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LES REFUZNIKS
CES ISRAÉLIENS QUI REFUSENT DE PORTER LES ARMES
Ces Israéliens qui refusent de porter les armes
Les "refuzniks" s'élèvent publiquement contre les méthodes de Tsahal dans les territoires occupés.
© Sébastien Leban
Le 25 mars 2015 | Mise à jour le 25 mars 2015
SÉBASTIEN LEBAN
Chaque année, des centaines de jeunes citoyens s’opposent à l’intégration dans l’armée. Réservistes et soldats en activité, ces « refuzniks » s’élèvent publiquement contre les méthodes de Tsahal dans les territoires occupés. Ils créent des mouvements, diffusent des lettres d’indignation au Premier ministre, témoignent... A leurs risques et périls, car un grade militaire favorise la progression professionnelle. Ils ont fait leur choix.
Moriel A 25 ans, il est marié et habite à Tel-Aviv. Il garde en tête une scène traumatisante : « Juin 2007, j’avais 18 ans. Au village palestinien de Susya, sur les hauteurs de Hébron, des familles avaient reçu des ordres de démolition. Leurs maisons, construites illégalement aux yeux des Israéliens, allaient être rasées par des bulldozers. En face de moi l’un des soldats avait à peu près mon âge. J’ai senti sa peur, mais j’ai aussi éprouvé un sentiment de haine envers ce gamin bardé d’équipements, armé et casqué. A ce moment précis, j’ai compris que je ne servirais pas dans l’armée de mon pays. J’ai vu la violence de l’occupation et j’ai réfléchi. » Devenu écrivain, Moriel observe : « L’activisme est réservé à deux catégories de personnes, les opprimés et les privilégiés. Je fais partie de la seconde. »
Lorsqu’il reçoit sa convocation pour l’armée, Moriel rédige une longue lettre à l’état-major où il cite la Bible, Martin Luther King et les poèmes de Mahmoud Darwish. Il la poste sur son blog. Pour son acte, qu’il qualifie de « minuscule pas vers la paix », Moriel passera plusieurs semaines en prison avant d’être reconnu « pacifiste » après d’interminables entretiens psychologiques. Il sera finalement libéré.
LES REFUZNIKS MARQUENT LEUR REFUS CATÉGORIQUE DE L'OCCUPATION, AU RISQUE D'ÊTRE CONSIDÉRÉS COMME DES TRAÎTRES
En Israël, le service militaire est obligatoire, deux ans pour les filles, trois pour les garçons. Seuls les Arabes israéliens (20 % de la population) – quelle que soit leur religion – et une partie des Juifs ultraorthodoxes sont exemptés. Plus qu’un devoir citoyen, servir Tsahal est une institution fondatrice, souvent vecteur de cohésion et d’ascension sociales. Les faits d’armes et le grade feront office de CV et d’accélérateur de carrière, tremplin dans la vie professionnelle. Les refuzniks, ou objecteurs de conscience, gagnent en visibilité depuis une quinzaine d’années. Ils s’opposent à l’armée et à leur devoir de conscrit, non pas par manque de patriotisme ou rejet de l’autorité, mais parce qu’ils veulent marquer leur refus catégorique de l’occupation, au risque d’être considérés comme des traîtres. Protéiforme et fluctuant, le mouvement évolue au gré des périodes de calme relatif et de tension que traverse l’Etat hébreu. On ignore leur nombre exact, l’armée ne communique aucun chiffre, et la plupart ne font pas état de leur refus. Pour Denis Charbit, professeur de sciences politiques à l’Université ouverte d’Israël, c’est « un phénomène minoritaire mais qui a le mérite de faire réfléchir, d’ouvrir des débats ».
L’origine date de la première guerre du Liban, en 1982, à la suite du massacre des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila. Les premiers refuzniks s’opposent à l’occupation du Sud-Liban par Israël. Ces contestataires se regroupent dans le mouvement Yesh Gvul (littéralement : il y a une frontière), qui fait des émules jusqu’à la première Intifada (1987-1993), puis s’essouffle, avant de renaître en 2000, début du second soulèvement populaire palestinien. C’est alors la naissance du mouvement Breaking the Silence, fondé par un cadre de l’armée, Yehuda Shaul, un officier de 22 ans. Avec des dizaines de frères d’armes ayant servi à Hébron, ils décident de rompre la loi du silence. L’objectif : décrire la réalité quotidienne dans les territoires occupés et raconter les actes d’intrusion dans la vie des civils. Depuis, le mouvement a fait plusieurs fois la une des médias et suscité des débats télévisés. Des centaines de témoignages, du simple soldat au commandant, sont aujourd’hui regroupés sous la forme d’un « Livre noir de l’occupation israélienne », sorti fin 2013 aux éditions Autrement.
“CE SONT LES ENFANTS D'UNE SOCIÉTÉ POSTMODERNE QUI N'A PLUS RIEN À VOIR AVEC CELLES DE LEURS PÈRES”
Chaque année connaît son lot d’objecteurs de conscience, de quelques dizaines à plusieurs centaines. Pour Pierre Razoux, directeur de recherche à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (Irsem) et auteur de « Tsahal. Nouvelle histoire de l’armée israélienne » (éd. Tempus Perrin), il s’agit « d’un phénomène transgénérationnel. Une génération confrontée à l’occupation au Sud-Liban et en Cisjordanie puis aux opérations à Gaza passe la relève à ses fils, mais ce sont les enfants d’une société postmoderne qui n’a plus rien à voir avec celle de leurs pères. Le message s’exprime différemment ». Il y a une vingtaine d’années encore, le camp de la paix fédérait une majeure partie des Israéliens, mais la société s’est droitisée. L’arrivée au pouvoir de Benyamin Netanyahou en 2009 et les crises successives avec le Hamas finiront d’affaiblir une aile gauche déjà bien atteinte.
C’est désormais sur Internet que le message fédère. Lorsqu’on arrive sur leur page Facebook, l’image iconique du manifestant planté devant une colonne de chars sur la place Tiananmen s’affiche, flanquée d’un bandeau « Resisting the IDF ». Ils se font appeler les « objecteurs de conscience contre l’occupation ». Ils ont entre 16 et 20 ans.
Cette année, plusieurs dizaines de ces jeunes ont envoyé une lettre au Premier ministre israélien expliquant leur refus de servir : « Le problème de l’armée est que son action dépasse les dommages infligés à la société palestinienne. Elle infiltre la vie de tous les jours en Israël : elle façonne notre système éducatif, nos opportunités d’emploi, tout en encourageant le racisme, la violence et la discrimination basée sur le genre, la nationalité et les critères ethniques », argumentent-ils, traumatisés par les abus militaires, le conditionnement de la vie des Palestiniens par l’occupation.
GUY, 18 ANS: “FAIRE CE CHOIX A ÉTÉ DIFFICILE, UN PEU COMME UN COMING OUT”
Guy, étudiante de 18 ans, fait partie des signataires. « Je viens d’une famille d’entrepreneurs, très aisée et ashkénaze. J’ai grandi à Savyon, où l’on crée ce que la société considère de
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Guy, 18 ans.
Sébastien Leban
meilleur, socialement et économiquement. » Située dans la banlieue de Tel-Aviv, cette petite ville de 3 000 âmes compte parmi ses habitants quelques-unes des plus grosses fortunes du pays et des villas qui n’ont rien à envier aux bâtisses de Beverly Hills. « Refuser a été très difficile, se souvient-elle, c’était un peu comme un coming out, surtout dans mon milieu. Privilégiée, j’ai reçu une éducation et une sensibilisation politique qui m’ont permis de faire ce choix. Mes parents ont mis du temps à comprendre ma décision, mais ils ont fini par me soutenir. » Comme de nombreux jeunes, Guy a décidé de remplacer son service militaire par un service civil auprès d’une ONG. Mais pour les couches les plus pauvres de la population, le service militaire reste le seul ascenseur social, avec l’assurance de trouver un travail à la sortie.
Tout au long du processus qui l’a amenée à prendre sa décision, Guy a été accompagnée par New Profile, une association féministe créée en 1998 qui lutte pour la démilitarisation de la société et se veut une plateforme de conseils pour les futurs refuzniks. « L’année dernière, nous avons reçu plus de 2 000 personnes », détaille Shahaf, 23 ans, employée de New Profile. Installée au café Albi, repère des activistes de gauche à Tel-Aviv, elle nuance : « La plupart des gens qui viennent frapper à notre porte ne sont pas de grands idéologues prêts à se sacrifier pour la cause de l’occupation et passer plusieurs semaines en prison. Ce sont des gens qui ne rentrent pas dans le moule de l’armée : certains ne supportent pas la violence, les armes, d’autres sont gays, d’autres encore doivent travailler pour aider leur famille. Ils ont juste besoin de soutien pour échapper au service. » Ces derniers doivent alors passer des tests afin d’être reconnus inaptes physiquement ou mentalement et, finalement, être exemptés. Selon Shahaf, « les refus idéologiques ne concernent qu’une frange très aisée de la population qui peut assumer les conséquences sociales de cet acte, notamment l’emprisonnement ».
ALMA, 33 ANS: “REFUSER DE SERVIR, C'EST COMMENCER DANS LA VIE AVEC UN HANDICAP”
C’est le cas d’Omri, militant communiste de 27 ans, employé dans un magasin de jeux de stratégie et qui a passé cinq semaines en prison à l’isolement suite à son refus en 2005. « En
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Alma, 33 ans.
Sébastien Leban
caleçon, sans livre ni lumière du jour... Des conditions à relativiser avec ce que vivent les Palestiniens au jour le jour. » Il se souvient de la visite du député Dov Khenin venu lui remonter le moral : « Il est arrivé la première semaine pour m’expliquer que mon histoire était partout dans les journaux. Ça m’a donné de la force. » Le député étiqueté Hadash, Parti communiste mixte juif et arabe, à l’instar de l’extrême gauche et d’une partie de la gauche modérée, apporte soutien et visibilité aux refuzniks. Contrairement à nombre de ses amis du mouvement, Omri a reçu l’appui de ses parents, eux aussi très politisés, chez qui il vit encore : « Mon éducation et mon milieu d’origine m’ont permis de limiter l’impact négatif de ma décision sur ma vie future. En ce sens, je suis un privilégié. »
Les classes les plus aisées se sont peu à peu détachées du mythe de l’armée et de ses valeurs fondatrices, offrant à leurs enfants une alternative, à travers le service civil, avec peu ou pas de conséquences sur leur avenir. Mais ce n’est pas vrai pour tout le monde. Après un refus, et encore plus si celui-ci s’accompagne de prison, de nombreux jeunes se retrouvent discriminés dans leur recherche de travail ou simplement face à leur famille, leurs amis. « Refuser de servir, c’est commencer dans la vie avec un handicap », annonce Alma, 33 ans, directrice d’une ONG et refuznik elle-même, après un passage éclair sous les drapeaux. Issue d’une famille « très sioniste » pour laquelle l’armée est un « rite initiatique », Alma confie avoir été renvoyée à ses prises de position pendant sa recherche d’emploi : « On me regardait différemment, je me suis sentie isolée et ça m’a pris du temps pour être en paix avec ma famille, mes amis. Je m’en suis sortie car j’ai fait carrière grâce à mes opinions politiques. » Alma porte un regard mitigé sur cette jeune génération qui s’oppose à Tsahal : « Ils envoient un message très important à la communauté palestinienne et internationale, mais ils sont perçus comme des enfants gâtés ; ils dénoncent les violations commises par l’armée mais sont considérés comme étant hors de la vie active et manquant de légitimité pour porter ces accusations. »
DAVID: “LE STORYTELLING SUR LA VICTIMISATION DU PEUPLE JUIF EST OMNIPRÉSENT, TOUT COMME LA GLORIFICATION DE L'ARMÉE QUI FINIT PAR FAIRE PARTIE DE TA PERSONNALITÉ”
Cette légitimité a été la pierre angulaire de l’action menée par David Zonshein. Novembre 2001, l’armée israélienne prépare une nouvelle incursion dans la bande de Gaza. Le jeune capitaine Zonshein, 28 ans à l’époque, réserviste après dix ans dans une unité d’élite, est appelé pour participer à l’offensive. Ce sera la dernière fois qu’il portera l’uniforme. Trois mois plus tard, il crée Courage to Refuse et rédige, avec ses frères d’armes, « La lettre des combattants » signée par plus d’une cinquantaine de lieutenants, capitaines, majors ou sergents et envoyée au Premier ministre. David confie : « Il m’a fallu plusieurs mois pour remettre en cause ce que j’avais fait durant des années, et comprendre qu’il n’était plus question de la sécurité de mon pays. J’ai réalisé qu’on m’utilisait, qu’on abusait de moi, de mes talents, pour servir une mauvaise cause : l’extension du territoire en Cisjordanie et le contrôle de la vie des Palestiniens. Nous ne refusons pas de servir si la sécurité d’Israël est en jeu, mais nous voulons stopper l’occupation. Depuis tout petit, le storytelling sur la victimisation du peuple juif est omniprésent, tout comme la glorification de l’armée qui finit par faire partie de ta personnalité. Le dilemme entre mon devoir de citoyen, de patriote, et ma conscience morale a été terrible. » Sa sortie publique lui vaudra trente-cinq jours derrière les barreaux.
Interrogée sur les différentes vagues de refus, l’armée israélienne n’a pas souhaité s’exprimer, indiquant que le phénomène est inévitable dans tous les pays où le service est obligatoire. Selon le Bonn International Center for Conversion, qui publie, cette année encore, le Global Militarization Index, Israël est le pays le plus militarisé du monde, devant Singapour, la Syrie ou la Russie, et a consacré plus de 15 milliards de dollars à son budget de défense en 2013, soit environ 7 % de son PIB et 1 900 dollars par habitant. L’opération « Bordure protectrice » aurait coûté 2 milliards d’euros, selon le ministère de la Défense israélien.
UN AFFRONT DIRECT À LA POLITIQUE DE BENYAMIN NETANYAHOU DEPUIS 2009
C’est moins de trois semaines après le retour au calme, début septembre 2014, que les « 43 » ont décidé de frapper un grand coup. Ces réservistes de l’unité de renseignement 8200, la plus prestigieuse du pays, ont signé un manifeste dénonçant les abus dans la collecte d’informations, et leur instrumentalisation dans le renforcement de l’occupation : « Nous appelons tous les soldats servant dans les unités de renseignement passées et présentes, de même que tous les citoyens d’Israël, à dénoncer ces injustices et à agir pour y mettre fin. Nous croyons que l’avenir d’Israël en dépend. » Souvent comparée à la NSA (National Security Agency) américaine, l’unité 8200 est spécialisée dans les écoutes téléphoniques et le décryptage de données, permettant de préparer les opérations sur le terrain. A., un de ses anciens soldats d’élite, livre un témoignage accablant : « Un jour, alors que j’étais en charge de mon unité, quelqu’un de suspect avait été remarqué à côté d’un dépôt d’armes à Gaza ; nous avons cru que c’était notre cible. Je me souviens d’une image dans un verger, puis de l’explosion, de la fumée qui se dissipe et d’une femme qui court vers lui. C’est là qu’on a réalisé : c’était un enfant. De notre agence, nous voyons des cartes et des images transmises en temps réel par l’hélicoptère, mais on est assis dans un bureau, on peut se sentir détachés et distants du terrain. Je ne discute pas les ordres, ni ne pose de questions. J’exécute. On s’était plantés. L’atmosphère est devenue pesante. Selon moi, aucune enquête n’a été ouverte sur cette bavure. »
Cette nouvelle fronde de l’unité 8200 est différente car elle montre aux citoyens que l’occupation se joue non plus seulement sur le terrain, armes à la main, mais aussi dans les bureaux climatisés de Tel-Aviv. Ethan, 29 ans, qui a signé le manifeste, reconnaît le succès de la démarche : « Même si ce que l’on a fait est perçu comme une trahison, nous avons suscité de nombreux débats dans la société. » Un affront direct à la politique menée par Benyamin Netanyahou depuis 2009.
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