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SOCIÉTÉ04 septembre 2013
Éducation nationale : une machine en panne
Dossier sur la rentrée scolaire
Rentrée scolaire le 3 septembre à Jarville (Meurthe-et-Moselle)
©PHOTOPQR/L'EST REPUBLICAIN/Alexandre MARCHI
Les inégalités scolaires dans notre pays sont le cruel reflet des inégalités sociales et induisent des conséquences dramatiques pour les jeunes Français. État des lieux d’une institution à réformer de toute urgence.
« Liberté, égalité, fraternité », lit-on toujours sur le fronton de nos école. Mais le système éducatif français est aujourd’hui un des plus inégalitaires du monde développé. Quasiment aucun autre pays de l’OCDE n’enregistre de tels écarts de niveau entre ses bons et ses moins bons élèves. Et beaucoup plus qu’ailleurs ces inégalités scolaires correspondent à des inégalités sociales. Ce constat, établi à l’issue d’enquêtes internationales, est un véritable défi pour les gouvernants, et tout particulièrement pour la gauche au pouvoir. Comment assurer la cohésion de la société française, donner confiance aux citoyens, si le service public d’éducation creuse les écarts ? Comment tenir notre rang dans la compétition économique internationale quand les compétences de près d’un quart de nos jeunes sont si faibles ?
QUELQUES CHIFFRES
18e
Le rang de la France aux évaluations PISA 2009 : comparaison des compétences de jeunes de 15 ans dans 34 pays de l’OCDE.
2 fois +
Le lien entre les résultats scolaires des élèves et leur origine sociale est deux fois plus fort en France que dans les pays les plus performants
en matière éducative.
6,3 %
Le pourcentage du produit intérieur brut français consacré à la formation initiale. Plus qu’en Allemagne, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas.
97 %
La masse salariale dans le budget de l’Éducation nationale. Les enseignants constituent près de la moitié des agents publics en France.
Les conséquences de cette inégalité des chances sont considérables. Le niveau moyen de nos adolescents (capacité de compréhension de textes, raisonnements mathématiques et scientifiques) est médiocre. La France est devancée sur ce plan par de nombreux pays en principe moins avancés. L’ensemble du système d’éducation souffre par ailleurs des tensions générées par ses dysfonctionnements. Alors que 80 % des élèves européens se sentent « à leur place » en classe, moins de la moitié des jeunes Français sont dans ce cas. Le malaise des professeurs est aussi palpable. Le métier attire peu. Il fatigue beaucoup. Dans de récents sondages, plus de la moitié des enseignants se disaient frustrés, les trois quarts stressés. Les départs en retraite sont très souvent précoces malgré des pensions incomplètes. Le mal-être touche également de plus en plus de familles, obnubilées par les absences des professeurs, le manque d’accompagnement des enfants, la crainte de l’échec…
Dans un rapport rendu au mois de mai 2013, la Cour des comptes part de ce constat très sombre. Mais nos mauvaises performances, affirme-t-elle, ne proviennent pas de moyens insuffisants. Les dépenses consacrées à l’Éducation sont supérieures en France à ce qu’elles sont dans les pays similaires. Le problème tient avant tout à une organisation déficiente qui ne valorise pas comme elle le devrait les compétences des enseignants.
En procédant à une analyse fouillée du fonctionnement de l’Éducation nationale, et en s’inspirant des pratiques de pays plus performants et inclusifs, comme le Canada, les Pays-Bas ou l’Allemagne, ils proposent une série de réformes capables, à coût constant, d’améliorer les résultats des enfants de milieu populaire et donc l’efficacité de l’ensemble. Ces préconisations vont sans aucun doute alimenter le débat que le ministère compte engager cet automne sur l’évolution de notre système d’enseignement. C’est tout l’intérêt de les faire ici connaître.
Les auditeurs de la Cour des comptes rappellent d’abord que la qualité des enseignants constitue le premier facteur de réussite des élèves. Or, notre système de gestion aboutit, sans que cela soit dit et voulu, à confier les enfants les plus en difficulté aux professeurs les moins expérimentés et souvent les moins diplômés.
Aberrations
Deux débutants sur trois se font la main sur les élèves des banlieues, sans bénéficier le plus souvent d’un accompagnement pendant ces premiers pas. Exercent en revanche souvent dans les collèges des beaux quartiers des professeurs agrégés, payés par le contribuable un tiers de plus par heure que leurs collègues, élite restreinte qui ne devrait en principe enseigner qu’en lycée voire en classes préparatoires.
Pourquoi de telles aberrations ? En réalité, les postes ne sont pas attribués par l’administration en fonction de leurs spécificités, de leur plus ou moins grande difficulté. Seuls, 6 % des postes sont dits « à profil ». Ils se situent pour la plupart en classes préparatoires où étudient les meilleurs élèves, et pour lequel on requiert des professeurs d’excellence. Pour le reste, le dogme est qu’un enseignant en vaut un autre. Le ministère veille à ce qu’à chaque rentrée un maître soit présent devant chaque classe dans les disciplines prévues. Mais il n’affine pas davantage. Les professeurs sont nommés en fonction de leurs vœux, avec un système de file d’attente où l’ancienneté est la variable majeure.
La gestion des ressources humaines est d’ailleurs réduite à sa plus simple expression au sein de l’Éducation nationale : formation continue indigente; possibilités de carrière quasi inexistantes faute de hiérarchie intermédiaire entre l’enseignant de base et le chef d’établissement; pas de responsable de niveau ou de discipline comme dans l’enseignement privé sous contrat.
À l’issue des inspections, menées parfois tous les dix ans, ceux qui sont « bien notés », ont des augmentations un peu plus rapides. Mais qu’on se soit investi corps et âme ou qu’on ait travaillé a minima, l’impact est faible. Les écarts de revenus dépendent pour l’essentiel du recrutement initial, de l’âge et des possibilités ou non d’effectuer des heures supplémentaires… L’absentéisme est important. Les remplacements très rares pour les courtes absences. Au total, 7 administratifs suffisent à suivre la carrière de 1 000 professeurs, alors qu’en moyenne, ils sont plus de 16 pour accompagner un tel nombre de salariés en entreprise. Progresser signifie d’abord s’éloigner des enfants les plus difficiles. Pas étonnant si la motivation n’est pas au rendez-vous.
La Cour des comptes préconise une organisation toute différente. Une analyse précise des difficultés rencontrées par les établissements grâce à des évaluations fiables et régulières des élèves. Une dotation, variant de manière très sensible en fonction de ces difficultés Au Canada, l’écart de moyens attribués va de un à plus de deux ! Cela se traduit par des recrutements décidés localement, en fonction des besoins et projets des équipes éducatives, avec des indemnités importantes pour compenser les difficultés rencontrées, des professeurs présents pour enseigner mais aussi pour travailler ensemble, accompagner les élèves, avec un temps de travail global, annualisé, des évaluations non pas seulement des individus mais des équipes éducatives, la création de postes de responsabilité dans les établissements, pour diffuser des ressources pédagogiques, organiser des échanges entre collègues, coordonner les actions, et permettre des évolutions de carrière...
Réticences au changement
La Cour des comptes souhaite faciliter la transition entre école et collège, avec des professeurs moins nombreux en collège, enseignant chacun deux matières différentes, comme en Allemagne.
Des réformes ambitieuses, induisant des modifications profondes. Acceptables par le monde enseignant ? À la fin des années 80, alors que Lionel Jospin était ministre de l’Éducation nationale, le gouvernement avait très sensiblement revalorisé les rémunérations sans parvenir à négocier de changements majeurs dans la gestion des enseignants. Dans un contexte budgétaire aujourd’hui drastique, le ministre de l’Éducation Vincent Peillon pourra-t-il faire évoluer le système ? Les difficultés rencontrées l’an passé pour simplement revenir à des semaines scolaires de quatre jours et demi n’incitent pas à l’optimisme. Tout le monde souffre des aberrations de l’organisation actuelle, fondée sur des statuts datant de 1950, une époque où 5 % des jeunes obtenaient le baccalauréat. Mais les enseignants, mal rémunérés comme en convient la Cour des comptes, voient d’abord aujourd’hui ce qu’ils ont à perdre dans le changement. Et le « parti du mouvement » peine à s’organiser...
Agnès Baumier-Klarsfeld>> Voir sa fiche
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