Argentine : quels sont les enjeux du vote sur l'avortement ?
Le parlement argentin se prononce, ce mercredi 13 juin, pour ou contre la légalisation de l'IVG. Depuis plusieurs semaines dans le pays, les manifestations s'enchaînent pour défendre le droit à l'avortement.
La mobilisation est forte en Argentine pour demander "l'avortement légal et à l'hôpital", comme lors d'une grande manifestation à Buenos Aires, le 3 juin 2018.
Crédit : EITAN ABRAMOVICH / AFP
Emeline Ferry
Journaliste
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publié le 13/06/2018 à 08:03
Deux semaines après la légalisation de l'avortement en Irlande, c'est au tour de l'Argentine de décider si, oui ou non, l'interruption volontaire de grossesse (IVG) peut être autorisée. Ce mercredi 13 juin, le Parlement se penche sur ce sujet qui divise le pays.
L'Argentine s'est montrée novatrice en devenant le premier pays d'Amérique latine à autoriser le mariage pour tous en 2010, ou encore avec ses lois pour les droits des personnes transgenres. Pourtant très imprégnée de la culture catholique conservatrice, la législation du pays est très restrictive en ce qui concerne l'IVG.
Depuis plusieurs semaines, les militants et militantes pro-avortement se mobilisent et manifestent pour défendre ce droit fondamental. De quoi faire pencher la balance ? On vous explique les enjeux de ce vote qui pourrait changer la vie de millions de femmes.
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Quelle est la législation actuelle ?
Actuellement, l'Argentine interdit l'avortement, sauf en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère. Selon les provinces, la limite de temps pour avorter varie. Récemment, le cas d'une fillette de 10 ans, tombée enceinte, après avoir été violée par son beau-père, a suscité la polémique.
Dans un cas extrême comme le sien, elle aurait pu avorter, mais la très conservatrice province de Salta, où elle réside, limite l'IVG en cas de viol aux 12 premières semaines de grossesse. Or, dans ce cas-là, elle n'a été détectée qu'à la 21e semaine.
L'avortement existe, il peut être légal ou clandestin, mais il existe
Cristina Banegas, actrice argentine Partager la citation
Face à une réglementation aussi stricte, de nombreuses femmes se trouvent confrontées à des grossesses non-désirées, sans moyen légal d'y mettre fin. On estime à 500.000 le nombre d'avortements clandestins qui sont réalisés chaque année en Argentine, pour 720.000 naissances. Selon l'Unicef, 2.700 mères-filles, âgées de 10 à 14 ans, accouchent tous les ans.
Certaines femmes recourent à des professionnels qui pratiquent des avortements chirurgicaux illégaux, dans des conditions sûres mais souvent très chères. Celles qui n'ont pas les moyens achètent un médicament sur Internet, le misoprostol, et tentent de mettre fin à leur grossesse, sans aucune assistance médicale, prenant des risques pour leur santé.
Une manifestation pour défendre l'avortement gratuit, libre et légal à Buenos AIres, en Argentine, le 10 avril 2018.
Crédit : EITAN ABRAMOVICH / AFP
Que demandent celles et ceux qui défendent le droit à l'avortement ?
"L'avortement existe, il peut être légal ou clandestin, mais il existe. Nous voulons qu'il soit légalisé pour que moins de femmes pauvres meurent, pour que nous soyons dans le cadre de la loi, pour que l'État nous protège au lieu de nous punir", explique à l'AFP l'actrice Christine Banegas, très impliquée dans la mobilisation pour l'autorisation de l'IVG.
Après plusieurs tentatives qui n'avaient pas abouties, un projet de loi a finalement recueilli suffisamment de signatures de députés et sénateurs de différents groupes. Une possible modification de la loi sur l'avortement est donc débattue au palais des Congrès depuis trois mois.
Ce mercredi 13 juin, la chambre des députés doit voter pour ou contre la légalisation de l'IVG, en session plénière. Si le texte est approuvé, alors il sera examiné par la chambre haute, où les sénateurs des provinces l'examineront, mais ceux-ci sont soumis à l'autorité des gouverneurs dont la majorité ne veut pas se mettre l'Église à dos.
De la jeunesse à l'Église, un sujet qui divise le pays
Même si ce sont les parlementaires qui auront le dernier mot sur ce sujet de société, le peuple argentin est très impliqué sur la question. Depuis plusieurs mois, les manifestations se multiplient dans le pays. Les marches et les rassemblements des militants pro-avortements mobilisent à chaque fois plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Une petite fille qui participe à une marche du mouvement #NiUnaMenos, réclamant la légalisation de l'avortement, le 4 juin 2018 à Buenos Aires.
Crédit : EITAN ABRAMOVICH / AFP
Le mouvement #NiUnaMenos ("Pas une de moins"), né en 2015 pour protester contre les violences faites aux femmes, s'affiche sur les pancartes des manifestantes. "Le fait que l'avortement soit passé en Irlande, dans un pays catholique comme l'Argentine, cela donne espoir", confie à l'AFP Lola Vasquez, une lycéenne de 16 ans, lors d'une grande marche à Buenos Aires le 6 juin. Dans les rangs des rassemblements, des milliers de foulards verts sont arborés. Ils sont devenus le symbole de la lutte pour le droit à l'avortement.
Contrairement à ce qu'il s'était passé en Irlande, où l'Église était restée très discrète pendant la campagne précédant le référendum, l'Église catholique argentine est très mobilisée contre la légalisation de l'IVG, dans le pays d'origine du pape François.
La décision du 13 juin comporte des risques politiques pour le président Macri
Courrier International Partager la citation
Du côté politique, le sujet fait débat au sein du gouvernement. Mauricio Pacri, le président de centre-droit est contre, alors que le chef du gouvernement Marcos Peña y est favorable.
"Au delà de la question de fond, la décision de l'hémicycle le 13 juin comporte des risques politiques pour le président Mauricio Macri, qui a pris l'initiative de mettre le sujet sur le tapis, tout en se déclarant 'favorable à la vie', s'exposant à une forte division au sein des forces politiques de tous bords, y compris du sien", note Courrier international, rapportant l'analyse du quotidien argentin La Nación.
Les enquêtes d'opinion penchent plutôt pour la légalisation. 60% des Argentins y sont favorables, 35% s'y opposent, 5% ne se prononcent pas, selon l'institut Gustavo Cordoba.
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