Les études de genre, danger ou évolution ?,articles femmes hommes,parite,
SUR QUELS CRITÈRES DOIT-ON SE FONDER POUR DÉFINIR QUI EST HOMME, QUI EST FEMME ?© K.M. KLEMENCIC/FLICKR/CREATIVE COMMONS
SOCIÉTÉ 26 MARS 2014
Auteurs
Laure Salamon
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Les études de genre, danger ou évolution ?
L’ABCD de l’égalité et la polémique autour d’une supposée « théorie du genre » ont placé les questions d’identité et de domination sexuelles au cœur de l’actualité. Voici quelques pistes de réflexion.
À lire
Introduction aux études de genre
Laure Béréni,
Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait
et Anne Revillard,
De Boeck, 2012
358 p., 22,50 €.
L’éducation
à l’âge du Gender
Michel Boyancé, Thibaud Collin
éd. Salvator, 2013
128 p., 15 €.
Normes religieuses et genre
Florence Rochefort et Maria Eleonora Sanna,
Armand Colin
320 p., 27,50 €.
S’il te plaît,
parle-moi
de l’amour !
Inès Pélissié du Rausas,
Saint-Paul éd., 2012
104 p., 12 €.
Jusqu’au XIXe siècle, presque tout avait été écrit, pensé, traduit et organisé par les hommes : l’histoire, l’économie, l’anthropologie et même la Bible ! À partir du XIXe siècle, les premiers mouvements féministes viennent bousculer cet ordre établi en revendiquant une égalité juridique, notamment pour le droit de vote. Dans les années 1930, l’anthropologue Margaret Mead découvre que chez les Chambuli, tribu d’Océanie, les sexes et les tempéraments ne sont pas les mêmes que dans notre culture occidentale. Par exemple, l’homme est moins compétent et plus émotif que la femme.
Puis les avancées dans la recherche médicale vont progressivement séparer le sexe biologique du sexe social. Avec les travaux sur des cas de transexualité et d’hermaphrodisme des chercheurs américains Robert Stoller et John Money dans les années 1950, la distinction entre sexe biologique et identité sexuelle va être complétée et la notion de « gender » va apparaître.
Du sexe au genre
Traduit en français par genre ou sexe social, ce concept devient ensuite un outil d’analyse politique pour décrypter les rapports de domination. Aujourd’hui, on parle de genre pour désigner les rapports sociaux entre les sexes. Les études sur le genre ou études de genre regroupent ainsi les travaux transdisciplinaires sur le lien complexe entre les différences femme-homme. Pour Valérie Nicolet-Anderson, enseignante en Nouveau Testament à l’Institut protestant de théologie à Paris, « la frontière entre ces travaux indiscutables et ce qui peut être débattu dépend de la conviction de chacun sur ce qui est biologique et ce qui est construit ».
Les avancées en matière d’imagerie par résonance magnétique (IRM) ont permis de consolider les savoirs, notamment sur le cerveau.
La neurobiologiste de l’Institut Pasteur, Catherine Vidal, rappelait dans une émission diffusée sur France Inter en 2011 qu’« on sait aujourd’hui que le cerveau n’est pas programmé dès la naissance pour générer des comportements, des aptitudes, des personnalités qui seraient le fait des femmes et des hommes. Le cerveau fabrique des nouvelles connexions entre neurones tout au long de sa vie et se façonne en fonction du vécu de la personne ». Cette découverte scientifique remet ainsi en cause le déterminisme génétique de l’identité sexuelle qui faisait date jusqu’à présent.
Le philosophe Thibaud Collin, proche des mouvements catholiques, reconnaît cette avancée scientifique et s’interroge : « Qu’est-ce que j’en fais ? Quelle signification peut-elle avoir sur le corps sexué ? En quoi cela peut-il m’aider pour vivre dans ce corps d’homme ou de femme ? La science pose des questions éthiques et politiques. » Libre à chacun de s’en emparer.
Quels critères pour définir le sexe ?
Un autre volet de la recherche a permis à la biologiste américaine Anne Fausto-Sterling de proposer plusieurs critères pour définir le sexe tels que l’anatomie (vagin/pénis), les gonades (testicules/ovaires), les hormones (testostérone/œstrogène), l’ADN (chromosome XY/XX) et le cerveau. Jusqu’à récemment, la seule présence d’un pénis justifiait le fait d’être un homme. Pourtant, la question revient régulièrement en débat lorsqu’une sportive par exemple ne présente pas les signes extérieurs féminins. Sur quels critères doit-on se fonder pour définir qui est homme, qui est femme ?
Le philosophe Michel Boyancé souligne l’importance du débat. « Une égalité des droits est-elle une absence de différences réelles ? L’altérité homme-femme peut-elle réellement disparaître dans l’égalité des droits, notamment par rapport à la question de la filiation ? Entre ne pas figer les rôles de l’homme et de la femme à partir du biologique et considérer que la société se fonde sur l’absence de distinction entre homme et femme, il faut engager des discussions afin de trouver des solutions équilibrées, respectueuses des personnes et de leurs différences. »
En parlant de l’absence de distinction, le philosophe fait référence à la pensée « queer », dont une des théoriciennes est Judith Butler. Elle propose de s’émanciper des normes et invite à la subversion de « l’idéologie biologique ». Poussée à son paroxysme, la pensée « queer » vise à défendre que tout est construit. Et si tout est construit, tout devient possible. Pour le philosophe protestant Olivier Abel, « la pensée “queer” est utile pour ébranler les dogmatiques, les certitudes, mettre du trouble dans ce qu’on pense acquis, mais dire que tout est construction sociale est un peu inquiétant. Le danger serait de laisser croire aux gens que tout est construit et choisi. Quand on aime, on aime une personne avant tout, ce n’est pas une question de choix ».
Les normes en débat
Dans ce débat se pose la question des normes. Où fixe-t-on la normalité ? Pour Florence Rochefort, chercheuse au CNRS (GSRL) et présidente de l’Institut Émilie du Châtelet, centre de recherches sur le genre et les femmes, « il y a un côté rassurant à se dire qu’on est dans la norme. Ces normes fabriquées par la société peuvent bouger dans le temps. Par exemple, l’homosexualité n’est plus considérée comme une maladie, ni un délit, mais bien reconnue comme une orientation sexuelle ».
D’où viennent alors les crispations ? Selon Florence Rochefort, elles trouvent leur origine dans un contexte conjoncturel difficile, fait de manipulations politiques. « Ce n’est pas pire ou moins grave que pour d’autres évolutions sociétales. Dans les années 1930, par exemple, on disait que donner le droit de vote aux femmes, c’était renverser l’ordre social et aller vers la fin de la civilisation. » Un des blocages pour Michel Boyancé reste que, malgré l’évolution des recherches, le point de vue catholique semble ne pas changer : « Il faut reconnaître que la hiérarchie de l’Église reste patriarcale, mais aussi, sans qu’il y ait de lien nécessaire entre ces deux aspects, le fait que l’altérité homme-femme et leur complémentarité fasse partie de la vision chrétienne. »
Pour le philosophe Olivier Abel, il y a des différences dans l’anthropologie théologique catholique et protestante. « Chez les protestants, il n’y a pas de conception immuable de la “nature”. L’approche est plus pragmatique : qu’est-ce qu’on fait de ce qui nous a été donné ? La conception protestante du couple est fondée sur un retour au texte (Cantique des Cantiques ou la Genèse) qui ne parle ni de mariage ni d’enfant, il s’agit d’amour. Dans le couple puritain, au sens calviniste du terme, la conjugalité peut avoir du sens pour elle-même, contrairement à une conception plus catholique qui voit la conjugalité subordonnée à la procréation et à la filiation. Au cœur de cette conjugalité, c’est un lien libre et égal entre deux êtres qui se parlent, c’est la conversation entre ces deux personnes qui est importante. Le sexe devient une différence parmi d’autres. »
À partir de ces avancées, certains États font des propositions politiques. Comme le gouvernement français qui, en ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, a fait le choix de cette égalité. Malgré la conception protestante du couple, cette question est loin de faire l’unanimité au sein du protestantisme français, notamment à cause de la filiation. « En France, les Églises protestantes restent ancrées dans une culture française profondément marquée par le catholicisme », rétorque Olivier Abel. Florence Rochefort, qui vient d’éditer un ouvrage sur le sujet du genre et des religions, souligne que le protestantisme est plus plastique que d’autres et que les religions doivent s’adapter aux évolutions de la société.
Le message ou le texte ?
Certains courants utilisent la Bible pour justifier leur position. Valérie Nicolet-Anderson prend l’exemple de l’esclavage : « Au XIXe siècle, les détracteurs de l’esclavage s’appuyaient sur le message de libération pour affirmer que le Dieu de la liberté ne pouvait vouloir l’esclavage malgré d’autres textes. On peut faire le même raisonnement avec l’homosexualité. Les détracteurs ont les textes pour eux mais l’homosexualité dans l’Antiquité n’était pas la même qu’aujourd’hui. Ceux qui soutiennent les droits des homosexuels doivent s’appuyer sur le message du Dieu d’amour, qui appelle à ne pas juger l’autre. » Une position qui renvoie au débat sur l’interprétation des Écritures et qui se situe sur un autre registre que celui des nouvelles compréhensions de la différence homme-femme.
Les études de genre, danger ou évolution ?
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