de résistance et d’incarcérations que dans toute autre région de France. Des réseaux de filature et/ou de renseignement, sont mis en place. Il faut dénoncer à tout prix ceux qui sont allergiques à l’ordre nazi. Des listes de juifs et d’homosexuels sortent des tiroirs et sont remis aux Allemands.
C’est une très vieille habitude policière que de ficher, dans chaque ville, les gens qui ne sont pas comme les autres. Des témoignages fiables nous permettent d’affirmer que ces fichiers furent patiemment élaborés par la police française pendant les années qui précédèrent l’invasion. Un scandale de mœurs avait éclaté en 1934-35. Le procès n’eut jamais lieu mais il fournit à la police un prétexte pour convoquer des dizaines d’homosexuels et les interroger : « êtes-vous au courant de ce scandale ? En avez-vous fait partie ? Connaissez-vous des homosexuels ? Avez-vous un carnet d’adresses ? Donneznous
la liste des homosexuels qui y figurent ». D’un côté, il y eut une volonté de surveiller et punir, mais d’un autre côté il y eut des homosexuels voulant prouver leur innocence dans cette affaire de moeurs. Des noms furent donc livrés, en toute innocence (des membres de la famille, des voisins, des connaissances……)
Les Allemands eurent ainsi à connaître des homosexuels alsaciens et lorrains mais aussi des noms de personnages hauts placés – ecclésiastiques, par exemple – auprès desquels ils pourraient exercer un chantage discret, qu’ils pourraient surveiller davantage et qui deviendraient donc, pour des actes relevant de la vie privée, la proie de l’occupant. Toutes ces personnes devaient constituer un fichier assez important, qui devait être utilisé lors des premières rafles, en 1940/1941.

En mai 41, le jeune Pierre Seel est convoqué par la Gestapo et dès le lendemain il est introduit dans ses locaux et torturé.
Pourquoi son nom figurait-il dans le fichier des homosexuels de Mulhouse ? C’est très simple. Plusieurs années auparavant, à 17 ans, il draguait un peu dans les squares de Mulhouse. Entre le lycée et la maison familiale se trouvait un square qu’il
aimait bien. Et où, un jour, on lui vola sa montre. Indigné, il alla au commissariat se plaindre du vol. Le policier lui demanda
ce qu’il faisait à une heure très tardive dans ce square connu comme étant un square homosexuel. Le policier le réprimande,
archive sa plainte et – Pierre s’en apercevra par la suite – inscrit son nom dans le fameux fichier parfaitement illégal. Lorsque
Pierre se trouvera face à ses tortionnaires, on lui ressortira ce procès-verbal vieux de trois ans. Contrairement à d’autres
homosexuels, qui furent expulsés, Pierre ne pu nier son homosexualité, et fut expédié au camp de Schirmeck, un petit village
Pierre SEEL est ciblé

RAPPEL HISTORIQUE

A 30 kilomètres de Strasbourg où, pendant la « drôle de guerre » furent construits à la hâte des baraquements destinés à la
population frontalière à évacuer parce que trop proche du front, au cas où la guerre serait déclarée. Les Allemands
réquisitionnèrent tout ce qui ressemblait à un baraquement tout ce qui pouvait servir de parc carcéral, parce que beaucoup de gens furent arrêtes, raflés, beaucoup torturés. Le camp de Schirmeck avait pour modèle les camps de rééducation allemands.
Il y avait des barbelés des miradors, des baraquements, buanderie, économats, la séparation des hommes et des femmes… Le tout était dirigé par les SS.
M. Karlbück qui dirigea ce camp, avait déjà dirigé deux camps de concentration en Allemagne. Ancien chômeur, il devint
obersturmfürherà 44 ans. Il avait rejoint le parti nazi desannées auparavant. Il devint tout de suite une autorité dans les rangs SS. Il instaura la terreur dans ce camp où se retrouvaient toutes les populations dont le dénominateur commun était la haine
de l’idéologie nazie : communistes, républicains espagnols, résistants, tziganes, « asociaux » (dont Pierre et d’autres
homosexuels).
J’aurais du mal à vous raconter sans émotion cette période qui concerne la « vie » dans le camp de Schirmeck. Ce sont des pages terribles qui font honte à l’humanité. Pierre passe six mois dans ce camp puis on lui dit : « signez ce papier et vous pourrez sortir ». Il n’en croit pas ses oreilles, rentre chez lui, se demandant ce qu’il a signé. Et cela ne tarde pas : il est incorporé sous les drapeaux et envoyé sur le front yougoslave. Toute cette époque de la guerre est pour Pierre une épreuve terrible parce qu’il la fait dans un uniforme qu’il déteste. Après un périple hallucinant dans tous les pays d’Europe en guerre on le retrouve, en 1945, dans sa famille, à Mulhouse. Il a alors 23 ans. Sa famille est très bourgeoise. Papa est le grand pâtissier de Mulhouse. La foi catholique anime parfaitement cette famille, le patriotisme aussi. On demande à Pierre de ne pas parler de ce qu’il a vécu, de ses tortures, et surtout du motif de son incarcération. Pierre va donc se retrouver avec sa honte. Aussi, pendant trente ans, il va faire semblant d’être hétérosexuel, il va se taire, se marier, et même faire des enfants. Dans l’itinéraire de Pierre, ces années-là sont aussi lourdes que celles qu’il a vécues pendant la guerre. Pendant ces
quelques trente années, il reste ainsi figé, portant son lourd secret avec ce malheur derrière lui, et sans avenir devant. C’est l’époque de sa seconde souffrance.
En 1981, Mgr Elchinger, alors évêque de Strasbourg, que l’on peut qualifier d’intégriste puisqu’il est contre l’avortement, contre les mariages entre catholiques et protestants, et évidemment contre les homosexuels (en fait, contre tout ce qui bouge), à l’occasion d’un congrès européen, celui de l’Internationale homosexuelle – l’IGA, l’International Gay Association réunie pour la 1ère fois en France alors que la gauche vient d’arriver au pouvoir – qui se tenaitalorsà Strasbourg, fit preuve d’une réelle homophobie. Les congressistes avaient loué des chambres dans un foyer chrétien. De retour de Rome,
Mgr Elchinger donne une conférence de presse pour annoncer qu’il annule toutes les réservations alors que les congressistes sont déjà dans le train pour Strasbourg, au motif, selon lui, que les homosexuels sont des « handicapés », et que s’ils veulent faire croire qu’ils sont en bonne santé, ils se trompent !
Parce que la déclaration tonitruante de l’évêque fait du bruit dans les médias, Pierre Seel l’entend à la radio. Il est à Toulouse et il a 55 ans. Il est terriblement seul. Sa femme s’est séparée de lui et ses enfants ne le fréquentent quasiment plus. Pierre entend cette horreur, ce crachat sur l’identité homosexuelle, qui vient encore une fois d’Alsace. Il décide alors de parler, d’écrire une lettre ouverte à cet évêque, lettre qui est reprise dans la presse homosexuelle, et qui lui permet de se délivrer d’un très lourd secret. Il rappelle à cet évêque amnésique que l’Alsace a déjà souffert de ce genre d’interdit, de condamnation morale ; et qu’il ne se sent pas « handicapé » en tant qu’homosexuel, que les handicapés comme les homosexuels ont vécu dans les camps, qu’eux aussi ont été exterminés, victimes de l’idéologie nazie, de laquelle il croyait que l’Alsace était protégée.
Cette lettre ouverte n’a pas eu, pour Pierre, l’effet escompté. Il ne s’est pas fait entendre, comprendre, il n’a pas pu convaincre. Et tout à coup il s’aperçoit que pour témoigner, retracer le chemin de la déportation homosexuelle, il lui faut « des preuves ». Lesquelles ? Il n’en a aucune. Nous sommes en 1981. Quarante ans se sont écoulés. Où sonner, à quelles portes, pour avoir la preuve qu’il a été déporté, que d’autres homosexuels d’Alsace ont été raflés, torturés, expulsés ? A qui le dire pour les convaincre ? Pendant dix ans. Pierre a parcouru ce chemin en solitaire. Il ne voulait pas que le mouvement homosexuel s’occupe uniquement de lui, parce que son affaire appartenait au souvenir de toute une population, il ne s’agissait pas de la mémoire homosexuelle mais de toute la mémoire de la guerre. Au ministère des Anciens combattants et des Déportés de guerre, où on aurait dû, depuis longtemps, lui remettre sa carte de déporté, on lui ferme la porte parce qu’il n’a aucune preuve. Comment les trouver alors que les archives de Schirmeck sont presque toutes détruites, alors que celles de la Gestapo de Strasbourg ont repassé le Rhin, d’une façon étrange, à la Libération, alors qu’énormément de documents ont disparu ? Et qui trouver comme témoin d’un drame qui s’est produit il y a si longtemps ?
Pendant ces années difficiles, Pierre veut parler. Mais les papiers manquent. On le voit à la télévision, à la radio. Vous l’avez
certainement vu, vous aussi.On l’a vu dans « Perdu de vue », une émission idiote qui passe sur une chaîne privée, et qui a malgré tout un taux d’écoute, un audimat exceptionnel. Les responsables de l’émission font pression sur le ministère, lui disant : « Il faut retrouver le nom de Pierre Seel dans vos papiers, il faut résoudre ce problème. Alertez les associations de déportés, trouvez-nous les papiers de Pierre. Il est impossible que Pierre soit un mythomane qui raconte des sornettes ».
On a pu retrouver ces papiers. Au dernier moment nous les avons rajoutés dans le livre. Ils prouvent le passage de Pierre à Schirmeck, ils lui ont permis d’avoir sa carte de déporté. La commission se réunit dans quelques jours, le 16 avril. Ce jour-là j’espère que Pierre sera libéré d’un doute qui a longtemps plané sur son témoignage : ce témoignage d’un vieux monsieur qui raconte ce qui s’est passé il y a cinquante ans.
L’homosexualité est frappée, à cette époque, d’un jugement moral. Dans les années 1930/1940, lorsque les homosexuels ont fait l’objet de la haine nazie, ce jugement était encore plus sévère. Cette différence était très mal vécue, surtout dans un pays catholique fervent et patriotique. Pierre en a énormément souffert. Et cela fait partie de son silence… Juste avant la guerre, il avait pourtant affirmé son homosexualité, c’était un petit « zazou », un jeune homme élégant, il vivait une histoire d’amour avec son ami Jo (qu’il verra mourir dans le camp). Il s’assumait, ce qui était assez courageux pour un jeune bourgeois en 1939/1940. Mais à son retour de la guerre, c’est un homme détruit, terrorisé par l’ambiance qui règne à Mulhouse. Son frère aîné devient adjoint au maire. La réputation de sa famille est en jeu. Il ne songe pas à quitter l’Alsace qu’il aime, mais il y reste comme « enfermé », piégé. Son témoignage est un témoignage sur la honte.

L’idéologie nazie a toujours comporté la dénonciation des homosexuels, notamment parce qu’ils ne font pas d’enfants. Or, l’AlsaceLorraine rentrant dans le giron du nazisme, ses habitants étant à peu près des Allemands, et à ce titre ils devaient participer à la stratégie nataliste du régime, de l’idéologie nazi. Les hommes sont faits pour engrosser les femmes, et les femmes ne sont qu’un ventre, lequel appartient au Reich. C’est là le plan qu’a développé Heinrich Himmler visant à la pureté du sang et l’extermination de  tous ceux qui ne sont pas de ce sang-là.
Les homosexuels se trouvent dès lors dans une situation assez ambivalente. On va essayer de les soigner, de les rééduquer, afin qu’ils se rapprochent des femmes, qu’ils produisent quelque chose. Sinon, ils partent au front ; sinon, ils sont castrés, sinon, ils sont exterminés. On a parlé de décadence des mœurs, de perversion. Je ne crois pas que ce thème ait été un élément majeur de l’idéologie nazie. A mon avis, l’important était que la population aryenne se reproduise de façon complètement forcenée, y compris avec les « lebensborn », ces établissements qui étaient comme des usines à bébés, sur le ventre de ces femmes passaient les étalons SS pour faire le plus grand nombre possible de bébés aux yeux bleus et aux cheveux blonds.

Or les homosexuels étaient réticents à cette espèce d’industrie du bébé. S’ils ne voulaient vraiment pas s’y mettre, il fallait s’en servir comme chair à canon, ou les castrer, ou les exterminer. Autour de cette haine, se sont développées d’autres choses : ce rapport ambigu, ambivalent que nous allons peut-être évoquer, entre nazisme et homosexualité. Souvenez-vous de la « Nuit des longs couteaux ». Cette société très misogyne produisait peut-être de l’homosexualité, tout en haïssant les homosexuels. Cette idéologie super virile et misanthrope, cette ambiance dans les prisons, les milieux sportifs, les armées étaient telles qu’il y a peut- être eu des actes homosexuels. Mais il n’y a pas eu d’homosexuels, d’autant que ceux-ci n’étaient pas tolérés par l’ordre nazi. Bien sûr, il y a eu les SA, il y a eu Ernst Röhm qu’Hitler a fait exécuter, déclarant que l’homosexualité était totalement étrangère à l’univers SS. Là-dessus on peut discuter, mais dès les années 1924, dans un journal national-socialiste, la haine de l’homosexuel est explicitement formulée. On retrouve aussi des discours de Himmler aux SS expliquant que le nombre d’homosexuels en Allemagne (qu’il évalue à trois ou quatre millions) est une véritable menace pour l’Allemagne et pour la natalité. On est en guerre sur tous les fronts, les hommes partent au front, les femmes à l’usine et aux champs, tous doivent procréer, il faut que le régime nazi se reproduise, répète Himmler, car on manque de bébés.
En faisant des recherches, j’ai découvert d’autres témoignages. Comme celui d’un Alsacien de Colmar qui a été raflé peu
après Pierre, et torturé dans les locaux de la Gestapo aux fins de compléter les fichiers d’homosexuels. Mais il a été expulsé (vers la zone française, notamment Belfort) parce qu’il a nié son homosexualité, et qu’il n’y avait pas de preuve. Ou celui d’un grand résistant alsacien, Aimé Spitz qui a été arrêté lors de sa trente-quatrième ou trente-cinquième mission de résistance en Alsace et qui, au début de la guerre, a eu à comptabiliser toutes les populations expulsées d’Alsace, parmi lesquels les expulsés pour homosexualité, dont il a dressé une liste, entre juillet et décembre 1940. Nous avons donc des
preuves du fait qu’en Alsace-Lorraine la seule homosexualité permettait aux Allemands de se déchaîner, parce que nous ne sommes pas comme les autres. Des éléments qui permettent aujourd’hui de construire un dossier. Mais Aimé Spitz, lui, a témoigné juste avant de mourir alors qu’il était déjà âgé. Dans les années 1940 /1950, être homosexuel, c’est être frappé de honte. C’est l’époque de l’association Arcadie, pour qui il fallait se cacher, être comme les autres, propre sur soi, très loin de l’idée de décadence associée aux homosexuels. Cinquante ans après le drame que fut cette guerre et que l’on va bientôt célébrer avec ce grand spectacle loufoque sur les côtes normandes, avec toutes les armées et toutes les télévisions du monde, à 10 F l’entrée, pour regarder débarquer l’armée filmée par la télévision, on peut se demander si le spectaculaire sauve vraiment la mémoire. Je n’en suis pas certain. Je suis choqué par ce grand spectacle. Parlera-t-on des populations qui furent honnies par le Reich ? Des tziganes, très récemment reconnues comme populations déportées ? Sait-on qu’en France 40 000 malades mentaux ont été exterminés faute de nourriture ? Où sont les prostituées de l’époque et qui peut parler à leur place ? Personne. Certaines populations exterminées n’ont plus de mémoire et c’est peut-être là le plus terrible : ce sont des tragédies sur lesquelles nous n’avons plus aucun élément. Il faut donc remercier Pierre Seel de nous avoir fourni des documents, raconté une vie qui se déroule jusqu’à nos jours, des témoignages qui peuvent être recoupés avec d’autres
témoignages, tout aussi rares, en Allemagne. Le premier déporté homosexuel à témoigner là-bas l’a fait en 1988. Le témoignage d’un homosexuel autrichien déporté, Hans Heger a été publié en 1980. C’est dire que de telles mémoires viennent de très loin et attendent beaucoup de temps avant d’oser se dire et oser plaider pour un coin de l’Histoire qui a été oublié. Les « faits de résistance » de Pierre, exhumés par le ministère des Anciens combattants et Déportés, témoignent que l’homosexualité ne passe toujours pas aux yeux d’une génération un peu âgée, de même qu’elle ne passait pas dans les camps.
Il n’y avait dans les camps aucun système de solidarité envers ou parmi les homosexuels, alors qu’on peut deviner que les
politiques en avaient un, et les tziganes aussi. Les autres étaient unis par certains liens de famille, d’idéaux, de foi. Mais les
homosexuels étaient totalement isolés. Ils n’avaient qu’une idée (et Pierre Seel était l’un des plus jeunes du camp) de ne pas
être les boucs émissaires des autres identités, plus collectives, un petit peu moins terrorisées parce qu’elles étaient ensemble, qu’elles pouvaient se livrer à de petits trafics, s’informer. Or, Pierre Seel était seul dans le camp. A l’époque il n’existait aucun sentiment de solidarité des homosexuels entre eux. Il n’y avait pas encore d’associations homosexuelles. (Elles n’ont vu le jour, en France, qu’en 1954). Ils étaient solitaires, terrorisés, persécutés. La conscience et la protection de nos droits n’arrivent qu’après la guerre.
Quand Pierre rentre, en 1945, il doit faire face à la loi anti-homosexuels édictée par le régime de Pétain en 1942. Alors que
grâce au code Napoléon (et à Cambacérès), il n’y en avait plus eu depuis 1792. Cette nouvelle loi était inspirée par l’amiral
Darlan. Celui-ci a expliqué au maréchal qu’à Toulon, autour de l’Arsenal, beaucoup d’homosexuels attendaient l’arrivée des
marins à leur descente des navires, et que si le code militaire permettait de condamner les homosexuels dans la marine
nationale et dans les corps d’armée, par contre rien ne permettait au gouvernement de sévir contre les homosexuels civils.
Cette loi de 1942 fut promulguée avec un formidable empressement, votée à l’unanimité (je crois) sous le régime de Vichy,
par son pseudo parlement. A la Libération, tout le monde pensa, sans doute sous la pression des Américains, à supprimer les lois antisémites du code pénal, d’en faire un toilettage très approximatif. Mais tout le monde oublia d’enlever la loi antihomosexuels, qui ne fut supprimée qu’en 1982, avec la mobilisation du mouvement homosexuel et l’arrivée de M.
Mitterrand au pouvoir. Il s’agit de la suppression de l’alinéa 3 de l’article 331 du code pénal (intervenue le 2 août 1982).
Pourquoi le mouvement homosexuel ne s’est-il pas mobilisé sur la question de la déportation ? Parce que nous n’avions pas de preuves, de témoins. Que des rumeurs. Dans la littérature homosexuelle d’avant 1981/1982 il y avait très peu de chose. Pourtant on peut considérer que la déportation a fait beaucoup plus de martyrs que l’alinéa 3 de l’article 331. Celui-ci a permis des arrestations et des discriminations, mais pas des rafles, des tortures, des exécutions. C’est un dossier très ancien qui remonte aujourd’hui et que nous devons, je crois, porter ensemble parce que la déportation d’homosexuels
est l’une des hontes de l’histoire de l’Europe. Comme l’antisémitisme et le racisme d’aujourd’hui. Si l’Europe doit se construire, elle ne peut le faire en oubliant des pans entiers de son histoire, en pardonnant, par manque de preuves, à des tortionnaires d’hier. Il y a une Journée nationale de la Déportation, le dernier dimanche d’avril. Cette année nous souhaitons la célébrer à Paris mais aussi, je l’espère, dans d’autres villes. Venir avec une gerbe à la mémoire de nos aînés torturés, raflés et exterminés, cela fait toujours mauvais effet. Les associations de déportés sont toujours assez réticentes, et
c’est d’elles que dépend notre intégration ou notre exclusion du cortège officiel.
Car nous avons aussi une mémoire à honorer, nous avons aussi le souvenir de ce qu’ont vécu nos aînés. Nous n’avons pas de filiation, nous ne sommes pas une famille. Les familles peuvent transmettre un patrimoine culturel de génération. Nous ne pouvons transmettre que des documents, et l’expérience de ce que nous avons vécu. De sorte que le lien de mémoire de l’homosexualité est encore plus fragile que celui des autres parce qu’on décide seul d’être homosexuel et c’est ensuite qu’on se construit une identité collective. N’oublions pas que la mémoire, les documents, l’Histoire, sont les premières choses qu’Hitler a détruites à Berlin en 1933, en mettant à sac le Centre Hirschfeld (qui fut le fondateur du mouvement homosexuel
allemand au tout début du siècle). C’est-à-dire quelques 400 000 volumes, sans compter le buste d’Hirschfeld. Ce vilain docteur qui avait eu le double tort d’être juif et homosexuel, promené en pleine nuit dans une retraite aux flambeaux dans les rues de Berlin. Hirschfeld, ayant perdu la nationalité allemande, s’est réfugié à Nice, a tenté de continuer à faire des conférences pour expliquer que l’homosexualité méritait le respect, il a essuyé des coups de feu et est mort d’une attaque cardiaque à Nice, où il souhaitait remettre en place le Centre Hirschfeld, en 1934. Nous devons donc avoir cette exigence
de mémoire. La parole de Pierre Seel est quelque chose d’assez miraculeux, comme ce livre que nous avons pu écrire, en rassemblant les rares documents que nous avions. (Les Allemands sont beaucoup plus documentés que nous parce que leur déportation a été beaucoup plus sanglante). On ne peut pas admettre que le silence soit fait sur cette déportation tragique.
Emile TEMIME : Le cas de Pierre Seel, qui a eu tant de mal à prouver son incarcération à Schirmeck, n’est pas isolé; Il
est tout à fait courant. J’ai travaillé sur les camps, plus exactement sur une minorité peu connue qui est passée par là, à savoir les républicains espagnols à Mauthausen. J’ai découvert certaines choses. Mauthausen est le seul camp de concentration allemand sur lequel nousayons des listes précises de morts et de survivants. Car il y avait dans ce camp un secrétariat qui a pu dresser ces listes et les sauvegarder, nom par nom, alors qu’ailleurs les destructions d’archives nazies ont été systématiques, en particulier pour ce qui est des camps. On trouve aussi des noms de personnes relâchées, mais de façon tout à fait accidentelle. Ainsi y a t-il un débat, entre des gens de bonne foi, sur le nombre de juifs exterminés à Auschwitz, à Treblinka. Car nous n’avons pas ces listes. Il a fallu les énormes travaux de Serge Klarsfeld pour arriver à reconstituer à peu près certains listings, à suivre certaines trajectoires. Mais nous n’avons que des chiffres partiels.
Vous évoquez certaines minorités ayant vécu dans les camps, notamment ceux qu’on appelait les « asociaux ». En réalité, les
homosexuels ne sont pas rangés parmi les « asociaux ». Les tziganes, si. Ils portaient le triangle noir (celui des asociaux) alors que les homosexuels portaient un triangle rose. La logique concentrationnaire est quelque chose d’impeccable et d’implacable, qui a donné des catégories de gens repérables par la couleur de l’insigne qu’ils portent. Mais cela ne suffit pas. Les nazis ont systématiquement déporté les tziganes en tant que groupe. Par contre les homosexuels ont pu être incorporés dans l’armée, ou expulsés comme ceux dont vous parliez tout à l’heure. Ceci vaut aussi pour d’autres minorités. Il faut parler enfin de l’extermination commencée, mais non terminée, des handicapés et des malades mentaux. Certains ont été exterminés, pas forcément dans les camps d’ailleurs, mais dans leur cas les nazis ne sont pas toujours allés jusqu’au bout de leur logique de mort.

Sans entrer dans le détail, il faut remarquer qu’il s’agit là d’un groupe qui est visé mais qui n’est pas entièrement voué à l’extermination dès le départ.
Sur les expulsions : il y a eu, c’est exact, des homosexuels expulsés d’Alsace, mais aussi d’Allemagne, entre juin et septembre/octobre 1940. A ce moment-là, l’idéologie exterminatrice n’est pas encore en vigueur. Un exemple classique, et beaucoup plus connu : l’expulsion des juifs de Bade et d’une partie des juifs d’Alsace, en octobre 1940 précisément, vers la France de Vichy. Certains d’entre eux retrouveront plus tard les camps de concentration et d’extermination lorsqu’en 1942 ils seront raflés et envoyés là-bas. Mais en 1940 la volonté de faire disparaître ces minorités consiste seulement à chasser d’Allemagne les corps étrangers qui sont gênants. Il ne s’agit pas de les arrêter ni de les détruire physiquement. De cela il faut se rendre compte pour comprendre le caractère progressif de la politique nazie vis-à-vis des minorités. Les camps d’extermination n’existaient pas encore véritablement en janvier 1940, époque où parut un document très connu (republié
notamment par Langbeih) classant les camps de concentration en Allemagne par catégorie : or, le seul camp figurant dans la catégorie des camps d’extermination, c’est Mauthausen. Les Espagnols, dont je me suis occupé, étaient envoyés à Mauthausen parce qu’on ne savait pas quoi en faire. C’était un groupe qui gênait. Eux furent donc condamnés à mort dès le départ (quoiqu’ils ne soient pas tous morts). Mais on n’extermine pas encore à Auschwitz en 1940. Ni à Dora, ni à Buchenwald. On y parque les gens, on les maltraite, on leur inflige des sévices, ils en meurent souvent, mais ce sont des camps de concentration. La volonté d’extermination n’apparaît qu’en 1942, avec les camps du même nom. Les victimes sont alors les juifs et les tziganes, regroupés à Auschwitz. Les homosexuels, par contre, furent dispersés. On trouvait des triangles roses dans presque tous les camps d’Allemagne. C’est pourquoi il est si difficile d’en connaître le nombre. Les homosexuels ne constituaient pas une minorité à l’intérieur des camps, c’étaient des individus dispersés.
Une date à corriger : le livre de Heinz Heger à été publié en 1972 à Hambourg. C’est bien tardif, mais c’était tout de même il y a vingt ans que fut publié le premier témoignage sur les déportations des triangles roses. Mais c’est là un point secondaire.
Ce qui l’est moins, c’est le problème de l’homosexualité et de sa répression.Il faut s’interroger sur la volonté d’extermination des homosexuels. De quand date-t-elle? Quant à la législation contre les homosexuels : la loi vichyste de 1942 n’a pas eu une application très répressive. A ma connaissance, il n’y a pas eu véritablement en France de déportations d’homosexuels. Mais il y a eu des arrestations et des poursuites. Par contre, il faut rappeler qu’il existe dès avant Hitler en Allemagne une législation anti-homosexuelle. Elle n’est pas appliquée d’une façon répressive, il y a eu sur ce chapitre une plus
grande liberté en Allemagne, et moins de tabous moraux qu’en France à la même époque. Quant à l’Angleterre, pays de la liberté, elle a eu une législation homosexuelle tout à fait répressive, et qui fut appliquée pendant encore des années après 1945, avec des poursuites, des arrestations, des incarcérations dont certaines ont été très connues. La législation libérale est venue très tard en Angleterre.
La position des nazis sur l’homosexualité est en effet très ambiguë. Certes, celle d’Himmler est très claire. Celle d’Hitler l’est beaucoup moins. Au début des Hitlerjungen et des SA. Bien entendu, il y a un certain recrutement d’homosexuels. Pourquoi ne pas parler de l’homosexualité chez les SA ? Le mot « morale », employé par les nazis, me gène. Sur quoi leur morale était-elle fondée ? C’était avant tout une morale d’efficacité. J’entends par là qu’ils se servaient de l’homosexualité à des fins politiques. On a commencé à arrêter les homosexuels et à les mettre en prison en 1934-35. C’est la « Nuit des longs couteaux », puis l’exécution de SA dont c ertains était responsables de l’incendie du Reichstag. Ernst, qui occupait un poste dans la hiérarchie SS, était homosexuel et fiché comme tel.
Quand on joue au jeu politique qui consiste à justifier le massacre de la « Nuit des longs couteaux », on en condamne les acteurs en tant qu’homosexuels et « amoraux ». Il y a là un mélange de morale classique, puisque on les traite d' »amoraux », et de condamnation pour crime politique. Il y a eu à la même époque un montage politique remarquable contre Von Frisch, dont on voulait ainsi se débarrasser.
C’était le chef suprême de l’armée allemande, il n’était nullement homosexuel, mais il devait passer pour tel : d’où le montage, fondé sur le témoignage d’un homosexuel fiché et tenu par la police, qui déclara avoir été dragué par Von Frisch. Il ne resta plus à Von Frisch qu’à démissionner, comme le voulait Hitler. Même si l’on devait reconnaître par la suite qu’il s’agissait d’un autre Von Frisch. Ainsi les nazis ont-ils utilisé des préjugés courants dans une opinion publique très conservatrice et traditionaliste, pour obtenir des poursuites et des condamnations.
Pierre est arrêté début mai 41 et relâché en novembre. On ne se contente pas de le déporter, on le soumet à des pressions violentes, à des sévices. Les listes d’homosexuels sont fournies aux Allemands par la police française (ce qui n’a rien d’étonnant, depuis le Second Empire le fichage des policiers français est le meilleur du monde). Les Allemands se servent de ces fichiers comme ils le font au lendemain de la « Nuit des longs couteaux ». Ils veulent arrêter les homosexuels, mais surtout se servir d’eux pour attraper d’autres personnes. Et s’ils n’y arrivent pas, ils les expulsent Pierre dit d’ailleurs qu’il a
servi de boîte aux lettres.
Ensuite Seel va à Schirmeck, l’un des premiers camps alsaciens, camp de répression et non d’extermination, car on en sort vivant… Comme Pierre en novembre 1941. Ce que je ne comprends pas, par contre, c’est ce qu’il a dit sur le « lebensborn ».  Pierre n’a jamais voulu lire un seul livre, voir une seule émission sur l’époque de la guerre, il voulait garder sa mémoire intacte. Par contre, en lisant un livre traitant de la haine et de la race, il est tombé sur une photo d’une grande masure, un « lebensborn » à l’est de Berlin et s’est rendu compte qu’il était passé là. Mais c’est seulement en 1991 que ces souvenirs
sont revenus. Ce n’étaient que des impressions. Et pourquoi les nazis l’auraient-ils envoyé là-bas, sachant qu’il était homosexuel et que ce n’était pas en voyant de jolies jeunes filles qui servaient d’usines à bébés qu’il allait changer de sexualité.
Christian de Leusse : Je m’étonne qu’on n’ait pas plus d’informations sur d’autres homosexuels français
de cette époque, hors l’Alsace-Lorraine, dans les autres régions de france. D’autre part, pourquoi Pierre Seel n’a-t-il jamais porté le triangle rose,alors qu’il a porté la barrette bleue ?
Jean Le Bitoux : Pierre a effectivement porté une barrette bleue dans le camp de Schirmeck comme tous les
homosexuels amenés dans le même fourgon que lui. C’était la rafle homosexuelle de ce jour-là : douze personnes. L’étiquetage des homosexuels était bien une pratique allemande. La barrette bleue était réservée aux homosexuels, aux « asociaux » ou encore aux fervents catholiques (et Pierre en était un). C’étaient, selon le témoignage de Spitz, des homosexuels allemands qui portaient le triangle rose au camp de Struthof, construit d’ailleurs,avec son four crématoire, par les prisonniers de Schirmeck.
Emile Témine : Le triangle bleu était celui des apatrides, celui que portaient les Espagnols. Le triangle noir était réservé
aux asociaux. Dans tous les camps allemands. Dont Dora, Buchenwald, Mauthausen…, j’ai vu des triangles roses portés par des homosexuels. Ils ont été également introduits au camp de Struthof en Alsace. Examinons maintenant la législation de Vichy, des années 42/43. La loi contre les avortements, qui autorise une condamnation à mort pour celles qui avorteraient, date de février 1942.
La législation de l’époque trappe aussi les souteneurs, les prostituées, les personnes pratiquant l’occultisme. On a aussi retrouvé des  droits commun et des condamnés pour « motif économique » dans les camps allemands de déportation. Mais je n’ai pas eu connaissance de déportations, depuis la France de Vichy, pour cause d’homosexualité.
Jean Le Bitoux : Moi non plus, je n’ai aucun témoignage dans ce sens.

X : Y a-t-il eu des condamnations de femmes homosexuelles ?
Jean Le Bitoux : Les hommes et les femmes étant séparés dans les camps, les contacts avec les femmes étaient quasiment
impossibles, notamment dans le camps de Schirmeck. Nous avons quelques témoignages (extrêmement rares) sur des lesbiennes incarcérées, mais c’était surtout en raison de leur mode de vie, de leur volonté insolente, en quelque sorte des lesbiennes fières de l’être, des femmes homosexuelles qui paraissaient plus scandaleuses que ce qu’elles faisaient ensemble. Du moins à Berlin, pendant les années 30, quelques unes s’habillaient en pantalon,
fumaient et se tenaient la main dans les rues. C’était donc davantage leur visibilité que leur intimité, que le code ne réprimait pas puisque l’homosexualité féminine n’était pas sensée exister.
Emile Témine : Le camp de femmes, par excellence, c’est Ravensbrück. On y trouve des prostituées. Parmi les triangles verts, on remarque des « droit commun » au sens large du terme. Il y a eu quelques lesbiennes mais qui n’étaient pas condamnées, ni déportées, pour cela, pour homosexualité.
X : Une historienne allemande et féministe, Claudia Schoppmann a écrit récemment un ouvrage très important sur les lesbiennes. Ce livre, malheureusement n’a toujours pas été traduit en français. Il y est question, entre autres, de l’époque du 3ème Reich. Dans un magazine berlinois, ont été publiés il y a quelques mois, des témoignages presque anonymes sur des lesbiennes déportées. C’est un travail historique qui commence aujourd’hui, mais c’est quelque chose de très difficile, principalement parce que nous n’avons pas à notre disposition d’archives, et que ces personnes (celles qui
furent internées) sont aujourd’hui décédées. Mais nous avons, tout de même, à notre dispositions des indices, et certains amis ont témoigné, attestant que des lesbiennes ont subi de terribles sévices dans les camps, qu’elles y ont été traitées comme les dernières des merdes. Certains travaux ont été financés par un département unique en Allemagne, et même en Europe, je crois, l’Europe qui cherche à aider et même à promouvoir des recherches entreprises par des homosexuels et des lesbiennes, en la matière.
X : Quelles expériences cliniques ont été faites sur des homosexuels et des lesbiennes ?
Jean Le Bitoux : Les nazis voulaient absolument savoir si on ne pouvait pas changer quelque chose dans le
fonctionnement des homosexuels, et comment faire pour qu’ils se rapprochent des femmes. Ceci dans une période très scientiste, où l’on croyait que le progrès pourrait mener à tout, On a donc fait des expériences sur des homosexuels, qui ont toutes échoué. Sauf peut- être auprès de certains homosexuels qui ont dû faire semblant de se « convertir », pour sauver leur peau. Les expériences cliniques allaient dans tous les sens. Celles faites sur les malades mentaux étaient des horreurs, essentiellement des improvisations, sous des prétextes scientifiques, qui répondaient à un désir de torture. Pierre Seel a subi des piqûres dans le thorax qui étaient en réalité un jeu de fléchettes pour des infirmiers.Ces tortionnaires en blouse blanche s’amusaient à faire n’importe quoi, exprimant ainsi leur haine envers leurs proies, en l’occurrence des homosexuels qui s’obstinaient à le rester, ce qui était une insulte à l’ordre nazi.
De même je trouve très grave et dangereuse cette tentative faites par des scientifiques américains de découvrir un gène de
l’homosexualité, il y a six ou huit mois. Cette pseudo découverte devait, espérait-on, amener les homosexuels à se déresponsabiliser, à dire : « vous voyez bien que notre homosexualité n’est pas de notre faute, puisqu’elle est d’origine génétique ». Alors que l’homosexualité devrait être considérée comme un choix responsable, et assumé, et les autres citoyens doivent comprendre cela.
Pendant les années 1930. Hirschfeld a essayé d’expliquer que les homosexuels ne sont ni hommes ni femmes, mais qu’ils
appartiennent à un troisième sexe : phénomène qui, selon lui, devrait intéresser la médecine plutôt que la justice.
Emile Témine : Ce n’est pas du tout dans la logique nazie. Or, il y a toujours une logique dans l’horreur nazie. Par contre,
dans d’autres camps que Schirmeck, des expériences de type médical ont été pratiquées sur des homosexuels.
Emile Témine : Ce qui m’a étonné, dans le livre de Pierre, c’est l’absence des triangles verts, c’est-à-dire des kapos dans les premiers camps de concentration. Pierre était pris en charge que par les SS ?
Jean Le Bitoux : Oui.
X : En temps de dictature, est-ce que les homosexuels ne seront pas toujours exclus et pris pour des boucs émissaires puisqu’ils seront considérés, par le pouvoir en place, les dictateurs comme des asociaux ?
Jean Le Bitoux : Je suis convaincu que les homosexuels, s’ils ne sont pas organisés, s’ils n’ont pas une
parole, s’ils n’ont pas défini les droits qui les protègent, seront toujours pris pour des boucs émissaires, en effet, au même titre que les « sémites », les immigrés, etc. On va chercher dans la conscience populaire la plus primaire les moyens de fabriquer dela haine mais en l’utilisant, comme Le Pen, pour proposer un nouvel « ordre nouveau ». Ce sont là des zones sensibles de fascination / répulsion. Jankélévitch dit « c’est la différence qu’on ne voit pas qui inquiète ». De sorte que l’autre est quasiment accusé de cacher sa différence, pour ne pas m’inquiéter, moi. Par contre si l’autre dit sa différence, un rapport de force social peut s’installer, et nous protéger. Dans le cas contraire, l’homosexualité sera toujours utilisée pour en appeler à un ordre autoritaire.
Emile Témine : Les dictatures se servent toujours des minorités, « asociales » parce que s’écartant d’une norme
imposée par ces dictatures.
Jean Le Bitoux : Les droits des homosexuels d’un pays concernent toute la population, car si l’homosexualité est vilipendée, on pourra toujours accuser un ennemi politique, par exemple, d’être homosexuel afin de s’en débarrasser. N’importe qui peut être ainsi « calomnié ». Il y a le cas de Von Frisch, mais aussi celui du cinéaste arménien dissident Sergueï Paradjanov qui, il y a 15 ans, a été accusé de pédérastie et de viol d’enfant (choses parfaitement ignobles aux yeux de la population soviétique), afin de casser lasolidarité autour de lui.
Emile Témine : Dans cette affaire, ambiguïté et hypocrisie vont de pair. Comme dans le cas du seul ministre de
l’Education nationale qui ait été notoirement homosexuel (il ne s’en cachait pas) et qui a occupé ce poste dans le
gouvernement de Vichy. On légifère contre l’homosexualité, mais on se garde bien de sévir, on l’accepte au contraire
lorsqu’elle concerne certaines personnes bien pensantes.
Jean Le Bitoux : Lorsqu’on se considère comme « la race des seigneurs » on peut s’autoriser à soi ce qu’on interdit
aux autres. C’est peut-être cela qui fonde les SA, ces miliciens qui dénoncèrent violemment Hirschfeld au cours de leurs meetings, et qui l’accusaient de faire de la propagande pour la sodomie, alors que ces mêmes SA la pratiquaient entre eux. Certains aspects de l’ordre nazi ont malheureusement été exportés après leur chute, aux Etats-Unis, où l’on a longtemps cherché comment « soigner » l’homosexualité. Ce fut l’obsession de nombre de médecins et de chirurgiens. Il existait une technique appelée thérapie d’aversion, avec des fils électriques qui réagissaient chaque fois que vous bandiez sur des photos érotiques. Autre technique, il y a eu aussi la lobotomie (originaire d’Allemagne). Technique qui a continué à être pratiquées aux Etats-Unis jusqu’aux années 1970. On retrouve là cette haine de la différence qu’il fallait exorciser chirurgicalement.
X : On cite des chiffres de 5.000 à 20.000 déportés homosexuels. Un historien qui n’y connaissait pas grand-chose a parlé de 200.000. Qu’en est-il de telles statistiques ?
Emile Témine : II y avait quelques dizaines de déportés homosexuels à Mauthausen. Pour les autres camps de concentration, je suis incapable de donner des chiffres. A Dora, il y a eu un moment de relative résistance et il s’est trouvé un homosexuel dans le groupe qui dirigeait le comité de résistance. Ce qui est extraordinaire, parce qu’on ne retrouve rien de tel dans les autres camps, où les triangles roses sont toujours mis à part, à l’écart des autres prisonniers.

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Le lourd tribut payé par les femmes sous Pinochet : témoignages de réfugiées en Belgique

20 Septembre 2023, 02:06am

Publié par hugo 🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️🏳️‍⚧️

 Le lourd tribut payé par les femmes sous Pinochet : témoignages de réfugiées en Belgique

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14 sept. 2023 à 11:44

9 min
Par Camille Wernaers pour Les Grenades
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(Attention, certains passages de cet article sont difficiles.)

Le 11 septembre 1973, il y a 50 ans, le gouvernement socialiste et progressiste du président Salvador Allende était renversé par un coup d’État militaire. C’était le début de la dictature du général Augusto Pinochet, qui durera 17 ans. Pendant cette période, plus de 3000 opposant·es seront assassiné·es et 40.000 personnes seront torturées. Ces violences incitent par ailleurs des centaines de milliers de personnes à fuir le pays.

C’est le cas de Carmen Sepulveda, qui habite aujourd’hui à Liège. "J’ai subi la violence de mon père, qui frappait ma mère et me frappait aussi. J’ai eu la chance de rencontrer sur mon chemin un homme extraordinaire, qui est devenu mon mari. C’était un jeune révolutionnaire que je qualifiais volontiers de plus féministe que moi ! Il était engagé au sein du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), un parti d’extrême gauche chilien. Nous luttions pour que le Chili devienne un pays plus égalitaire. C’est un pays très riche, mais cette richesse ne profite pas à la population… Quand Pinochet a pris le pouvoir, nous nous sommes retrouvés en grand danger et nous avons dû fuir avec nos enfants en 1977."

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La famille pose alors ses bagages en Belgique. "En 1981, mon mari a dû retourner au Chili. Il n’est plus jamais revenu : il a été assassiné là-bas. Je me suis retrouvée toute seule, en exil, à devoir élever nos enfants. J’ai été soutenue par une jeune étudiante de l’ULB, Denise Van Regemorter, grâce à une association qui mettait en contact les réfugié·es et des Belges qui pouvaient nous accueillir. Elle m’a aidée à avancer en tant que femme et mère dans un pays étranger."

Les commémorations autour des 50 ans du coup d’État au Chili sont particulièrement douloureuses pour Carmen Sepulveda : "J’ai perdu mon pays et mon mari. Même si cela fait 50 ans, les blessures restent ouvertes parce que nous n’avons pas obtenu justice. Cela a été très difficile et surtout pour les femmes : ils ont tué nos hommes et nous ont laissées seules dans cette situation." Augusto Pinochet est décédé en 2006 sans avoir été jugé par un tribunal.

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"Chili 1973, le pays de mes histoires" : le coup d’État de Pinochet et l’exil des Chiliens
"Un vrai déni"
Les femmes militantes au sein du MIR ont, elles aussi, été visées. Arrêtées, elles subiront des viols et des sévices sexuels. "On a mis beaucoup de temps à raconter ces histoires-là au Chili", souligne Roxana Alvarado Gajardio, artiste plasticienne féministe d’origine chilienne basée à Bruxelles. "Une partie du pays ne veut pas parler de ces violences, ni les reconnaître, encore moins quand cela concerne les femmes. Bien sûr, les hommes aussi ont subi la répression ! Pendant très longtemps cependant, il a été difficile de parler de violences conjugales, de violences institutionnelles et étatiques. Il y avait un vrai déni sur la question des viols. Je pense qu’il y avait aussi la difficulté de reconnaître que des femmes puissent être politiquement actives à cette période, telles Gladys Marin ou Fabiola Letelier. Celles qui l’étaient pouvaient être culpabilisées et mal vues, dès qu’elles ‘allaient trop loin’, c’est-à-dire dès qu’elles dépassaient le cadre très strict qui leur était imposé. Quand on parle de résistance, on a toujours cette image, très virile, du guérillero. C’est réducteur, les femmes ont aussi eu un rôle important à jouer dans la résistance au régime."

Et elles ont payé un lourd tribut. En 2005, la Commission nationale sur les prisons politiques et la torture a recueilli les témoignages de 35.000 personnes, dont 13% de femmes, selon l’AFP. Dans leur récit, les femmes victimes ont décrit les impulsions de courant électrique sur les parties génitales, les viols par des chiens dressés pour cela, l’introduction de souris dans le vagin. Certaines ont raconté avoir été contraintes d’avoir des relations sexuelles avec leur père ou leur frère.

Il a fallu attendre le 5 novembre 2020 pour que trois anciens agents de la police politique de la dictature soient condamnés par la justice chilienne pour les crimes d’enlèvement et séquestration, et celui de torture avec violences sexuelles, "une forme spécifique de violence contre les femmes", selon le jugement.

Une partie du pays ne veut pas parler de ces violences, ni les reconnaître, encore moins quand cela concerne les femmes

"C’est une grande avancée, c’est la première fois qu’est reconnu le fait qu’il y a eu des violences de genre", explique à l’AFP Patricia Artes, porte-parole du collectif Memorias de Rebeldia Feminista (Mémoire de rébellion féministe). "J’espère que cela va créer un précédent afin que ces crimes […] soient considérés comme un crime contre l’humanité", renchérit dans le même article Cristina Godoy-Navarrete, médecin retraitée de 68 ans qui a subi ces violences sous le régime de Pinochet.

Le vrai visage de la dictature
"Ma mère, Rosalba, était résistante sous la dictature. Elle a subi des violences, mais elle n’a jamais voulu quitter le Chili. J’étais très jeune mais je me rappelle devoir l’aider à se relever après une perquisition violente menée par des hommes armés. Cette image m’a marquée, de voir ma mère à terre", poursuit Roxana Alvarado Gajardio. "Quand la dictature a commencé à montrer son vrai visage, les femmes ont été les premières à chercher les disparus." Carmen Sepulveda abonde : "Les mères ont tenu tête à la dictature de Pinochet avec un courage incroyable."

"Après la disparition de mon père, nous avons cherché absolument partout avec ma mère, dans les cimetières, dans les morgues, à la sortie des prisons", se souvient pour la RTBF Gaby Rivera, présidente de l’Association des Familles des Détenus Disparus (AFDD), une organisation née en 1975, principalement composée de femmes, des mères, des sœurs, des filles, à la recherche d’hommes détenus (qui étaient majoritaires) dont on n’a depuis perdu la trace.

Nous luttions pour que le Chili devienne un pays plus égalitaire

Parmi les personnes qui fuient le pays se trouvent de nombreuses femmes et féministes, qui arrivent en Europe et en Amérique du Nord. A cette époque, elles vont être "au contact de la deuxième vague féministe en plein essor", explique la chercheuse Julietta Kirkwood pour Radio France, qui ajoute : "Elles se sont nourries de ces luttes féministes, avec notamment ce slogan 'démocratie dans le pays et à la maison'. A leur retour au Chili, dans la seconde moitié des années 1980, (ce qui leur vaudra le surnom de retornadas) en coopération avec les féministes restées sur place, elles créent les premières organisations féministes de la deuxième vague, dont le but premier est de renverser la dictature."

Roxana Alvarado Gajardio le confirme : "On sous-estimait les femmes, les organisations qu’elles ont créées à ce moment-là faisaient donc moins peur. Les femmes qui sont revenues au Chili ont aussi amené de nouvelles théories, de nouvelles manières de penser."

Un lien entre les violences du régime et les violences faites aux femmes
Anne-Claire Sanz-Gavillon, maîtresse de conférence en études hispaniques, souligne : "[…] réflexions sur les violences faites aux femmes et réflexions sur la violence du régime vont de pair". Se crée alors un "parallèle entre l’autoritarisme du dictateur et la domination masculine, qui constitue l’une des particularités de la pensée féministe chilienne."

Un parallèle que l’on retrouve dans ce fameux slogan "démocratie dans le pays et à la maison" qui deviendra "le mot d’ordre des féministes chiliennes avant de se répandre sur l’ensemble du continent comme un message très clair adressé aux hommes, aux gouvernements militaires et à l’ensemble des acteurs de la transition. Cette formule est extrêmement importante en ce sens qu’elle met en évidence la conceptualisation, par le féminisme chilien, de la sphère privée comme un terrain politique : comme dans l’espace public, les relations interpersonnelles s’y organisent selon des relations de pouvoir, la ‘question démocratique’ doit donc s’y poser également", écrit-elle dans son texte "¡ Democracia en el país y en la casa ! Mouvement des femmes et conceptualisation de la violence de genre dans le Chili de Pinochet", publié en 2014.

"Quand ma mère était torturée"
"Les femmes artistes aussi ont été très actives contre la dictature, mais on oublie leur contribution. Comme les autres femmes résistantes, elles sont invisibilisées, et même encore aujourd’hui, à l’heure des commémorations du coup d’État", regrette Roxana Alvarado Gajardio.

Parmi celles-ci, la poétesse Stella Díaz Varín ou l’artiste et activiste Lotty Rosenfeld qui a utilisé son travail pour lutter activement contre le régime de Pinochet, par exemple dans son œuvre Una milla de cruces sobre el pavimento, réalisée en 1979 à Santiago dans laquelle elle a détourné les lignes droites peintes sur les routes pour la circulation routière en scotchant d’autres bandes blanches qui les croisaient, afin de créer des croix. La croix devient un moyen de critiquer le contrôle sous la dictature de Pinochet, le symbole de sa révolte qui conteste un ordre linéaire imposé.


Roxana Alvarado Gajardio, quant à elle, dessine et peint dans son atelier bruxellois. Elle expose en ce moment différentes œuvres au sein de l’hôtel de ville de Saint-Gilles, dans l’exposition collective "Allende, 50 ans après", qui se termine le 17 septembre. Sur ses peintures, beaucoup de femmes sont représentées. "Ma mère n’a jamais voulu quitter le pays, mais moi je suis partie en 1988. On voulait nous faire croire au retour de la démocratie mais ce n’était pas le cas. Un de mes tableaux exposé s’intitule Quand ma mère était torturée. Il est dédié à toutes les femmes qui ont subi des violences, au Chili et dans le monde. Il n’est pas évident de vivre de son art en étant une femme, encore mois quand on est en exil. L’exil laisse des fractures et des blessures, c’est très complexe. J’ai de la chance d’avoir pu conserver mon héritage féministe en étant en contact avec des associations féministes ici en Belgique, comme le Monde selon les femmes, le Collectif des femmes, ou encore La Maison des femmes de Molenbeek."


En 1988, un référendum est organisé pour décider de la prolongation au pouvoir jusqu’en 1997 du général Augusto Pinochet. "La participation des femmes au vote fut massive et contribua à la victoire du ‘non’ qui mit fin à la dictature", écrivent Nathalie Jammet et Gwennoline Juhel.

"Pendant le gouvernement du général Pinochet, les femmes réagirent très vivement contre les difficultés économiques mais aussi contre la répression. Ainsi, si la dictature brisa et fit disparaître de nombreuses femmes, elle en incita d’autres à se regrouper, à s’organiser et à prendre la parole ce qui constitua la première étape dans la construction d’une identité de genre. Malgré l’apparition d’une conscience féministe au Chili, force est de constater les nombreuses difficultés auxquelles elles durent ou doivent encore faire face […]", continuent-elles.

Et aujourd’hui ?
De 2019 à 2021, un mouvement de contestation de grande ampleur s’est produit au Chili, contre les politiques d’austérité d’abord, mais aussi plus largement contre les violences faites aux femmes et le "modèle néolibéral hérité de la dictature d’Augusto Pinochet".

Comme le montre le documentaire Mon pays imaginaire du réalisateur Patricio Guzman, les femmes et le mouvement féministe forment les premières lignes de cette révolte. Les confrontations avec la police sont nombreuses, et les manifestantes dénoncent des violences sexuelles commises par des membres des Forces Spéciales de la police et des militaires.


Le 25 novembre 2019, lors de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, en plein milieu de ces mobilisations, le collectif féministe Las Tesis, dans la ville de Valparaiso, crée la chorégraphie "Un violador en tu camino" ("Un violeur sur ton chemin"), qui questionne les violences sexuelles au sein des manifestations et de la société dans son ensemble.

Debout, en groupe, les jambes plantées droites dans le sol et les yeux recouverts d’un bandeau noir, elles entonnent, toutes ensemble, une chanson aux paroles qui résonneront et seront reprises dans le monde entier : "Et le coupable ce n’est pas moi, ni mes fringues, ni l’endroit. Le violeur c’était toi. Le violeur c’est toi. Ce sont les policiers, les juges, l’État, le président. L’État oppresseur est un macho violeur."


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'Un violeur sur ton chemin' à Bruxelles : une performance chilienne devenue virale
"Au Chili, le machisme demeure très présent, s’insurge Roxana Alvarado Gajardio. "Il y a des évolutions mais les droits des femmes sont en danger, notamment sur la question de l’avortement. C’est l’héritage de Pinochet et de tous ses acolytes de droite. Nous sommes vraiment en alerte car nous risquons de basculer 50 ans en arrière."

A bientôt 76 ans, Carmen Sepulveda se dit "toujours en lutte pour une société plus égalitaire. Ce qui me choque vraiment, ce sont les féminicides. Sans les femmes, il n’y a pas de vie. Nous les avons portés dans notre ventre. Pourquoi est-ce qu’ils nous frappent, nous humilient et nous tuent ?"

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Le 10 septembre, un peu plus de 12.000 Chiliennes ont participé à une veillée autour du Palais de La Moneda, à Santiago, l’un des premiers bâtiments bombardés lors du coup d’Etat, sous le mot d’ordre "Démocratie bombardée, plus jamais ça". Dans un pays divisé ("Au Chili, une partie de la population a la nostalgie de Pinochet"), elles ont tenu à rappeler le rôle joué par les femmes dans la lutte contre la dictature.

Chili : Salvador Allende renversé il y a 50 ans – JT 11/09/2023

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Simone Guillissen-Hoa, la femme qui a dessiné la Maison de la Culture de Tournai, mise à l’honneur

20 Septembre 2023, 01:06am

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 Simone Guillissen-Hoa, la femme qui a dessiné la Maison de la Culture de Tournai, mise à l’honneur

Simone Guillissen-Hoa, la femme qui a dessiné la Maison de la Culture de Tournai
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08 sept. 2023 à 09:19

2 min
Par Denis Vanderbrugge
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En écho aux journées du patrimoine, la Maison de la Culture de Tournai mettra à l’honneur le "matrimoine" ce samedi 9 septembre. Elle propose de partir à la découverte de Simone Guillissen-Hoa, l’architecte qui a dessiné les bâtiments occupés depuis les années 80 par la culture dans la cité des Cinq clochers.

Décédée en 1996, Simone Guillissen-Hoa était l’une des premières femmes architectes belges. Son nom est aujourd’hui peu connu du grand public. Même dans les couloirs de la Maison de la Culture beaucoup l’ont oublié. Et pourtant, le bâtiment est une œuvre majeure de l’architecte belge. "C’est la consécration de sa carrière, son dernier grand chantier", explique Apolline Vranken (architecte et chercheuse FNRS – ULB) qui lui consacre une thèse depuis 3 ans.

Quatrième femme diplômée de la faculté d’architecture de la Cambre dans les années 30, Simone Guillissen-Hoa parvient à émerger dans un contexte sexiste. "Dans l’esprit de l’époque, les architectes femmes sont là pour penser des maisons et des cuisines. Simone Guillissen-Hoa va dépasser ça, c’est la première femme à travailler seule, à ouvrir son propre bureau. Elle va aussi avoir des commandes publiques, et ça aussi c’est révolutionnaire pour l’époque."

Simone Guillissen-Hoa signe une cinquantaine de réalisations. Mais son nom restera peu connu du grand public. "Cela s’explique parce que c’est une architecte moderniste. Pendant très longtemps, on a démoli tous ces bâtiments qui dataient des années 50 jusqu’aux années 80, explique Apolline Vrancken. Le deuxième facteur invisibilisant, c’est le fait d’être une femme. On est dans un système où ce sont les architectes génies qui vont rester dans l’histoire de l’architecture, Simone Guillissen-Hoa ne répond pas à ce profil-là. Elle n’est pas exubérante, pas dans les scandales et les frasques. C’est ce qui fait sa qualité, c’est un rapport très humain et très terre à terre avec ses projets et sa clientèle. Enfin, dernier facteur invisibilisant, c’est le fait d’être Belge. Si vous demandez au public de citer un architecte, ce sont des noms internationaux qui vont sortir. Donc nous, on travaille aujourd’hui à redorer le nom de Simone Guillissen-Hoa et de ses consœurs."

La vie et l’œuvre de Simone Guillissen-Hoa seront évoqués largement ce samedi 9 septembre à 14 heures à la Maison de la Culture de Tournai, dans un bâtiment qu’elle a dessiné et qui vient tout juste d’être rénové. Apolline Vranken y donnera une conférence qui sera suivie d’une visite musicale du bâtiment.

Crédit photo : Archives JP Hoa Fonds Simone Guillissen-Hoa © Archives Jean-Pierre Hoa


https://www.rtbf.be/article/simone-guillissen-hoa-la-femme-qui-a-dessine-la-maison-de-la-culture-de-tournai-mise-a-lhonneur-11252252

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Qui était Odette Nilès, figure de la Résistance décédée à l’âge de 100 ans ?

2 Juin 2023, 01:07am

Publié par hugo

 Source : Capture vidéo / Dailymotion
ACTU EN FRANCE
Qui était Odette Nilès, figure de la Résistance décédée à l’âge de 100 ans ? 
Charlotte Arce
 29 mai 2023 à 14h47
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MADMOIZELLE  SOCIÉTÉ  ACTUALITÉS  ACTU EN FRANCE
Figure de la Résistance communiste lors de la Seconde Guerre mondiale, Odette Nilès a aussi été après la Libération militante pour les droits des femmes. Elle s’est éteinte à l’âge de cent ans dans la nuit du 27 au 28 mai 2023.
« Une amie et une camarade » pour Fabien Roussel. « Une combattante inlassable » selon Emmanuel Macron. 


Voici comment le secrétaire national du Parti communiste et le président de la République ont rendu hommage ce dimanche 28 mai à Odette Nilès, décédée à l’âge de cent ans. Figure de la Résistance, elle est restée, tout au long de sa vie, de son arrestation à l’âge de 17 ans par la police française pendant l’occupation allemande, jusqu’à sa mort, un symbole de la lutte pour la liberté. 

Fiancée de Guy Môquet
Née Lecland en 1922 de parents ouvriers, Odette Nilès a grandi à Drancy auprès d’un père militant au PCF. Elle-même entre aux Jeunesses communistes à l’âge de 15 ans, puis intègre le Secours rouge et les Jeunes filles de France. 

En 1940, son père, anti-munichois, est arrêté. Cet événement fait basculer sa vie. Dès 1941, elle participe à des manifestations contre l’occupation allemande. Le 13 août 1941, alors qu’elle distribue des tracts pendant une manifestation à la station de métro Richelieu-Drouot, elle est arrêtée par la police française avec seize autres garçons. Tous ont alors moins de 20 ans. Jugée devant un tribunal martial allemand, elle est condamnée à la prison, et est transférée dans différents camps et prisons, avant d’atterrir, en septembre 1941, au camp de Choisel, à Châteaubriant (Loire-Atlantique).

C’est là, entre les barbelés qui séparent le camp des femmes de celui des hommes, qu’elle fait la rencontre de Guy Môquet. Elle a 19 ans, lui 17, et entre eux naît rapidement une histoire d’amour, qu’elle racontera plus tard dans Guy Môquet, mon amour de jeunesse (éd. L’Archipel, 2008). Il sera exécuté le 22 octobre 1941 après lui avoir fait passer un mot d’adieu, mais avant qu’elle n’ait pu lui donner « un patin » (un baiser, en argot). 


Lire aussi : Le couple de résistantes Suzanne Leclézio et Yvonne Ziegler ont désormais une plaque à Paris, et leur histoire vaut le détour

Militante pour les droits des femmes
Transférée de camp en camp, Odette Nilès survit. En 1944, elle est transférée au camp de Mérignac, près de Bordeaux. En 1944, elle profite de la débâcle allemande pour s’évader du camp, et rejoint le maquis et les Francs-tireurs et partisans. Là, elle se voit confier l’encadrement des Forces unies de la jeunesse patriotique et rencontre son futur époux, Maurice Nilès, jeune commandant des FFI (Forces françaises de l’intérieur). 

Son engagement ne faiblit pas à la Libération. Installée à Drancy avec son époux, elle milite pour les droits des femmes. Grande administratrice de Rosa Luxembourg et Dolores Ibarruri, elle devient Directrice du patronage laïque de la ville d’Aubervilliers et se rend inlassablement dans les écoles pour témoigner de son engagement résistant et porter la mémoire de ses camarades fusillés pendant la guerre. 

Dernière survivante du camp de Choisel, Odette Nilès est décédée dans sa maison de retraite, à Drancy.

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Tribune : « Face aux haines d’aujourd’hui et de demain, honorer la mémoire de tou·te·s les déporté·e·s »

30 Avril 2023, 02:48am

Publié par hugo

  Tribune : « Face aux haines d’aujourd’hui et de demain, honorer la mémoire de tou·te·s les déporté·e·s »
Publié le : 28 avril 2023 | Mis à jour : 28 avril 2023 | Auteur : Jean-Benoit RICHARD

A l’occasion de la Journée nationale du Souvenir des Victimes et Héros de la Déportation qui se déroulera le 30 avril, nous donnons la parole à la Fédération LGBTI+, qui regroupe les associations et centres lesbiens, gays, bi, transgenres et intersexes en France. Dans le texte que nous reproduisons ci-dessous, leur porte-parole rappelle combien le devoir de mémoire est nécessaire et qu’il sert aussi à éclairer le présent.

générique journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation

Face aux haines d’aujourd’hui et de demain, honorer la mémoire de tou·te·s les déporté·e·s
Le dernier dimanche du mois d’avril a lieu une journée nationale d’hommage aux personnes dont le destin a croisé l’infamie humaine des camps de concentration et d’extermination. Les associations et Centres LGBTI+ seront au rendez-vous pour honorer les victimes et héros de la déportation et porter le souvenir des victimes de persécutions à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre pendant la Seconde Guerre mondiale.

C’est seulement en 2005 que dans son discours à l’occasion de la journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation, le Président de la République, Jacques Chirac, reconnait officiellement qu’il y a bien eu des personnes déportées à raison de leur orientation sexuelle ou leur identité de genre depuis le territoire français. Les associations LGBTI+ et les historien·ne·s travaillant sur la mémoire avaient apporté des preuves de ces faits depuis de nombreuses années. Désormais, que des Français·e·s aient porté le triangle rose (homosexuels) ou le triangle noir (asociaux, dont les femmes lesbiennes) n’est plus remis en question. Le rôle actif de la police française et des services de l’État Français est quant à lui trop souvent oublié.

Il est pourtant fondamental d’entretenir ce devoir de mémoire et de porter un regard éclairé sur les erreurs atroces de notre passé sous peine d’avancer aveugles vers de nouvelles horreurs. Nous nous joignons à l’exigence nationale d’honorer la mémoire de tous les déportés, “sans distinction”, comme l’exprime la loi du 14 avril 1954. Une délibération ancienne de la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité) le rappelle : les préfectures doivent associer les associations LGBTI+ à l’organisation des cérémonies (Délibération 2009-2022 du 8 juin 2009). Cette décision n’est hélas pas toujours mise en œuvre par les services de l’État.

La perméabilité de plus en plus forte des idées d’extrême-droite dans la société, aidée d’une complaisance dans les médias et les milieux politiques, nourrit une grande inquiétude dans nos associations LGBTI+. L’extrême-droite porte une opposition viscérale aux droits des minorités sexuelles et de genre. L’historique des votes d’élu·e·s et les prises de position publique répétées de membres des partis d’extrême-droite ne ment pas. Nous ne sommes pas dupes de leurs opérations de séduction. Celles-ci rendent leur populisme encore plus détestable.

Depuis plusieurs années, nous assistons aussi à une stigmatisation grandissante des minorités en Europe : rejet des populations exilées, violences sur les minorités sexuelles, remise en question des avancées féministes… Ce sont parfois les gouvernements de pays membres de l’Union Européenne qui orchestrent les persécutions, comme en Hongrie ou en Pologne. La France n’est pas exempte de la montée de ces courants haineux.

La Fédération LGBTI+ note aussi la pente autoritaire adoptée par plusieurs gouvernements en Europe et en particulier en France. Le durcissement des pouvoirs face à sa population, la répression des mouvements sociaux au mépris de la loi, la militarisation des forces de l’ordre sont des indicateurs sans équivoque d’un glissement pré-fascisant. Il ne s’agit pas là d’une analyse orientée que nous ferions mais bien de l’analyse partagée par plusieurs expert·e·s internationaux (ONU, Conseil de l’Europe, Amnesty International…).

Les militant·e·s qui chaque jour défendent les droits humains des personnes LGBTI+ aujourd’hui s’inscrivent dans une histoire commune de survie face à la barbarie et le mépris. C’est toujours le même élan qui les animent : la solidarité et le respect des libertés ont toujours été plus fortes que la haine et la violence.

Cette histoire nous oblige dans notre devoir de mémoire. Elle nous oblige dans la défense de toutes les minorités exposées à la haine.

La Fédération LGBTI+ ne peut donc qu’encourager la participation de tou·te·s et tous aux cérémonies dimanche. Portons la mémoire de celles et ceux qui ont croisé l’horreur humaine sur leur chemin car nous savons que le ventre est encore fécond et qu’il a commencé à germer à nouveau.

Kévin Galet-Ieko, porte-parole
Antonin Le Mée, porte-parole adjoint


https://www.gaypride.fr/tribune-face-aux-haines-daujourdhui-et-de-demain-honorer-la-memoire-de-tou-te-s-les-deporte-e-s/
 

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Et si les vrais héros de la mythologie grecque étaient les femmes

29 Avril 2023, 04:14am

Publié par hugo

 Statue d'une déesse de la mythologie grecque // Source : Photo de Hert Niks/Pexel
LIVRES
Et si les vrais héros de la mythologie grecque étaient les femmes
Sophie Castelain-Youssouf
 24 avril 2023 à 19h19
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MADMOIZELLE  POP CULTURE  LIVRES
Cet article est sponsorisé par Hauteville
Depuis le 12 avril, découvrez en librairie une réécriture de « L’Odyssée » d’Homère : « Pénélope Reine d’Ithaque : le chant des déesses » aux Éditions Hauteville.
Dans un monde idéal, les mythes et légendes qui nous seraient parvenus de la Grèce antique ne conteraient pas seulement le récit de héros masculins bourrés d’orgueil. Mais les choses sont ainsi faites… Bien heureusement, deux millénaires plus tard, des autrices comme Claire North place les personnages féminins de la mythologie grecque au premier plan.

Le tome 1 de Pénélope Reine d’Ithaque : Le chant des déesses (relié) est disponible à 25 €
Déesse de la mythologie grecque // Source : Photo de Engin Akyurt/Pexels
Déesse de la mythologie grecque // Source : Photo de Engin Akyurt/Pexels
Que raconte l’Odyssée d’Homère ?
Avec le premier tome de Pénélope Reine d’Ithaque : Le chant des déesses, l’autrice nous propose une réécriture de L’Odyssée d’Homère. Vous êtes passée à côté ? Voici une petite remise en contexte. Ce récit raconte l’épopée du héros Ulysse qui tente de regagner son île par tous les moyens après la guerre de Troie. Son périple durera plus d’une décennie, pour un trajet qui aurait approximativement dû durer environ quatre heures en bateau.

Pendant ce temps, sa femme Pénélope est courtisée par des dizaines d’hommes, qui ne rêvent que de monter sur le trône d’Ithaque en l’absence du roi Ulysse. Heureusement, elle imagine une combine (peu crédible). Elle décidera qui elle épousera une fois qu’elle aura terminé de fabriquer un voile sur son métier à tisser. Afin de faire patienter les hommes assoiffés de pouvoir et pour protéger son fils Télémaque, la malheureuse se retrouve à défaire chaque soir le travail effectué pendant la journée jusqu’au retour de son mari.

Dans cette lecture, il est facile de comprendre que Pénélope n’est pas maîtresse de son destin. Elle est dépeinte comme une femme qui attend patiemment son époux durant de longues années. Son existence n’est déterminée que par les choix des hommes qui l’entourent…

Quant aux dieux censés veiller sur elle, ils n’ont que faire de son sort et sont occupés ailleurs. Mais dans le premier tome de Pénélope Reine d’Ithaque : Le chant des déesses, l’histoire de cette reine négligée retrouve ses lettres de noblesse. Claire North raconte l’histoire en lui donnant le rôle principal, tout en respectant les exactitudes historiques !

Le tome 1 de Pénélope Reine d’Ithaque : Le chant des déesses (relié) est disponible à 25 €
Une version féminine de la mythologie grecque
Dans ce récit, la reine n’est pas passive ! Grâce à des servantes dévouées et un réseau d’espionnes, Pénélope tente de ne pas laisser sombrer son royaume dans la guerre civile. Grâce à une attitude qui donne l’impression qu’elle se désintéresse du pouvoir, cette reine s’efforce de ne pas attirer l’attention des hommes qui dirigent Ithaque en l’absence de son mari.

Car même si Ulysse a quitté l’île depuis 18 ans, emportant avec lui 75 % des hommes en âge de se battre pour Troie, le peu d’hommes qui restent ne se sentent pas le moins du monde menacés par les femmes. Ils ne tiennent pas compte de leur avis pour prendre les décisions qui s’imposent pour protéger Ithaque…

À lire aussi : « Autrice » : histoire d’un mot hautement politique

Mais Pénélope n’est pas aussi isolée qu’elle l’imagine. La narratrice n’est autre qu’une déesse qui suit toute cette histoire d’un œil particulièrement vigilent et rien ne lui échappe. Il s’agit de la protectrice des femmes, des épouses, du mariage et de la fécondité : la reine de l’Olympe, Héra.

Cela ajoute à ce roman un point de vue omniscient particulièrement percutant puisqu’elle subit, elle aussi, le sexisme des dieux. D’ailleurs le portrait qu’elle dresse des quelques personnages masculins et sacrément caustique…

Le point de vue de Héra, habituellement réduite à « sœur de », « femme de » ou encore femme trompée, est ce qui ajoute à ce roman de Claire North toute sa dimension féministe. La mythologie grecque, aussi fascinante soit-elle, rassemble des récits sexistes et misogynes. Alors qu’avec ce roman, l’autrice Claire North montre que les personnages féminins peuvent s’émanciper de leurs homologues masculins, voire leur cacher certaines actions.

Héra s’insinue avec subtilité dans le quotidien des femmes de l’île d’Ithaque, sous la forme humaine d’une vieille femme à laquelle personne ne prête attention ou leur chuchotant à l’oreille. Et ce surtout dans la vie des reines, comme Pénélope, qui est définitivement son héroïne à elle. Les déesses ont aussi leurs favorites et s’occupent de leur dessiner un destin qui saura traverser les siècles.

C’est ce qui différencie Héra de ses belles filles, contrairement à Aphrodite qui soutient Pâris ou Athéna qui aide Achille durant la guerre de Troie, la reine des déesses opte pour la sororité.

Tome 1 de « Pénélope reine d'Ithaque : Le chant des déeses » en version reliée // Source : Éditions Hauteville
Tome 1 de « Pénélope reine d’Ithaque : Le chant des déeses » en version reliée // Source : Éditions Hauteville
Vous pourrez découvrir le premier tome de Pénélope Reine d’Ithaque : Le chant des déesses et l’écriture acérée de Claire North dès le 12 avril 2023 en librairie aux Éditions Hautevilles.

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Crédit photo de la une : Photo de Hert Niks/Pexel

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Portrait – Rosa Luxemburg, la Révolution pour toujours

31 Janvier 2023, 02:14am

Publié par hugo

 Rosa Luxemburg
Portrait – Rosa Luxemburg, la Révolution pour toujours
27 janvier 2023
Rosa Luxemburg voit le jour la même année où la Commune de Paris soulève les espoirs des révolutionnaires européens, avant d’être réprimée dans un bain de sang sans précédent par les troupes versaillaises aux ordres du libéral conservateur Adolphe Thiers. Le 19 janvier 1919, avec sa mort s’achève la révolution spartakiste qui visait à établir un régime socialiste en Allemagne. Entre temps, elle aura fondé quatre partis révolutionnaires, débattu théorie politique avec Marx et Lénine, milité contre la guerre avec Jaurès, élevé par ses écrits et ses discours la conscience de classe du prolétariat allemand jusqu’au bord de la révolution. Premier épisode d’une série de portraits de femmes révolutionnaires par l’insoumission.fr : Rosa Luxembourg.

Rosa Luxemburg ouvre les yeux le 5 mars 1871, au carrefour de l’Europe de l’Est (actuelle Pologne) de la fin du XIXème siècle, dans une famille juive polonaise de nationalité russe et de culture allemande, mais elle n’adhèrera jamais à ces assignations. Au lycée, elle découvre le fait national polonais mais elle le refuse immédiatement. Elle milite dès son adolescence au groupe prolétariat, un collectif internationaliste et marxiste qui s’oppose au très nationaliste Parti Socialiste Polonais lors des premières grèves ouvrières polonaises. 

Rosa Luxemburg fonde son premier parti politique à 18 ans
En 1889, à tout juste 18 ans, elle est déjà poursuivie par la police et se réfugie à Zurich où elle poursuit ses études et écrit ses premiers articles. Elle rejoint la IIème internationale socialiste et fonde le Parti Polonais Marxiste.

A 20 ans, elle abandonne ses études de sciences naturelles pour se consacrer à l’économie politique. Elle rencontre Leo Jogiches avec qui elle forme un duo révolutionnaire jusqu’à la fin de sa vie. Lui est un organisateur, un agitateur, un spécialiste de l’action directe. Elle sera l’idéologue, la théoricienne. 

En 1893, Rosa Luxemburg fonde, de concert avec Leo Jogiches et Julian Marchlewski, la Social-Démocratie du Royaume de Pologne (SDKP) un parti marxiste dont l’internationalisme tranche non seulement avec le Parti socialiste polonais mais également avec la vision de Karl Marx. Elle rejette l’idée d’une révolution nationale polonaise menée par la bourgeoisie comme préalable à la révolution prolétarienne. Au contraire, elle affirme que cela ralentirait l’effondrement du tsarisme en Russie. La souveraineté du peuple polonais ne saurait advenir que par une prise de pouvoir du mouvement ouvrier en Russie, en Allemagne et en Autriche-Hongrie. 

En août 1893, Rosa Luxemburg prend la parole pour la première fois lors du congrès de la deuxième Internationale. Mais il lui faudra 3 années pour parvenir à convaincre les autres partis socialistes d’accueillir le SDKP dans l’Internationale. La même année 1896 voit l’interdiction du parti et du journal de la militante socialiste.

Berlin et le SPD
1898, elle obtient la nationalité allemande grâce à un mariage blanc et rejoint Berlin, ville où Karl Marx a étudié et écrit ses premiers textes au sein du cercle des “jeunes hégéliens”. 

En 1898, Berlin est la capitale de l’empire allemande dirigé par Guillaume II.  Elle est soumise à une pression démographique exceptionnelle, puisque sa population triple entre 1860 et 1913. Dans le même temps, la production industrielle allemande est multipliée par 10. La production croît trois fois plus vite que le nombre d’entreprises entraînant une très forte concentration du capital et du travail dans d’immenses complexes industrielles.

Cette situation mène à la fois à une exploitation totalement déshumanisante des travailleurs et des travailleuses mais c’est également un terreau propice à la formation d’une classe ouvrière consciente de sa force lorsqu’elle s’unit dans la grève.  Très rapidement, le mouvement ouvrier allemand unifié au sein du Parti social démocrate (SPD) va constituer l’avant-garde de la IIème internationale. 

A partir de 1898, l’essentiel de l’activité de Rosa Luxemburg se déroule dans cette ville. Bien plus qu’un tropisme historique, le choix de l’activiste se porte sur la capitale allemande car le socialisme y est autorisé, contrairement à la Pologne sous domination de la Russie tsariste. 

Publiciste, polémiste
Dès son arrivée à Berlin, Rosa Luxemburg, précédée par sa réputation, se met au travail dans les journaux socialistes sous le haut patronage de Friedrich Engels. Elle devient publiciste, journaliste engagée, un métier qu’elle ne quittera plus jusqu’à la fin de sa vie. 

La même année elle est envoyée en Silésie pour militer auprès des minorités polonaises et se retrouve face à face avec son vieil ennemi : le Parti Socialiste Polonais. C’est lors de cette mission que son talent d’oratrice se révèle. Ses discours enflammés subjuguent les foules. Elle dit d’elle même qu’elle “brûle” quand elle parle. Sa capacité à lier raisonnement idéologique implacable à l’expression passionnée pour la défense des opprimées force l’admiration d’un monde peu habitué à laisser la parole aux femmes. 

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Rosa Luxemburg en 1898
Rosa Luxemburg en 1899 à son retour de Silésie, elle entame un combat politique qui durera jusqu’à la fin de sa vie : s’opposer à la pente réformiste du SPD et pousser pour le respect d’une ligne socialiste-révolutionnaire. Elle écrit une série d’articles qui deviendront un livre “Réforme sociale ou Révolution” en avril 1899. Elle y pointe les dangers du marxisme au sein d’une démocratie bourgeoise. Elle craint la parlementarisation du mouvement ouvrier. 

A cette époque, le SPD est un parti de masse qui compte jusqu’à un million de membres fortement imbriqué à 2,5 millions de travailleurs et travailleuses syndiqués. C’est le plus grand parti marxiste qui n’ait jamais existé à l’intérieur d’un pays capitaliste. Au sein de ce parti immense, comme dans pratiquement tous les partis socialistes de la fin du XIXème siècle, deux pôles s’affrontent et tentent d’imposer leur ligne. Rosa Luxemburg ne nie pas la nécessité d’objectif intermédiaire : lutte syndicale, lutte pour des conquêtes au profit des prolétaires et pour la démocratisation de l’Etat. Cependant, ces avancées réformatrices ne doivent pas faire oublier le but final : la révolution socialiste. 

Débats théoriques au sein de l’Internationale Ouvrière
A partir de 1900, c’est au niveau de la IIème Internationale que Rosa porte son combat. 

Elle pousse les partis socialistes français à s’unir, ce qui sera chose faîte à partir de 1905 au sein de la SFIO. Elle met en garde Jaurès contre la parlementarisation du mouvement socialiste déjà bien avancée en France. 

En 1902, suite à la parution de “Que faire, Questions brûlantes de notre mouvement”, elle s’oppose au centralisme prôné par Lénine. Cette discussion n’est cependant loin d’être une rupture. En effet, les deux dirigeants révolutionnaires échangeront toute leur vie restante qui verra une révolution au destin opposé dans chacun de leur pays. Et si ils ont vivement critiqué les positions de l’autre, il semble que cela ait souvent abouti à un rapprochement de leur conception de la forme d’organisation propice à mener la lutte entérinée dans la création de la IIIème internationale communiste. Celle-ci est dirigée par Lénine et l’on n’y trouve de nombreux partisans de Rosa Luxemburg qui ont rompu définitivement avec le SPD. 

1905, les enseignements de la révolution russe réprimées dans le sang
A partir de 1905, tout s’accélère quand éclate la première tentative de révolution en Russie. La dirigeante du SDKP part en Pologne pour défendre sa vision internationaliste contre les accents nationalistes de l’insurrection polonaise. Au bout de trois mois d’activisme acharnée, elle est arrêtée par la police et jetée en prison. Elle est libérée car citoyenne allemande et retrouve Lénine en Finlande pour faire le point sur la puissance extraordinaire de la grève politique démontrée par le soulèvement qui vient de se produire et aussi sur l’échec cuisant et coûteux en espoir et en vie humaine après la répression sanglante orchestrée par le pouvoir tsariste. 

Elle rentre en 1906 pour défendre la ligne révolutionnaire au congrès du SPD contre un centre et une droite du parti qui cède de plus en plus au sirène du réformisme. Elle y défend la symbiose entre le parti, les syndicats et les masses. Les masses sont l’énergie révolutionnaire. Le parti est l’expression des masses, il doit traduire en mot d’ordre politique leur élan, leur conscience de classe, trouver les mots d’ordre juste à chaque instant. Les syndicats doivent être subordonnés au parti. Ils sont l’outil qui permet d’organiser des grèves politiques, revendicatives. 

En 1907, le SPD perd de nombreux sièges aux élections. Les leaders centristes, notamment Kautsky, poussent à l’alliance avec les partis bourgeois. Pour Rosa Luxemburg, c’est une trahison qu’elle ne pardonnera jamais à son ancien ami. A partir de 1910, la rupture est définitivement consommée avec la majorité d’un SPD qui s’éloigne définitivement du marxisme pour se rapprocher des libéraux, qui s’éloigne du pacifisme et marche de plus en plus résolument vers la guerre. Elle obtient cependant une place de professeur à l’école du parti ce qui va lui permettre d’approfondir encore sa réflexion théorique et leur formalisation. 

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Rosa Luxemburg en 1910
Lutte contre l’impérialisme
C’est à cette époque que la publiciste se penche en profondeur sur le problème de l’impérialisme. Elle condamne bien sûr la colonisation mais va plus loin. L’impérialisme est pour elle un stade nouveau du capitalisme qui s’oriente vers un militarisme de plus en plus poussé. Elle analyse que cette montée en puissance de l’armée permet d’une part de conquérir des nouveaux comptoirs, donc d’étendre les débouchés des productions industrielles capitalistes mais ces armes peuvent également être retournées contre le prolétariat lors de grèves ou de manifestations. 

Ces réflexions aboutissent en 1913 à la parution de son second ouvrage majeur : “L’Accumulation du capital, Contribution à l’explication économique de l’impérialisme” 

Marx avait bien montré la baisse tendancielle du taux de profit qui menace à terme le capitalisme. Rosa Luxemburg explique que l’impérialisme est une réponse à cette pression. Pour survivre, le capital a toujours besoin d’envahir, de soumettre à ses lois iniques des nouveaux espaces, de conquérir de nouveaux marchés. 

Une des limites de cet ouvrage est l’absence de vision sur la capacité du capitalisme à remployer la plus value à l’intérieur des économies déjà capitalistes. Ce phénomène aboutira à la société de consommation où les prolétaires eux-mêmes favorisent la machine capitaliste en devenant des débouchés à l’intérieur même du système. 

Tout bascule le 28 juin 1914, l’attentat de Sarajevo.

La guerre
Au sein de la IIème internationale, cette fois-ci de concert avec Jaurès, par ses écrits et discours, Rosa Luxemburg jette toutes ses forces en faveur de la paix. Aucun ouvrier ne doit verser le sang d’autres ouvriers pour répondre aux délires impérialistes des bourgeoisies européennes. En vain. Le 31 juillet, Jaurès est assassiné. La guerre est déclarée. ²Le patriotisme et le nationalisme qu’elle a combattu toute sa vie l’emporte. Jusque dans les rangs des partis socialistes qui votent les crédits de guerre. La boucherie des prolétaires peut commencer. 

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Tous les parlementaires d’Europe votent en faveur de la guerre
Rosa Luxemburg forme avec plusieurs militants, dont Karl Liebknecht, Leo Jogiches, Franz Mehring, Julian Marchlewski, Paul Levi et Clara Zetkin, le noyau de ce qui devient le Gruppe Internationale, puis par la suite le Spartakusbund (la Ligue Spartacus, ou Ligue spartakiste). En décembre 1914, malgré un million de morts en quelques semaines, ils sont seuls à s’opposer à la guerre. 

En février 1915, Rosa Luxemburg est mise en prison. A peine libérée en 1916, elle est à nouveau incarcérée pour les slogans martelés par son nouveau parti spartakiste, un slogan qui résonnera jusqu’à la révolution russe : “à bas la guerre.”  Elle y écrit “Ses lettres de prison.” une correspondance avec l’épouse de Karl Liebknecht. On peut y lire son horreur de la guerre. Elle pointe les responsables : les dirigeants sociaux-démocrates qui ont trahi leur parole, leur cause faisant alliance avec la bourgeoisie. Ces écrits sont également marquants car pleins de joie, d’admiration pour la nature. 

1917 : A bas la guerre
A partir de 1917, tous les efforts des dirigeants pour envoyer les pauvres mourir pour très peu d’idées semblent de plus en plus vain. En Russie, deux révolutions. En Allemagne,  en France, de grandes grèves contre la guerre. Partout, les mutineries. 

Rosa applaudit la Révolution d’octobre. Elle acclame la clairvoyance des bolcheviks qui ont misé sur la radicalité en accord avec les revendications des masses. Cependant, elle critique également l’autoritarisme des chefs. 

Elle admire les mesures coercitives contre la propriété privée mais assume son désaccord sur la question des libertés publiques. Sans élections générales, sans liberté de la presse et de réunions, pèse le risque du règne de la bureaucratie qui étouffe l’élan révolutionnaire des masses. “La démocratie doit commencer au moment de la prise du pouvoir par le parti socialiste, elle (la démocratie) n’est pas autre chose que la dictature du prolétariat”. Elle craint que le parti se sclérose s’il se coupe des masses, de ses revendications, de ses idées, de son action. 

Il est important de préciser que ces critiques se forment dans un fond d’approbation enthousiaste. C’est aux bolcheviks qu’elle s’adresse. Ce sont eux qui représentent ses idées en Russie. Cependant, elle les met en garde contre les effets délétères de leur choix en matière de liberté mais aussi sur le règlement de la question agraire et bien sûr sur le nationalisme, son ennemi de toujours. 

Sur la question agraire elle écrit dans “La révolution russe” :

“La prise de possession des terres par les paysans, conformément au mot d’ordre bref et lapidaire de Lénine et de ses amis : « Allez et prenez la terre ! » conduisait au passage subit et chaotique de la grande propriété foncière non à la propriété sociale, mais une nouvelle propriété privée, et cela par l’émiettement de la grande propriété en une foule de petites et moyennes propriétés. La réforme agraire de Lénine a créé pour le socialisme dans les campagnes une nouvelle et puissante couche d’ennemis, dont la résistance sera beaucoup plus dangereuse et plus opiniâtre que l’était celle de l’aristocratie foncière.”

Sur la question nationale, elle reproche aux bolcheviks d’avoir, par leur mot d’ordre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, abandonné les partis révolutionnaires de Finlande, de Pologne et d’Ukraine. Elle aurait préféré que ces territoires restassent dans l’URSS afin de bénéficier des avancées socialistes permises par la prise de pouvoir soviétique. 

1918, révolution en Allemagne
Liebknecht est libéré le 21 octobre en Allemagne. Partout, c’est l’effervescence, des manifestations contre la guerre et bientôt la révolution. Le 3 novembre, les marins se soulèvent et forment des conseils sur le modèle des soviets russes. Le drapeau rouge est hissé dans les rues. A leur suite, partout en Allemagne, des conseils d’ouvriers et de soldats se réunissent. 

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Le 8 novembre, Rosa Luxemburg est libérée. Le 9, on parle de révolution à Berlin. Les conseils occupent la ville et de fait, exercent le pouvoir. Et le journal des spartakistes, Die Rote Fahne (Le Drapeau rouge) commence à se diffuser dans les masses en action. 

Liebknecht proclame la république des conseils d’ouvriers et de soldats devant le palais déserté par l’empereur Guillaume II. 2 heures plus tard, le Reichstag proclame la République allemande. La lutte des légitimités est lancée. Elle s’achèvera 40 jours plus tard par l’assassinat des deux leaders spartakistes et la victoire de la bourgeoisie parlementaire. 

Le 10 un conseil exécutif des conseils est élu à Berlin, cependant, Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht et les spartakistes ne sont pas nommés par des soldats épuisés qui n’ont plus de volonté que pour une chose : la fin des affrontements. Il semble que dès ce moment-là, la grande théoricienne a compris. Les masses ne sont pas prêtes. Elles n’ont pas atteint un niveau suffisant de conscience de leurs intérêts partagés. Cela restera des supputations car dans ces actes, elle poursuit le combat politique avec acharnement. 

Dans le même temps, au Parlement, on prépare la répression. Lors de la signature de l’armistice, les généraux allemands réclament et obtiennent qu’on leur laisse 5000 mitrailleuses avec un objectif : rétablir l’ordre à Berlin. Comme un écho funeste des troupes rendues par Bismarck à Adolphe Thiers pour écraser la Commune de Paris. 

Les écrits de Rosa Luxemburg agitent les masses ouvrières dans toutes les grandes villes allemandes mais ne parviennent pas à atteindre les campagnes. Dans le même temps, les soldats rentrent du front, la propagande révolutionnaire ne les touche pas. La défaite leur apporte quand même la paix, ils n’aspirent qu’au repos. 

Le 6 décembre, premier affrontement entre les prolétaires révoltés de Berlin et la police : 14 morts chez les spartakistes. Le 8 décembre, la foule répond par d’immense manifestation. Face au risque d’embrasement, le patronat accorde 25% d’augmentation de salaire et la journée de 8 heures. Les élections pour l’Assemblée constituante sont convoquées. Le 10, le première troupe contre-révolutionnaire entre dans Berlin. Dès lors, Berlin est le théâtre d’affrontements sanglants entre troupes révolutionnaires et contre-révolutionnaires, entre la division de marine et les corps francs. 

Le 31 décembre 1918, Rosa Luxemburg participe à la fondation du parti communiste allemand. Le parti est tiraillé par la question de la participation aux élections générales. Rosa milite en faveur de la participation comme point d’appui pour la conscientisation des masses. Le parti opte pour l’insurrection dans la nuit du 5 au 6 janvier. La théoricienne n’y croit pas car elle juge le mouvement totalement prématuré mais choisit de le soutenir par loyauté. Elle met toute son énergie dans ses articles du Drapeau Rouge. Le soulèvement insurrectionnel échoue. 

La Semaine spartakiste
La violence de la répression monte encore d’un cran. Des affiches appellent au meurtre des spartakistes. Les corps francs, milices réactionnaires, attaquent les quartiers de Berlin tenus par les socialistes révolutionnaires. C’est une nouvelle Semaine Sanglante. 

Le 14 janvier Liebknecht et Luxemburg sont arrêtés. Dans la nuit, ils sont assassinés. Leur corps cachés pour éviter qu’ils ne deviennent des martyrs. Celui de Rosa Luxemburg ne sera retrouvé que bien des mois plus tard, dans un canal du Tiergarten, ce parc où elle allait chaque jour se promener pour soupeser ses idées avant de les coucher sur papier, au premier temps de son travail de publiciste. 

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Le 14 janvier 1919 le jour même de son assassinat sur ordre du gouvernement allemand paraissait ce qui restera le dernier article de la grande socialiste. 

L’ordre règne à Berlin
« L’ordre règne à Varsovie », « l’ordre règne à Paris », « l’ordre règne à Berlin ». Tous les demi-siècles, les gardiens de « l’ordre » lancent ainsi dans un des foyers de la lutte mondiale leurs bulletins de victoire. Et ces « vainqueurs » qui exultent ne s’aperçoivent pas qu’un « ordre », qui a besoin d’être maintenu périodiquement par de sanglantes hécatombes, va inéluctablement à sa perte.

Elle achève par ces mots : « L’ordre règne à Berlin ! » sbires stupides ! Votre « ordre » est bâti sur le sable. Dès demain la révolution « se dressera de nouveau avec fracas » proclamant à son de trompe pour votre plus grand effroi

J’étais, je suis, je serai !

Rosa Luxemburg

Par Ulysse

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Une Place, d’Eva Kirilof, explique brillamment l’absence des femmes de l’histoire de l’art

13 Décembre 2022, 06:07am

Publié par hugo

 Une Place, d’Eva Kirilof, explique brillamment l’absence des femmes de l’histoire de l’art
Marie-Stéphanie Servos 11 déc 2022

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MADMOIZELLE  POP CULTURE  LIVRES
Dans un essai illustré intitulé « Une Place », Eva Kirilof, autrice de la newsletter La Superbe, tente d’expliquer pourquoi et comment les femmes artistes ont si longtemps été ostracisées de l’histoire de l’art. Un ouvrage aussi beau que passionnant, qui remet les choses à leur place.
Il pourrait constituer un beau cadeau de Noël à offrir à votre vieil oncle un peu réac, qui jure chaque année que les femmes n’ont jamais compté dans l’Histoire au sens large. Une Place, écrit par Eva Kirilof (autrice de la newsletter La Superbe) et richement illustré par Mathilde Lemiesle est un essai important qui tente d’expliquer très simplement comment les femmes artistes ont si longtemps été ostracisées de l’histoire de l’art, et comment, pendant des décennies, les institutions culturelles et les cours de fac ont bien tenté de nous faire croire qu’elles n’avaient tout simplement jamais existé. C’est pourtant tout le contraire, et ce livre, qui est aussi un bel objet, nous le prouve, s’il était encore nécessaire de le faire.

Il faut faire de ces femmes des artistes familières et non des exceptions.

Eva Kirilof
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Interview de Eva Kirilof
Madmoizelle. Comment est née l’envie d’écrire Une Place ?
Eva Kirilof. Une Place est né de ma rencontre avec Mathilde Lemiesle, qui a illustré l’ouvrage. Elle suivait mon travail depuis un moment via ma newsletter La Superbe et Instagram, et m’a proposé que l’on collabore ensemble. Le livre était en gestation dans un coin de ma tête depuis un moment, mais j’attendais d’avoir l’opportunité de proposer quelque chose de différent avant d’oser me lancer. Le format illustré m’a séduit, car je n’avais jamais vu d’essais graphiques sur ce sujet. 

Une fois que l’on commence à gratter, on se rend très rapidement compte qu’il y a eu énormément de femmes artistes.

Eva Kirilof
À quel moment vous êtes-vous aperçu que l’histoire de l’art avait quasi ostracisé les femmes ?
Très tard. Trop tard. Je ne me suis pas du tout posé la question de la non-présence des femmes dans l’histoire de l’art pendant mes études. Si des professeurs d’université, autorités ultimes pour moi à l’époque, n’en parlaient pas ou très très peu, c’est que la question ne se posait pas. Pareil pour les musées. Si des institutions scientifiques spécialisées dans ces sujets n’en montraient pas ou peu, c’était qu’il y en avait sûrement très peu finalement. Ma confiance dans les institutions, c’est finalement ce qui a retardé cette prise de conscience. L’arrivée de la maternité dans ma vie a clairement éveillé mon féminisme et avec, la volonté de me replonger dans l’histoire de l’art à travers le prisme du genre. Car évidemment, une fois que l’on commence à gratter, on se rend très rapidement compte qu’il y a eu énormément de femmes artistes.

En résumé, comment expliquer que les femmes artistes ont si longtemps été mises de côté ?
Il y a cette idée très tenace que les femmes appartiennent avant toute chose à la sphère privée et domestique. Que c’est à cet endroit-là que leurs destins se jouent. C’est bien évidemment une façon de les dominer, et pour ce faire, la société patriarcale capitaliste dans laquelle on évolue les a gardées en périphérie de nombreux domaines comme celui de l’histoire de l’art. Notre iconographie, notre histoire culturelle, et plus largement nos imaginaires collectifs devaient être le fait des hommes pour continuer à maintenir leur hégémonie. Malgré les très nombreuses embûches (comme le non-accès à une éducation artistique exactement au même titre que les hommes avant le tout début du 20e siècle, des cours privés payants, le non-accès aux concours, aux modèles nus, sans compter le sexisme ambiant) de nombreuses femmes, cependant souvent blanches et de milieux privilégiés ont été des artistes reconnues qui vivaient de leur art, et ce, depuis des siècles. Il faudra attendre les mouvements sociaux pour les droits des femmes, mais aussi la seconde vague de féminisme états-unienne pour que l’on en parle. Depuis les années 1970, des historiennes de l’art féministes tentent de les réhabiliter, de les réintroduire dans la grande histoire. Mais comme souvent, cela prend du temps et beaucoup de patience, car notre société a encore du mal à penser l’histoire de l’art en dehors des « génies » qu’elle a créé.

Ce n’est pas un oubli si les femmes sont sous représentées dans les musées, galeries, salles de ventes, mais le résultat d’un système pensé pour ne pas les inclure. C’est ce que j’essaye de démontrer dans Une Place.

Eva Kirilof
Il semble que l’on vive une période de « redécouverte » de nombreuses femmes artistes, que l’on met en lumière à coups de grandes expositions, d’ouvrages… Que penser de ce mea culpa des institutions ? Vient-il à point ou est-ce surtout un enjeu marketing ?
Je pense que depuis le mouvement #MeToo, il y a un désormais un intérêt pour plus de parité dans le champ artistiques. Les lignes bougent depuis plus longtemps dans le monde anglo-saxon qui fait un travail d’introduction d’œuvres de femmes dans les collections permanentes des musées (les cas de la Tate Modern et de la Tate Britain sont assez incroyables) proposent de nombreuses expositions monographiques d’artistes femmes ce qui est primordial pour créer du savoir autour d’elles. Du côté francophone, je constate que les choses bougent plus lentement, on reste sur un format « catalogue » d’artistes femmes que ça soit autant au niveau des expositions que des livres. C’est un format qui était nécessaire il y a 50 ans, je pense notamment à l’exposition « Women Artists: 1550-1950 » de 1976 dirigée par les historiennes  Linda Nochlin et Ann Sutherland Harris, mais selon moi, aujourd’hui, on peut aller plus loin en proposant des expositions monographiques et surtout en incluant les femmes dans les expositions permanentes. C’est ça qui instaurera leur présence au sein des musées durablement. Je ne pense pas que ça soit un mea culpa des institutions, il va falloir aller plus loin pour ça, car évidemment le public n’est pas dupe, c’est du changement sur du long terme que l’on aimerait. Mais pour le moment, elles répondent à un intérêt du public, à un changement qui s’opère et auquel ces institutions veulent s’associer. Il faudra voir comment elles vont transformer l’essai. Pour le phénomène de mode et le coup marketing, moi je dis tant mieux si ça sert in fine à faire connaître ces artistes, mais clairement à un moment, il faudra se positionner et comprendre les limites de ce modèle qui participe aussi à leur ostracisation. Personnellement, je ne pense pas que continuer à faire dialoguer les femmes artistes entre elles exclusivement, comme si elles n’avaient pas évolué dans un monde d’hommes, va nous emmener là où l’on aimerait être.

Que reste-t-il concrètement et réellement à faire pour donner la lumière qu’elles méritent aux femmes artistes de l’histoire de l’art ? 
La directrice de la Tate Modern de Londres, Frances Morris, a dit une phrase qui me semble essentielle : « la familiarité engendre l’autorité. Les gens aiment ce qu’ils connaissent. » Il faut faire de ces femmes des artistes familières et non des exceptions. Il faut repenser les pratiques curatoriales, dites féministes qui comportent de nombreux biais souvent essentialisant, il faut pérenniser leurs présences dans les cursus scolaires et universitaires, dans les collections permanentes des musées, débloquer de l’argent pour la recherche, métier souvent précaire et essentiel pour que l’on puisse créer du savoir autour de ces artistes, pour la restauration et la conservation de leurs œuvres. Puis, aussi, se remettre globalement en question, comprendre que ce n’est pas un oubli si les femmes sont sous représentées dans les musées, galeries, salles de ventes (même si j’ai vu que ça bougeait aussi pas mal dernièrement de ce côté-là) mais le résultat d’un système pensé pour ne pas les inclure. C’est ce que j’essaye de démontrer dans Une Place.

Dans votre livre, vous parlez de nombreuses femmes. Lesquelles choisiriez-vous si vous deviez seulement nous inviter à découvrir quelques-unes ?
Il est vrai que mon but n’était pas de faire découvrir de nouvelles artistes grâce au livre, mais j’étais très contente d’y faire figurer l’artiste portugaise Paula Rego qui est peut-être l’une des artistes qui me fascine le plus. Janet Sobel aussi, car je pense être toujours plus attirée par les autodidactes, et enfin peut-être Mierle Laderman Ukeles, car elle participe à politiser la maternité. 

« Une Place », Eva Kirilof et Mathilde Lemiesle (illustration), 29,95€
À lire aussi : Le Cercle de l’Art veut aider les femmes artistes à sortir de la précarité

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Publié le 11 décembre 2022 à 20h30


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