L’école des loupés pour des milliers d’élèves handicapés
Publié le 18 septembre 2017
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⦁ Plusieurs milliers d’élèves handicapés n’avaient pas leur auxiliaire de vie scolaire le jour de la rentrée. Deux semaines plus tard, de nombreux enfants attendent encore leur AVS. Et certains ne sont toujours pas allés à l’école.
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⦁ Sans son AVS, Émile ne peut intégrer un CM1 ordinaire.
Officiellement, la rentrée des classes a eu lieu le 4 septembre. Pour Émile, par contre, l’année scolaire n’a pas encore réellement commencé. Le garçon de dix ans est accueilli dans une Ulis, une classe pour enfants handicapés dans une école ordinaire. Mais l’auxiliaire de vie scolaire (AVS) qui doit l’accompagner n’est toujours pas arrivé. « Cette année, il doit être intégré dans un CM1 classique, précise sa maman, Agnès Lefevbre. Mais sans AVS, ce projet est impossible. Le plus inquiétant c’est que personne n’est en mesure de nous dire quand il ou elle arrivera. »
Emmanuel Macron s’était pourtant engagé à « donner accès à un AVS à tous les enfants en situation de handicap qui en ont besoin ». Certes, Sophie Cluzel, la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées avait reconnu, début septembre, que tous les auxiliaires ne seraient « pas là le jour J ». Mais elle avait assuré que les enfants sans AVS le 4 septembre auraient « une solution (…) dans les quelques jours », « dans la semaine qui suit ». Deux semaines jour pour jour après la rentrée, Faire-face.fr dresse le bilan.
Combien d’enfants handicapés n’avaient pas leur AVS le jour de la rentrée ?
« Nous ne disposerons de données chiffrées que fin septembre », précise le cabinet de la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées. En attendant, il faut donc se contenter d’indicateurs incomplets mais néanmoins révélateurs. Comme cette enquête réalisée par Autisme France, Egalited, Info Droit Handicap et TouPI.
Plus de 1 600 parents d’enfants en situation de handicap ont rempli le questionnaire que ces associations avaient mis en ligne entre le 6 et le 12 septembre. 503 élèves se sont retrouvés sans AVS le jour de la rentrée, alors que leurs besoins avaient été reconnus par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Et pour 127 autres, l’AVS était bien là, mais pas pour le nombre d’heures notifié.
« Ces résultats ne sont pas extrapolables à l’ensemble de 164 000 élèves censés avoir un AVS, car notre échantillon n’est pas représentatif, mais cela donne quand même des tendances », explicite Marion Aubry, la vice-présidente de TouPI. Plusieurs milliers d’enfants se sont, sans aucun doute, retrouvés sans auxiliaires le jour de la rentrée. Au bas mot 10 000, estime Marion Aubry.
Le fils de Julie Klein, Léo (ici avec sa sœur), a fait sa rentrée sans AVS.
Les enfants sans AVS ont-il fait leur rentrée ?
Ce qui est sûr également, c’est que, faute d’AVS, plusieurs centaines d’entre eux, voire plus (au moins 2 000, selon Marion Aubry), n’ont pas fait leur rentrée en même temps que les autres. Près d’un sur cinq, 93 exactement, était dans ce cas parmi les 503 élèves sans AVS le jour de rentrée, dont les parents ont répondu au questionnaire en ligne. Et 85 n’ont eu qu’un temps de scolarisation réduit.
« Les deux premières semaines, j’ai refusé de laisser Jahyan à l’école sans l’AVS qui doit l’accompagner 18 heures par semaine, raconte Émilie Guillaume, la maman de ce jeune garçon de 4 ans, atteints de troubles du spectre autistique. L’année dernière, en petite section de maternelle, il n’avait pas de notification de la MDPH et cela s’était très mal passé. Il ne voulait plus aller à l’école et n’en dormait plus. Il était hors de question que cela se reproduise. »
Marie Ruffin, elle, voulait que son enfant aille en classe. « Mais la directrice de l’école et sa maitresse ont refusé de le scolariser sans AVS, s’indigne la mère de Tom, un garçonnet de 5 ans, porteur de trisomie 21. Elles ont juste accepté de faire un essai pendant 1h30 pour me dire ensuite que ce n’était pas possible. Il a fallu que je menace d’alerter les médias pour qu’elles acceptent de l’accueillir à partir de ce lundi. »
D’autres parents encore se sont résolus à laisser leur enfant à l’école sans AVS. Tout en ayant conscience que cette situation n’est pas tenable. « Le handicap moteur de Lucas l’empêche d’effectuer les gestes de motricité fine, tenir un crayon par exemple. Et cela altère son équilibre et son endurance, explique ainsi Lætitia Chevolleau, la maman de ce garçon de 5 ans. Les professionnels qui le suivent sont unanimes quant à sa fatigabilité. Il ne pourra continuer à être scolarisé à temps plein que s’il bénéficie de l’aide humaine à laquelle il a droit, c’est à dire 20 heures par semaine. »
Tous les enfants ont-ils désormais un AVS ?
Émile, le fils d’Agnès Lefebvre, est loin d’être le seul enfant toujours sans AVS, deux semaines jour pour jour après la rentrée des classes. Jahyan est dans le même cas. Édith Boscher attend, elle aussi, toujours l’auxiliaire qui devrait accompagner sa fille, 18 heures par semaine : « Je suis tout à la fois révoltée, désespérée et écœurée par les fausses promesses. »
Tout comme Constance Carreau Van Laecke, la maman de Gabriel, 9 ans, en CM1 ; Isabelle Larelle, qui garde Mathis à la maison tant que son AVS n’est pas arrivé en petite section de maternelle, ou bien encore Julie Klein. « Pour le moment, l’école fait de son mieux avec les autres AVS déjà en poste, mais c’est du bricolage », explique la mère de Léo, en petite section de maternelle.
Et lorsque l’AVS est arrivé, ce n’est pas toujours pour le nombre d’heure notifié par la MDPH. La semaine dernière, Lucas n’a bénéficié que de six heures d’accompagnement sur les 20 heures notifiées par la MDPH. « Son accompagnement doit être mis en place au plus vite afin que ses droits cessent d’être bafoués », s’insurge Lætitia Chevolleau.
Sophie Cluzel veut « créer des emplois qui soient pérennes » pour les AVS.
Pourquoi tous ces ratés ?
« Ce n’est pas une question de moyens, plaide le cabinet de Sophie Cluzel. Le budget a été dégagé pour 80 000 auxiliaires de vie scolaire, car c’est le nombre qui correspond aux notifications des MPDH. Dont 50 000 contrats aidés qui ont été sanctuarisés pour l’accompagnement des élèves handicapés. »
Alors ? Alors, tant que l’accompagnement des enfants en situation de handicap reposera sur ces contrats aidés, il y aura des milliers d’enfants sans AVS le jour de la rentrée. L’Éducation nationale embauche des salariés qui n’ont pas vocation à rester. Le ministère doit donc jongler en permanence avec les échéances de leurs contrats mais aussi les démissions. Ces salariés sont en effet peu, voire pas formés ; leur temps de travail, limité (une vingtaine d’heures) ; leur rémunération, faible (moins de 690 €) ; leurs missions, parfois mal comprises par les enseignants.
Sophie Cluzel a d’ailleurs reconnu « qu’il y aura ces dysfonctionnements (…) tant qu’on aura ces contrats aidés ». L’enjeu est donc de « créer des emplois qui soient pérennes ». Ce sera le but du chantier sur l’accompagnement des élèves en situation de handicap qui sera lancé en octobre.
La secrétaire d’État veut « créer de vrais emplois de 35 heures qui peuvent aller sur le temps scolaire, sur le temps hors scolaire, dans les centres de loisirs, dans les stages, dans l’insertion professionnelle ». Des accompagnants qui suivent l’enfant, à l’école et ailleurs, si besoin. Reste à espérer que cette réforme soit menée dans les plus brefs délais. Pour éviter une rentrée chaotique de plus, l’année prochaine. Franck Seuret
Qui doit payer l’AVS ?
Thibault Mangin a trouvé sa voie. À 18 ans, le jeune homme, a commencé à préparer, à la rentrée, un bac horticole dans un Centre de formation par apprentissage agricole (CFAA). Il va donc partager son temps entre la salle de classe et un employeur. Ses déficiences visuelles et auditives rendent nécessaire la présence, en cours, d’un AVS. Il lui faut également du matériel adapté d’une valeur de 6 000 €. Ces besoins ont d’ailleurs été reconnus par la MDPH.
« Mais le ministère de l’agriculture, dont dépend le CFAA, ne veut pas payer, dénonce sa mère Emmanuelle Mangin. Il dit que c’est à l’employeur de le faire. » La mairie, qui l’a pris comme apprenti, s’étonne d’avoir à financer ce surcoût lié à sa scolarité. « Heureusement que la directrice du CFAA et son responsable à la mairie ont une attitude formidable, poursuit Emmanuelle Mangin. Mais si aucune solution de financement n’est trouvée, il n’est pas du tout sûr que Thibault puisse continuer à suivre sa formation. Nous sommes vraiment dépités. »
http://www.faire-face.fr/2017/09/18/rentree-problemes-handicap/