Enfants d'homos
Comment un enfant grandit-il avec deux pères ou deux mères ? Si le mariage homosexuel promis par François Hollande est approuvé par une majorité de Français, l’homoparentalité, elle, continue de poser question. Rapports entre hommes et femmes, familles recomposées, nouvelles conditions de procréation, elle bouleverse toutes nos représentations de la différence des sexes et des rôles parentaux. Chez les psys et dans la société, les avis sont partagés, le débat passionné. Une chose est sûre, les questions juridiques, sociologiques et éthiques que soulève l’homoparentalité nous obligent à nous interroger. Pour nous éclairer sur les enjeux liés à la « légalisation » de ces nouvelles familles, nous avons choisi d’entendre le point de vue des enfants.
Comment vont-ils ?
Pour Thomas, 27 ans, chercheur au CNRS, conçu par insémination artificielle dans un couple de femmes, le terrain est miné. « Je dois tout le temps me justifier, montrer que je vais bien, que je ne suis pas traumatisé. Quoi que je dise, cela pourrait être retenu contre moi. » Un sentiment que partagent beaucoup de ces enfants pris dans un débat de société qui dépasse leur situation familiale.
« Je me sens instrumentalisée, déplore Clotilde, 20 ans, enfantée en coparentalité, aujourd’hui étudiante en droit à Paris. J’entends les psys et les politiques parler de moi comme s’ils me connaissaient, comme s’ils savaient mieux que moi ce que je vis. Mais personne n’est jamais venu me demander comment j’allais ! »
Avec, en plus, l’impossibilité de faire un pas de côté sans que soit brandi le choix de vie de leurs parents. « Je n’avais pas intérêt à aller mal, reconnaît Thomas, ma conception leur aurait tout de suite été reprochée. »
Une pression à être irréprochable qui pèse aussi sur les parents : « Nous ne voulons pas qu’ils pâtissent de notre choix de vie », explique Valérie, la « deuxième maman » de Modelène, 18 ans, étudiante en photo à Ivry-sur-Seine.
« Nous voulons qu’ils aillent bien et nous ne pouvons être sourds aux discours de certains psys, qui prédisent le pire pour nos enfants », renchérit Éric Garnier, ancien président de l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), père de Clotilde et auteur de L’Homoparentalité en France, la bataille des nouvelles familles d’Éric Garnier (Éditions Thierry Marchaisse).
Des milliers d’études, d’enquêtes et d’articles théoriques aux critères scientifiques éprouvés, réalisés dans plusieurs pays, notamment en France, concluent pourtant que ces enfants grandissent comme les autres. Ou plutôt : ni mieux, ni moins bien. Pas plus angoissés, pas moins sociables.
« Ceux que je rencontre ont des problèmes ordinaires : peur du noir, de s’endormir… Des soucis de la vie de tous les jours, rien de pathologique », confirme la psychanalyste Catherine Mathelin-Vanier, auteure de Qu’est-ce qu’on a fait à Freud pour avoir des enfants pareils? (Flammarion, 2012). « Ce qui ne prouve rien », répliquent d’autres psys qui, arguant du manque de recul, prédisent une catastrophe à retardement.
Peuvent-ils se croire nés de deux mères ?
Ces enfants peuvent-ils comprendre d’où ils viennent? Selon les psys, c’est la première question que pose l’homoparentalité. Pour l’adoption et la coparentalité, a priori, pas de problème. « Avec ma couleur de peau, j’ai vite compris que je n’étais pas sortie du ventre de Catherine ni le fruit de son union avec Valérie », confie Modelène, qui a toujours connu les circonstances de son adoption.
À 10 ans, la jeune fille a même fait le voyage avec sa mère jusqu’à son pays natal pour rencontrer sa mère biologique, ses frères et ses soeurs. « Un moment essentiel, qui a donné un sens a mon histoire », déclare-t-elle. Pour Clotilde, la question des origines ne s’est jamais posée non plus : « J’ai toujours su que mes parents n’étaient pas amoureux, qu’ils s’étaient mis ensemble pour avoir un enfant. »
Parents biologiques et adoptifs; père et mère : dans ces deux cas, chacun est à sa place, nommé comme il convient. Et si Modelène a eu du mal à dessiner son arbre généalogique en CE1, c’est parce qu’il « manquait des branches pour représenter [s]on côté haïtien ». En sixième, rebelote pour la rédaction autobiographique : « Moi, c’est un roman qu’il m’aurait fallu! »
Le débat s’anime avec l’homoparentalité par insémination artificielle (pour les femmes) ou par gestation pour autrui (pour les hommes), qui, niant la dimension hétérosexuelle de la parenté et brouillant la filiation, mettrait l’enfant à une place incompréhensible.
« En lui faisant croire qu’il est le produit du désir de deux hommes ou de deux femmes mais que, pour des raisons de nature, ils ont eu recours à un tiers, il est témoin de l’impossible », note le psychanalyste Jean-Pierre Winter, auteur d’Homoparenté (Albin Michel, 2010). Car l’enfant retiendrait qu’il est né de ces deux papas (ou mamans), qu’un père a été mis à la place d’une mère (ou inversement). Il ne pourrait ainsi penser la scène primitive de sa conception ni son système familial, dont les places sont mélangées et illogiques.
Un désordre symbolique dangereux pour sa constitution psychique. Confronté à un écart entre le discours et la réalité biologique, il perdrait, a minima, confiance dans la parole des adultes. Au pire, il confondrait le fantasme et le réel et désavouerait son ressenti en se coupant de lui-même. Avec, au bout du chemin, le danger de la faille psychique.