Les violences conjugales sont un fléau invisible, sournois, qui peut toucher n’importe quelle personne de votre entourage. Voici le témoignage d’une madmoiZelle pour y voir plus clair.
Un an et demi. Voilà aujourd’hui ce qui me sépare de lui ; ça peut paraître peu mais en dix-huit mois, tellement de choses ont changé dans ma vie… maintenant je suis heureuse.
Écrire mon histoire, la raconter et le dénoncer, lui et tous ces autres, je n’y avais pas songé avant. Peut-être par honte, mais « Honte de quoi ?« , m’a un jour demandé ma
sœur. Honte d’être moi, trop naïve. Honte de m’être laissée faire, honte de ne pas être partie avant, honte de ne pas avoir remarqué le problème, honte d’avoir menti pour cacher mes problèmes,
honte d’avouer que je me suis trompée sur lui. Voilà de quoi j’avais honte : être une victime. Je ne veux pas qu’on me regarde comme une victime, car je ne veux pas
engendrer la pitié dans mon entourage, c’est pourquoi beaucoup ne savent rien de ce qui m’est arrivé.
Un an et demi plus tard, alors que la page est tournée, au fond je sais qu’on n’oublie jamais. On reste marquée, et il arrive que des souvenirs me réveillent encore en sursaut la nuit.
Maintenant que vous connaissez la fin de cette histoire, intéressons nous au commencement.
Il était une fois un prince charmant…
J’avais 17 ans tout juste quand je l’ai rencontré à une soirée entre amis, au réveillon du Nouvel An. Ça n’a pas été le coup de foudre, il n’était pas particulièrement attirant, mais nous
sommes devenus très bons amis. Maintenant que j’y repense, il était l’ami idéal, un peu trop même : il a fait en sorte d’aimer les choses que j’aimais (les séries télé, les musiques, mon
job d’été…), pour pouvoir ensuite les détester radicalement.
Nos amis communs ont commencé à nous pousser l’un vers l’autre, et au fil des semaines, l’idée fit son chemin. Après tout, il me comprend et me connaît si bien… Du coup, je tombe de haut quand
j’apprends qu’il vient de se mettre en couple avec une autre. Néanmoins, nous restons amis, et il finit par me confier qu’il n’est pas amoureux, qu’il pense à la rupture. Lorsqu’il
la quitte, je comprends que c’est pour moi, mais il ne me le dit pas clairement, attendant que je fasse le premier pas… ce que je finis par faire. Je signe sans le savoir le début de
ma fin.
… pas si charmant…
Les débuts sont magiques, d’autant plus qu’il s’agit de ma première « vraie histoire » : on est tellement semblables, il est toujours là pour moi, et me rend bien des services. Avec
le recul, je me rends compte qu’il travaillait à se rendre indispensable. Nous sommes entrés à la fac dans la même ville, mais avec deux logements séparés, pour ne pas nous étouffer : on se
donne un soir par semaine chacun de notre côté, et on voit nos parents le week-end. Au bout de deux mois, il en réclame davantage, exigeant de me voir chaque soir ; face à mon refus, il
s’énerve, et me dit que si on finit par se séparer, ce sera de ma faute. Après de nombreuses disputes, poussée à bout, je cède, et je lâche mon indépendance. Quelques
semaines après, je fais une autre concession, énorme pour moi : je ne vois plus mes parents qu’un week-end sur deux, passant l’autre avec lui. Chaque jour, la liste des choses sur
lesquelles je cède s’allonge, mais lui ne lâche pas un pouce de terrain.
Au lit, tout se passait bien : on s’amusait quotidiennement, et il respectait mes choix quand je n’avais pas envie. Là aussi, la situation s’est dégradée en quelques mois : il me reprochait mes
refus, finissant par m’ignorer complètement, ou par me faire croire que c’était le signe que je ne l’aimais plus. Je me rends bien compte, aujourd’hui, que j’aurais dû fuir, déjà, à ce
moment-là. C’est dans ce cadre que le premier signe de violence physique est arrivé, même si je ne l’ai pas remarqué : chez lui, clouée au lit avec une grippe, je ne
voulais qu’une chose, dormir. Lui voulait faire l’amour ; il m’a crié dessus, indifférent à mes pleurs, me reprochant de ne plus l’aimer, et m’a violemment lancé un coussin avant de menacer de
me mettre dehors. Il a fait mine de rompre avec moi et a passé la nuit par terre, mais s’est excusé au petit matin, et m’a promis de ne plus jamais recommencer. Pauvre de moi, je l’ai cru.
… qui se révèle oppressant et violent
Mes amies et moi avions depuis longtemps planifié de partir trois jours ensemble, sans lui. Il a attendu la semaine précédent le départ pour me supplier de ne pas y aller, en larmes, et ce
n’est que sous l’impulsion de ma mère que j’ai réussi à partir. Mais mes vacances, et celles de mes amies, furent gâchées : il m’a bombardée de textos, d’appels, me reprochait d’avoir trahi sa
confiance, me disait ne plus jamais vouloir me revoir. En rentrant, je me suis excusée ; je réalise à présent que je n’avais absolument rien fait de mal, mais je me sentais
tellement coupable. Et jusqu’à la fin, il m’a rappelé cette histoire, l’utilisant durant nos désaccords, nos disputes, alors qu’il était exclu, pour moi, de lui reprocher ses erreurs
passées.
L’année scolaire a fini, entrecoupée de moments similaires, et comme chaque été, je travaillai en centre aéré pour gagner un peu d’argent. J’adorais discuter de mon job avec lui, mais au début
des grandes vacances, il m’a reproché de trop en parler, en a fait un sujet tabou : selon lui, il ne souhaitait pas l’évoquer parce que lorsque je travaillais, nous étions séparés,
et il en souffrait. Comme je ne pouvais plus lui raconter mes journées, on ne parlait que des siennes, ce qui était assez rapide puisqu’il ne faisait rien de ses vacances.
Nous sommes ensuite partis ensemble dans une maison qui appartient à ma famille. Un soir, à nouveau, je n’ai pas envie de lui, et sous la contrariété, voyant que je ne compte pas céder, il se
rapatrie dans le salon et met le son de la télévision à fond, pour m’empêcher de dormir. Lorsque je lui demande de baisser le volume, il m’ignore et j’éteins le poste ; il me lance
alors la télécommande, avec rage. Sous le choc, je suis restée figée quelques instants, avant de lui dire de faire ses valises pour le lendemain, car il n’était plus le bienvenu
ici. Le lendemain, il se confond en excuse, pleure, me supplie de le pardonner. Quand je parle de violences conjugales, il me dit de ne pas exagérer…
Je l’aimais, et je crois sincèrement que lui aussi. Il ne cessait de me répéter que sans moi, il n’était rien. En public ou en soirée, il restait collé à moi, toujours à m’embrasser, ce qui me
gênait et m’empêchait de profiter des autres invités. Si je le lui faisais remarquer, ou tentais de m’éloigner, il me le reprochait : c’était moi qui avait un problème, car c’était la façon
dont un couple devait agir. Encore un motif de disputes, où j’étais toujours en tort : il ne se remettait jamais en question, ne répondait même pas à mes accusations.
C’était difficile de se sentir aussi ignorée. Je me rends compte, maintenant, que ce que j’éprouvais n’était pas de l’amour, car je ne sais pas comment on peut aimer quelqu’un qui vous traite
ainsi ; les psychologues ont peut-être un terme pour ce sentiment, moi je n’en ai pas.
Le chantage, sa grande spécialité
C’était un grand maître du chantage. Je ne sais plus combien de fois j’ai dû choisir : entre faire ce qu’il voulait ou le perdre, entre lui et mes amis, ma famille, et si je ne le choisissais
pas, c’est que je ne l’aimais pas.C’est ainsi que, peu à peu, j’ai perdu le droit de sortir de mon côté, ne serait-ce que pour accompagner une amie. Si je voulais manger entre
potes le midi, il fallait que lui soit occupé avec les siens. Même chez le médecin, il entrait en rage s’il ne m’accompagnait pas dans le cabinet, et quittait la salle d’attente, me laissant
rentrer seule et fiévreuse.
Durant les trois ans qu’a duré notre relation, jamais il n’a eu confiance en moi : il m’accusait de voir d’autres garçons, de le tromper avec mon patron… Je suis toujours restée
fidèle, mais je devais sans cesse justifier mes faits et gestes, éviter de mentionner mes amis masculins. Le pire a été mon rendez-vous chez un gynécologue : pour lui,
« écarter les cuisses devant un inconnu, c’est être une salope« . J’ai choisi une femme pour le rassurer, mais il s’en fichait. Quand je lui ai reproché de m’en vouloir pour
ça, et de m’avoir laissée seule pour ce premier rendez-vous, il s’est excusé et a pleuré… une fois de plus. Et j’ai été naïve une fois de plus.
Des concessions, encore et toujours
La chose que je regrette le plus, aujourd’hui, c’est d’avoir été en froid avec ma soeur à cause de lui. Elle était ma confidente, et a très vite cerné le personnage, alors elle lui a dit que sa
façon d’agir était inacceptable. Il m’a tout mis sur le dos, me reprochant de raconter « notre » vie à ma soeur, et s’est mis à la rabaisser sans cesse. S’il était chez mes parents,
elle n’y venait pas, et j’ai fini par ne plus la voir, ce qui m’a blessée. Il a réussi à s’engouffrer dans la brèche, m’a dit qu’elle ne me méritait pas, et m’a insidieusement montée contre ma
propre soeur.
Physiquement, il avait certaines exigences. Si je me maquillais, ou que je portais une jupe, une robe, un décolleté, c’était forcément pour séduire. Je ne pouvais
plus me faire belle : je ne devais pas me plaire, mais lui plaire. Les seuls bijoux autorisés étaient ceux qu’il m’avait offerts, il fallait qu’il approuve chaque nouveau vêtement… Lors d’une soirée
entre amis, je portais une robe et un collier qui ne venait pas de lui. Il m’a prise à part dans une pièce et m’a reproché de m’être faite belle pour tout le monde, sauf pour
lui, criant et pleurant assez fort pour que les autres convives l’entendent. J’étais extraordinairement mal à l’aise, mais en rejoignant les autres, j’ai menti pour le « couvrir ».
Après deux ans de concessions toujours plus importantes, nous avons emménagé ensemble, et la violence a monté d’un cran. Pour lui, cela signifiait que je ne devais plus rentrer chez mes parents
qu’une seule fois par mois, un week-end qu’il me faisait payer, en m’ignorant totalement avant, pendant et après. Une fois, il a menacé de se suicider pour me retenir de partir, commençant à
s’entailler les poignets, et je n’ai pu quitter l’appartement qu’en promettant que je n’irai pas le mois d’après. Encore une fois, il avait eu gain de cause.
Avec le temps, vint l’humiliation
Nos disputes se faisaient de plus en plus violentes, et je commençais à me sentir vraiment humiliée. Détestant faire la vaisselle, il trouvait souvent une raison de m’en vouloir lorsque c’était
son tour ; il m’est arrivé plus d’une fois de recevoir l’éponge sale en plein visage pour avoir osé le contredire, lui faire une remarque. Pour des motifs toujours anodins, la violence montait
: j’ai reçu son portefeuille en plein visage, il m’a un jour fouetté le visage avec un t-shirt mouillé, assez fort pour casser mes lunettes. Des coups de pied dans le dos (il faisait
particulièrement attention à ne laisser aucune marque visible) m’ont fait mal pendant plusieurs jours. À chaque fois, il se confondait en excuses, en promesses, et j’y
croyais. C’était une violence invisible, mentale et physique, qui me rendait malade. Je n’étais plus heureuse, ni joyeuse, comme je l’étais ; je pensais à partir malgré
les sentiments, mais je n’en trouvais pas le courage.
Je sais que beaucoup ne comprendront pas pourquoi je suis restée, pourquoi j’ai même emménagé avec lui, et moi-même, j’ai mis du temps à le comprendre. La première raison était l’amour : j’y
croyais dur comme fer, et quand il tentait de se racheter, il redevenait celui que j’avais aimé au début, me faisant croire que c’était fini pour de bon. Je manquais également de courage, et
j’avais peur des conséquences. Enfin, je doutais moi-même : chaque fois que je songeais à une rupture, je ne savais pas comment la justifier, et je craignais d’exagérer ce qui se passait entre
lui et moi. On peut résumer tout cela par un manque cruel de confiance en moi.
Elle le quitta…
Je n’oublierai jamais la veille de mon départ. C’était les vacances de Pâques, et je travaillais ; il était donc prévu que je dorme chez mes parents, qui vivaient tout près de mon job. Mais
pour lui faire plaisir, je n’y passais que deux nuits par semaine, faisant le reste du temps une heure et demie de route quotidienne pour le satisfaire. Un soir, nous nous sommes disputés, et
j’ai à nouveau cédé : le lendemain, je ne passerai qu’une nuit en famille, au lieu de deux. Au moins, nous avons pu passer une soirée normale.
Mais le lendemain matin, au moment de partir, il a tenté de me retenir, prétextant qu’il avait une envie de moi. En réalité, il cherchait surtout une raison pour commencer une
dispute. Ce furent les pires instants de ma vie, un déchaînement de violence. Il m’a donné des coups avec un étendoir à linge, m’a traitée de pouffiasse, m’a faite tomber
au sol plusieurs fois, tentant de me faire avaler de la poussière. Il a jeté mes affaires par terre, et m’a dit que tout était fini. Je suis partie en courant et en larmes.
Avant d’arriver au travail, je me suis arrêtée chez mes parents pour tout raconter à ma mère. La voir pleurer m’a touchée, et je me suis sentie coupable, mais aussi libérée : même si je
flanchais, jamais mes parents ne me laisseraient y retourner. Lui et moi, c’était fini.
Quand je suis retournée chercher mes affaires, j’ai demandé à mes parents de rester au bas de l’immeuble, espérant qu’il ne ferait pas d’histoires. Mais quand il a compris que je n’étais pas là
pour implorer son pardon, il a verrouillé la porte à clé, m’a suppliée, a menacé à nouveau de se tuer. Lorsqu’il est allé chercher un couteau, j’ai ouvert la porte et appelé mes parents à
l’aide.
Une fois de retour, j’avais peur qu’il se suicide ; je lui ai donc laissé entendre que j’avais besoin de réfléchir, qu’il y avait encore une chance que ça marche. Je ne savais pas
encore que les gens comme lui sont bien trop lâches pour se tuer, et n’utilisent ça comme une forme de chantage affectif. Il m’a appelée, écrit, suppliée, il a même consulté un
psychologue, espérant me redonner confiance. Pour se justifier, il a prétendu que son père battait sa mère, ce qu’il ne m’avait jamais dit en trois ans de relation – je ne sais pas si c’est
vrai ou non, mais je m’en fiche. Cela ne justifie en rien son attitude. Auprès de nos amis communs, il a endossé le rôle de victime, et certains, aujourd’hui, refusent de me parler. Mais la
victime, c’était bien moi, incapable de dormir à cause de cauchemars dans lesquels il apparaissait… Le pire, c’est qu’il m’a fallu du temps pour lui en vouloir. Mais il m’en a fallu encore
plus pour en parler.
… et vécut heureuse.
Un an et demi aujourd’hui que je ne le vois plus, je ne l’aime plus. Que serais-je devenue si j’étais restée ?Je préfère ne pas y penser, mais regarder ce que je suis. Plus
forte. J’ai tiré les leçons de mes erreurs, et je ne les referai pas. Aujourd’hui, je vis pour moi-même, je me coiffe et je m’habille comme je veux, je vois qui je veux quand je veux,
et j’ai rencontré quelqu’un il y a plusieurs mois. Je ne suis pas prête à emménager avec lui, et je ne le serai pas avant longtemps, mais je découvre ce qu’est une relation de couple saine,
normale, dans le respect de l’autre.
À toutes les madmoiZelles qui sont victimes de violences physiques ou mentales, je voudrais vous dire de ne pas perdre confiance en vous : le premier pas vers la liberté, c’est
d’en parler à quelqu’un. À toutes celles qui connaissent une personne victime de violences conjugales, je vous dirai de vous rendre disponible, de faire comprendre à votre ami-e que
vous serez toujours joignable, quoi qu’il arrive, et ne le/la jugez pas… sortir d’une telle emprise est long et difficile. Quant aux autres, gardez les yeux ouverts, pour rester en sécurité, et
protéger vos ami-e-s.
Laura Raucoules, psychologue clinicienne et chercheuse à Nice, a bien voulu se pencher sur ce témoignage pour donner un avis professionnel sur ce qui est arrivé à cette madmoiZelle.
En février 2001, le rapport Henrion avait déjà alerté l’opinion publique sur le drame des violences conjugales. Ce rapport affirmait qu’en France, une femme décédait tous les 5 jours de
violences conjugales. En 2010, 146 femmes ont perdu la vie sous les coups de leur (ex-)compagnon, ce qui représente un décès tous les deux jours et demi. 13% des morts violentes, cette
année-là, ont eu lieu dans le cadre du couple, et on a dénombré 260 000 femmes (âgées de 18 à 75 ans) victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur
conjoint. Depuis 1994, le Code Pénal français considère que le fait d’être conjoint ou concubin de la victime est une circonstance aggravante (cela a depuis été étendu aux
ex-compagnons).
Un seul responsable : l’agresseur
Il est dans en premier lieu important de se mettre d’accord sur une définition commune du terme « violences conjugales » (un comportement pourra être jugé comme
« violent » pour certains et pas pour d’autres). Il faut prendre en compte tous les éléments : l’agresseur, la victime, la relation qui les unit, mais aussi les tiers (la famille,
l’entourage, les professionnels qui interviennent éventuellement, la société). Pour expliquer les violences conjugales, un sujet très complexe, et mieux comprendre les raisons qui peuvent
pousser une victime à rester avec son agresseur (ce qui donne parfois l’impression qu’elle, aussi, est responsable…), M. Silvestre (et al) ont proposé en 2004 un modèle intéressant :
« L’auteur des violences est responsable de son comportement quel que soit le comportement de la victime. L’auteur et la victime ne sont pas à égalité. La victime n’est pas
responsable des coups qu’elle reçoit.
L’auteur et la victime sont coresponsables du maintien de l’interaction dans laquelle les comportements de violences deviennent redondants et structurent cette relation.
Pour qu’une situation de violence se modifie, que ce soit pour durer en s’amplifiant ou pour s’arrêter, le rôle du « tiers » quel qu’il soit, est déterminant. »
De l’équilibre au dysfonctionnement
Les violences conjugales touchent deux niveaux : celui des protagonistes (la victime et l’agresseur), mais aussi celui de la relation, dont il existe deux modèles : la symétrie
et la complémentarité. Dans le premier, les protagonistes sont à égalité, la parité est respectée ; dans ce témoignage, c’est ce qui se passe lorsque les deux amants décident de
prendre chacun son logement, dans la même ville, afin de ne pas « s’étouffer ». On passe au second modèle lorsque l’un des membres du couple décide, de son côté, de changer
la règle du jeu : le « prince charmant » en réclame d’avantage, sa compagne lâche « [s]on indépendance ». Trois types de changement sont possibles :
-
L’autre se soumet, c’est ce que l’on peut nommer les violences unilatérales
-
L’autre se révolte, cela se manifeste par des transactions violentes
-
L’autre s’en va
Ici les relations passent par des transactions violentes pour finalement aboutir à une soumission de la jeune femme : « poussée à bout, je cède ».
La règle du jeu a changé : la relation définie et acceptée par les deux partenaires n’existe plus en tant que telle. On voit plusieurs niveaux de changement dans ce témoignage : la jeune
femme « cède » à des concessions de plus en plus nombreuses, ce qui modifie l’équilibre du couple (on parle alors de relation complémentaire : l’un des deux se pense et se
définit comme « sujet », davantage que l’autre, ce qui est une négation de son « altérité » – son statut de personne). Il y a alors un dominant et (ici) une
dominée – un agresseur et une victime. Ce changement est déjà un comportement violent, même s’il n’y a pas encore de violences physiques.
En passant de « membre à part entière du couple » à « dominée », la madmoiZelle est confuse : par exemple, elle se sent « coupable » lorsqu’elle est en
voyage avec ses amies, ne comprenant que bien plus tard qu’elle n’a « absolument rien fait de mal ». Cette attitude conforte son compagnon dominant dans ses positions
: lui est déjà dans une relation complémentaire et inégale, alors que la jeune fille croit toujours être dans une relation équilibrée. En cédant, pour éviter le conflit,
elle lui permet de renforcer son comportement, et les choses peuvent rapidement s’emballer.
Une balançoire en perpétuel mouvement
Dans les relations complémentaires, déséquilibrées, on distingue différents types de violence : physique, sexuelle, psychologique et économique. La violence physique est toujours placée en
premier, car elle est visible et permet une intervention de la justice, ce qui peut éviter une aggravation de la situation. Mais ce témoignage nous rappelle qu’il ne faut pas négliger
les violences psychologiques.
On pourrait comparer la relation déséquilibrée au mouvement d’une balançoire (de celles qu’on utilise à deux). Les deux partenaires prennent part au « rituel » de l’interaction, et
sont tour à tout « en haut » et « en bas », le but étant de faire durer ce rythme. Toute proportions gardées, on peut dire qu’il en est de même dans le couple : si je
frappe/domine ma compagne, c’est pour la contrôler, la faire changer, mais surtout pour pouvoir vivre en paix avec elle ensuite ; si je reste avec celui qui me frappe, c’est parce que je suis
la seule à pouvoir l’aider à changer, et qu’ensuite nous vivrons ensemble en paix. C’est une démarche paradoxale : les « solutions » adoptées (pour lui la violence,
pour elle le fait de rester avec son compagnon pour l’aider) sont précisément ce qui rend l’objectif (vivre heureux ensemble) impossible à atteindre… Ce mouvement perpétuel peut
entraîner dans son orbite l’entourage immédiat du couple, mais aussi les éventuels intervenants extérieurs.
Ici, la jeune femme est dans le déni concernant le danger que son compagnon peut représenter pour elle, et pense devoir lui pardonner, le soutenir et l’aider à changer. L’espoir revient, et
elle peut alors se regarder en face, trouvant diverses justifications à son comportement (par exemple : « au moins nous avons pu passer une soirée
normale »). Les deux protagonistes n’existent que dans leur relation de couple : ils confondent « quitter le jeu », ce qu’ils pourraient faire à tout moment,
avec « quitter le couple », comme le jeune homme le rappelle souvent à sa compagne en la menaçant de la quitter. Au fil du temps, les phases de ce cycle dysfonctionnel vont
raccourcir, et ce schéma deviendra leur quotidien : cette « ritualisation » permettra à la relation fusionnelle du couple de se maintenir, contre toute attente, et c’est seulement
en brisant ce rythme, et en risquant le chaos, que les choses peuvent changer.
Une violence « accidentelle » qui devient rituelle
Le plus souvent, le premier acte violent apparaît lors d’une crise qui crée un sentiment d’insécurité et d’angoisse ; il est le souvent perçu comme un accident, mais ouvre la porte à de
nouvelles violences, qui s’installeront progressivement – même lorsque, comme ici, le compagnon s’excuse et promet « de ne plus jamais recommencer ». L’homme abusif est une
menace pour sa compagne, et les violences psychologiques et verbales sont fréquentes. L’agression physique sera souvent utilisée pour reprendre la position dominante dans une
phase de stress, une situation où l’agresseur se sent dévalorisé. Ensuite, il regrette son geste, cherche la réconciliation ; sa compagne lui pardonne, se reproche même de ne pas
avoir su le comprendre, et tente de prendre soin de lui, de lutter contre son prétendu mal-être. L’homme culpabilise, il cherche à réparer sa faute (par des fleurs, des cadeaux, des
excuses…), ce qui redonne espoir à la victime : c’est ce qu’on appelle la « lune de miel ». Mais au prochain stress, le cycle de violence reprendra.
Au travers de ce témoignage, nous ne pouvons que souligner le courage de notre MadmoiZelle qui a su s’extirper de cette spirale de la violence en prenant appui sur un tiers (sa
maman). Elle a su quitter son identité de « victime » afin de regarder qui elle est vraiment.
L’agresseur pense que c’est l’autre, et non pas lui, qui doit changer. Une intervention de la Loi est souvent la première brèche dans cette représentation mentale, car elle réintroduit la
notion de responsabilité, de victime. L’auteur de violences est seul reponsable de son comportement, même s’il pense autrement, et définir son/sa conjoint-e comme victime, c’est
déjà le lui faire comprendre. C’est pour cela qu’il faut confronter l’agresseur et ses responsabilités, par exemple via l’injonction de soins, qui pourra être pour lui un signal très
fort.
Que conseiller à une femme, victime de violences conjugales, qui ne souhaite pas quitter son foyer ?
Si la victime estime pouvoir rester chez elle, elle doit pouvoir prévenir les nouvelles agressions :
- en notant les numéros de téléphone des secours dans un endroit facile d’accès ou en les mémorisant (police ou gendarmerie : 17 ; SAMU : 15 ; pompiers : 18 ;
depuis un portable : 112 ; Violence Conjugale Femme info service : 39 19)
- en identifiant les personnes qui peuvent l’aider en cas d’urgence
- en convenant d’un code de communication avec des voisins, lesquels pourront appeler la police en cas de nouvelle(s) agression(s)
- en informant les enfants, si elle en a, sur les conduites à adopter pour se protéger lors d’actes de violence (se réfugier chez des voisins, sortir de la maison
pour téléphoner à la police…)
- en repérant les indices qui préviennent de l’explosion de violence
- en évaluant les moyens d’assurer sa sécurité dans une pièce de la maison (verrou, serrure…)
- en rendant les armes difficiles d’accès
- en prévoyant un départ en urgence (cacher un sac de
départ avec adresses de foyer…)
- en mettant en lieu sûr, hors de la maison (personne de confiance, famille, ami-e, association…), des copies ou des originaux des papiers les plus importants.
N’hésitez pas à joindre le service Violence Conjugale Info au 39 19 : l’appel est gratuit, n’apparaîtra pas sur la facture téléphonique, et vous pourrez parler à
des personnes qualifiées qui soutiennent, renseignent et conseillent sans jamais porter de jugement. Un site
Internet est également mis à la disposition de tous.