Journée internationale du jazz : ces femmes qui font swinger l'Histoire
Journée internationale du jazz : ces femmes qui font swinger l’Histoire
Journée internationale du jazz : ces femmes qui font swinger l’Histoire - © suteishi - Getty Images
Emma Mestriner
Publié le vendredi 30 avril 2021 à 10h06
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L'année 2021 marque le 10e anniversaire de la Journée internationale du jazz de l’UNESCO. Depuis son adoption, chaque 30 avril, des personnes du monde entier célèbrent le jazz comme "outil universel de promotion de la paix, du dialogue, de la diversité et du respect de la dignité humaine". Et pourtant, si le jazz a joué un rôle fondamental dans la lutte contre les discriminations raciales et sociales, tout comme le milieu de la musique en général, il a stigmatisé les femmes.
Le jazz : un bastion d’hommes ?
Bien qu’on nous apprend souvent à considérer l’histoire du jazz sous le prisme masculin, (taper dans un célèbre moteur de recherche recherches "artistes jazz" est assez éloquent), dès son commencement au début du 20e siècle, les femmes ont joué un rôle important, y compris sur scène. Pendant la Seconde Guerre mondiale, en plein cœur de l'ère du swing, des groupes exclusivement féminins ont émergé comblant ainsi le vide laissé par les hommes partis en guerre.
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Un des plus marquants de l’époque : l'International Sweethearts of Rhythm. Dans un article du New-York Times, Hannah Grantham musicologue au National Museum of Africain American History and Culture explique : "Ces femmes du jazz ont été des pionnières, et d'énormes promotrices de la diffusion du jazz et de sa mondialisation".
Aux femmes le chant, aux hommes les instruments
Cependant, outre ces quelques groupes de badass 100% féminins, le jazz a historiquement relégué les femmes à des rôles très spécifiques, quand elles n’étaient pas totalement oubliées. Ainsi, les orchestres de jazz toléraient qu’elles soient chanteuses ou pianistes. En effet, quand on y regarde de plus près, les grands noms féminins qui ont marqué l’Histoire du jazz (Nina Simone, Mary Lou Williams, Sarah Vaughan, Lil Hardin Armstrong, Alice Coltrane , Etta James, Ella Fitzgerald, Billie Holiday, Peggy Lee, etc) sont connues pour leurs voix talentueuses ou excellent dans des instruments qu’on considérait "faits pour les femmes" (le piano, par exemple). Et c’est un fait : au début du siècle, les femmes se tenaient rarement sur un pupitre de l’orchestre jazz et on ne tolérait pas qu’elle s’emparent d’un saxophone, d’une contrebasse ou - pire encore - d’une batterie !
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Des ouvrages scientifiques dont celui de Marie Buscatto (sociologue à la Sorbonne) montrent que cette tendance historique s’est perpétrée jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, en 2018 en France, l’experte pointe que 65% des chanteuses de jazz sont des femmes et qu’elles constituent moins de 4 % des instrumentistes. Et lorsqu’elles sortent des stéréotypes de genre, elles restent marginalisée dans des instruments dits "féminins" (comme le violon ou le piano) et sont très peu voire inexistantes dans des instruments dits "masculins" (batterie, trompette, guitare électrique).
Un avis que partage Yasmina Kachouche. Selon l’enseignante et musicienne de jazz, les femmes du milieu subissent à la fois une ségrégation verticale et horizontale : "Traditionnellement les femmes sont spécialisées dans certaines activités musicales comme le chant et exclues des autres activités musicales", explique-t-elle. Beaucoup de chanteuses connues donc, et très peu d’instrumentistes femmes.
Ces femmes du jazz ont été des pionnières, et d'énormes promotrices de la diffusion du jazz et de sa mondialisation
Alors, en cette journée internationale du Jazz, les Grenades vous propose un Big band (orchestre de jazz) 100% féminin. Une liste (non-exhaustive) de femmes qui se sont imposées et qui continuent de faire swinger nos oreilles.
Chanteuse : Sibongile Khumalo (1957-2021)
Cette journée est l’occasion de rendre hommage à l’une des grandes voix décédée en janvier 2021 : Sibongile Khumalo.
Qui est-elle ? C’est dans l’opéra, la musique traditionnelle africaine et surtout le jazz que la chanteuse sud-africaine se démarque. Elle se fait connaître en 1994, lors des célébrations nationales de l’élection de Nelson Mandela à la présidence de la république sud-africaine.
En quoi a-t-elle marqué l’histoire du jazz ? Comparée à des voix comme celles d’Ella Fitzgerald ou de Betty Carter, Sibongile Khumalo remporte 4 South African Music Awards. En 2021, elle s’éteint laissant derrière elle une oeuvre musicale majestueuse ainsi qu’un symbole politique fort.
Trompettiste : Clora Bryant (1927-2019)
Qui est-elle ? Originaire du Texas, Clora Bryant fait partie de la première génération de musiciennes bebop (un genre musical de jazz qui a émergé dans les années 40). Elle s’illustre très vite dans les clubs de Los Angeles.
En quoi a-t-elle marqué l’histoire du jazz ? Elle devient une soliste vedette de l'International Sweethearts of Rhythm : un big band 100% féminin et première formation musicale aux USA à accueillir des musiciennes sans distinction de couleur de peau. Au fil de sa carrière, Clora devient mentore de nombreux et nombreuses artistes et se produit avec de grands noms (Billie Holiday, Josephine Baker ou encore Harry James). Sa carrière et son engagement pour plus de visibilité des femmes lui vaudra le surnom de "l’aînée respectée" de la scène jazzy à Los Angeles.
Pianiste : Toshiko Akiyoshi (1929- )
Qui est-elle ? Née en Mandchourie, la pianiste et cheffe d’orchestre américano-japonaise, Toshiko Akiyoshi fait ses premiers pas au piano âgée d’à peine 6 ans. Durant son adolescence, elle entend pour la première fois du jazz : c’est le coup de foudre. Après des études aux USA au prestigieux Berklee College of Music de Boston, sa carrière décolle.
En quoi marque-t-elle l’histoire du jazz ? Dans les années 1970, elle commence à intégrer des éléments japonais dans sa musique. Une contribution unique au jazz pour laquelle elle est encore reconnue aujourd'hui. Elle est récompensée par le célèbre magazine de jazz américain Down Beat (elle est d’ailleurs la première femme à avoir été nommée à la fois "Meilleure compositrice" et "Meilleure arrangeuse" par le magazine).
Compositrice : Nadah El Shazly
Qui est-elle ? Originaire du Caire, Nadah El Shazly est depuis quelques années une étoile montante de la scène musicale égyptienne et moyen-orientale.
En quoi marque-elle l’histoire du jazz ? Elle est une des musiciennes les plus indéfinissables tant son style est original. Son premier album Ahwar (2017) est une exploration hallucinante de la musique arabe, de l’improvisation jazzy et de l’électronique. Cela lui vaut de nombreuses critiques élogieuses à l’époque de sa sortie
Violoniste : Yilian Canizares (1983 - )
Qui est-elle ? Née à la Havane (Cuba), Yilian Canizares est une musicienne qui jongle du classique au jazz. Son dernier album Erzulie (2019) est dédié à la divinité haïtienne de l’amour et la liberté. Enregistré à la Nouvelle-Orléans, ce disque lui vaut une nomination de meilleure artiste au Songlines Music Awards en 2021.
En quoi marque-t-elle l’histoire du jazz ? Sa particularité ? Elle chante et joue du violon en même temps. Son style reflète ses différentes influences. On y retrouve des touches de jazz, de classique, de musique cubaine, avec une large place laissée à l’improvisation. Le magazine Les Inrockuptibles parle d’une "orchestration jazz mêlée de percussions empruntées aux rituels yoruba."
Batteuse : Terri Lyne Carrington (1965 - )
Qui est-elle ? Considérée comme l’une des plus illustres batteuses de jazz contemporain, Terri Lyne Carrington mène une carrière musicale depuis près de 30 ans. A 7 ans, elle reçoit sa première batterie. Passionnée, elle décide d’en faire son métier.
En quoi marque-t-elle l’histoire du jazz ? Elle a joué avec de grands noms (Herbie Handock ou AL Jarrea). Elle reçoit deux Grammy Awards (prix du meilleur album de jazz en 2012 et en 2014). Ce premier album Mosaic Projectif est une collaboration jazz d’artistes féminines.
Tromboniste : Melba Liston (1926-1999)
Qui est-elle ? Originaire de Kansas City, Melba Liston est connue pour être la première femme afro-américaine tromboniste dans les big bands majoritairement masculins (entre les années 1940 et 1960).
En quoi a-t-elle marqué l’histoire du jazz ? Bien qu’elle n’ait enregistré qu’un seul album solo en tant que cheffe d’orchestre, elle laisse aussi une trace indélébile à travers ses nombreuses contributions en tant que compositrice et arrangeuse. Elle se démarque particulièrement par sa collaboration avec le pianiste Randy Weston. Leur album "The Spirits of Our Ancestors" (1991) sera acclamé par la critique.
Contrebassiste : Sélène Saint-Aimé
Qui est-elle ? Une fois son bac en poche (2012), Sélène Saint-Aimé décide d’écouter sa passion : le jazz, qu’elle découvre quelques années plus tôt dans un festival où elle est bénévole. Par la suite, elle croise le chemin de Steve Coleman (saxophoniste américain de renom) et part avec lui à New-York, où elle enchaîne les séjours et les représentations sur scènes. Sa musique se développe à travers ses voyages et rencontres (Cuba, Martinique, USA, Afrique du Nord, Italie,…).
En quoi marque-t-elle l’histoire du jazz ? Étoile montante du jazz en France, elle sort son tout premier album "Mare Undarum" ("mer des ondes", en latin) en septembre 2020. L’inspiration de ce titre ? La lune. Jeune pépite de la contrebasse, elle se démarque par un jazz qui puise aux racines africaines et caribéennes.
Vibraphoniste : Terry Pollard (1931-2009)
Qui est-elle ? Originaire de Détroit au Michigan (une ville connue pour son influence sur la musique jazz) elle commence le piano dès son plus jeune âge. Elle côtoie pour la première fois la scène avec son vibraphone dans les années 50. Sa carrière prend son envol lorsque Terry Gribbs (vibraphoniste) l’embauche pour une tournée à travers les USA.
En quoi a-t-elle marqué l’histoire du jazz ? Figure majeure de la scène jazz de Détroit, elle est pourtant décrite comme "une musicienne inexplicablement ignorée". Elle fait mouche à travers l’éloquence de ses solos et parvient à poser une fougue naturelle de vibraphoniste avec beaucoup de subtilité sans que cela nuise au swing collectif
Saxophoniste : Candy Dulfer (1969- )
Qui est-elle ? Saxophoniste néerlandaise, Candy Dulfer s’illustre dans le jazz-funk, le smooth-jazz ou encore le pop-jazz. Elle est révélée au grand public par le chanteur Prince (rien que ça). (1989). L’année suivante, elle sort son premier album jazz Saxualité et son titre "Lily Was here" connaît un succès international.
En quoi marque-t-elle l’histoire du jazz ? Elle obtient la seconde position dans le classement Billboard Top contemporain Jazz Classement en 2007 avec son album Candy Store. En 2012, elle crée le Ladies of Soul, un groupe qui se produit dans une série de concerts commémoratifs en hommage à Withney Houston. Enfin, elle est également connue pour ses nombreuses collaborations (Prince, Dave Stewart, Van Morrison, Maceo Parker)
Organiste : Rhoda Scott (1938- )
Qui est-elle ? Surnommée "the Barefoot Lady" (" la dame aux pieds nus ") de l'habitude qu'elle prend toute petite pour jouer du pédalier et qu'elle continue sur scène, c’est à 8 ans que Rhoda Scott joue ses premières notes sur l’orgue Hammond de l’église de son père. On lui reconnaît d’ailleurs un talent qui lui permet d’exceller dans les gospels autant que dans le jazz ou la musique classique.
En quoi marque-t-elle l’histoire du jazz ? Outre sa carrière internationale qu’elle mène depuis plus de 70 ans (elle joue avec les plus grand·e·s : Ray Charles, Sarah Morrow ou encore Ella Fitzgerald), elle crée en 1994 (à l’occasion du Festival de Vienne) le Lady Quartet. Il s’agit d’une formation 100% féminine de haut vol composée de Sophie Alour (saxophone ténor), Airelle Besson (bugle), Lisa Cat-Berro (saxophone alto) et Julie Saury (batterie). En 2018, Rhoda Scott gagne la victoire d’honneur aux Victoires du jazz (France).
Guitariste : Emily Remler (1957-1990)
Qui est-elle ? Originaire du New Jersey, Remler elle joue durant son adolescence un peu de rock et de folk. Ce n'est que lorsqu'elle entre au Berkelee College of Music, où elle est exposée aux œuvres de Charlie Christiansen et de Wes Montgomery, qu’elle décide d'apprendre le jazz. Elle s'est rapidement fait une réputation en donnant des concerts à New York avec des chanteurs et en dirigeant ses propres groupes. Dynamique et nuancé, son "Remler" s’est fait une place de choix dans la guitare bebop.
En quoi a-t-elle marqué l’histoire du jazz ? Emily Remler a repris là où Mary Osborne s'était arrêtée (une guitariste de jazz très réputée dans les 40’s et 50’s). Comme Osborne, Remler a montré une fois de plus au monde que la guitare n'est pas seulement un instrument d'homme
Pour aller plus loin :
Le documentaire de Judy Chaikin, The Girls in the Band (2011), montre ce que les femmes ont enduré pour lutter contre l’objectivation sexuelle dans le monde du jazz.
Marie Buscatto, Femmes du jazz. Musicalités, féminités, marginalités, Paris, Biblis/CNRS Édition, 2018 [2007]
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