Faustine Cros : "À travers ma mère, le film questionne la maternité dans notre société"
Faustine Cros : "À travers ma mère, le film questionne la maternité dans notre société"
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26 avr. 2023 à 14:36
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Temps de lecture5 min
Par Elli Mastorou pour Les Grenades
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"C’est ma mère, Valérie. Elle est maquilleuse pour le cinéma. Il y a quelques années, elle a fait une tentative de suicide. Elle m’a dit ça sur Skype, l’air de rien…"
Dans Une vie comme une autre, entre images au présent et archives vidéo filmées par son père, Faustine Cros compose un portrait à rebours de sa mère, afin de comprendre le geste de celle-ci et ce qui l’y a amenée.
A l’intersection de l’intime et du politique, Une vie comme une autre questionne sans détour et avec tendresse les aspects difficiles et souvent non racontés de la maternité. Rencontre avec la réalisatrice.
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Comment est née l’envie de raconter l’histoire de Une vie comme une autre ?
Faustine Cros : J’ai grandi avec une mère qui a beaucoup souffert d’être mère. Quand elle a fait une tentative de suicide, j’ai eu besoin d’aller comprendre ce qui lui était arrivé. C’était quelque part aussi une façon de relire ma propre histoire, pour mieux comprendre notre relation mère-fille. Depuis ma naissance jusqu’à mes 10 ans, y a une quantité énorme d’images, filmées par mon père. Ces images sont devenues un outil pour revoir toute une partie de ma vie. J’ai cherché ma mère dans ces images, et j’ai essayé de comprendre son parcours. A travers ma relecture de ces archives, à travers ce qu’on voit – mais aussi ce qu’on ne voit pas, petit à petit, j’ai vu se dessiner le portrait d’une femme qui tombe en dépression. Et en fait, ça commence avec la maternité.
C’est-à-dire ?
Quand je suis née, ma mère a choisi d’arrêter de travailler. C’était temporaire, elle espérait retrouver du travail ensuite – mais elle n’a pas réussi. Dans le milieu du cinéma, où elle travaillait comme maquilleuse, déjà c’est très difficile de trouver du boulot de base – alors en tant que femme, qui fait des enfants… En fait, elle a été confrontée au sexisme de la société. Ce que le film questionne à travers ma mère, c’est toute une manière d’organiser la maternité dans notre société. C’est une situation vraiment très précaire.
Des femmes m’ont souvent dit : "Je n’ai jamais senti le patriarcat autant que quand j’ai eu des enfants"
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Il y a une scène très puissante dans le film : celle du frigo, où elle se lâche et crie devant la caméra toute sa rage et sa frustration, le poids du quotidien…
Oui. Elle dit tout. Je pense que cette scène résonne fort avec beaucoup de femmes, car on m’a souvent dit "Je n’ai jamais senti le patriarcat autant que quand j’ai eu des enfants".
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Quelles sont les réactions qui reviennent le plus souvent devant votre film ?
Un des retours qui m’a le plus marquée, c’était à Dok Leipzig (célèbre festival documentaire allemand, où le film a été primé, NDLR). Une jeune fille est venue me voir, et elle m’a dit : "Votre film m’a bouleversée, il m’a vraiment fait repenser mon rapport à ma mère, et pendant que je pleurais, une dame que je ne connaissais pas m’a pris la main pour me calmer, et après le film on est allées boire un café, on a parlé de nos mères, c’était bien". Je me suis dit, waw ! Un autre souvenir, en Finlande, quand j’ai raconté l’histoire de ma mère à une docteure mère de deux enfants, et elle m’a regardé avec des grands yeux écarquillés ! Elle m’a que cette question de choisir entre carrière et famille ne se poserait jamais pour elle aujourd’hui. Pourquoi ? Car la société là-bas a organisé le congé parental de manière totalement égale. Rien que ça, ça permet de penser la parentalité différemment.
Le film questionne aussi beaucoup les hommes
Et les réactions des hommes devant le film ? Y compris votre père et votre frère, qu’on voit dedans ?
Ça dépend des générations. Mon père, on le voit dans le film, est encore dans une forme de déni. Bon, moi je trouve ça touchant, je n’ai pas envie d’aller le confronter. Il appartient à une autre époque. Par contre, de manière sous-jacente, ça le questionne. Mon frère adore le film, il a un rapport aux femmes aussi totalement différent de celui de mon père. Et puis j’ai eu des retours d’hommes, qui me disent "je comprends, ma copine vit la même chose, on vient d’avoir un bébé, et ça me fend le cœur parce qu’on ne la rappelle plus mais on m’appelle moi pour faire les jobs qu’elle faisait avant… Je leur dis qu’elle est prête à revenir, et on me répond " Maintenant on préfère travailler avec toi…" Le film questionne quand même aussi beaucoup les hommes.
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Quelle est la place du féminisme, comme regard politique sur le monde, dans votre cinéma ?
Je me sens féministe, mais ça devrait être normal : tout le monde devrait l’être ! Quand j’ai commencé à faire ce film, je n’avais pas lu beaucoup sur le féminisme. C’est vraiment en m’intéressant à ma mère et à son vécu que j’ai ressenti un truc dans mes tripes. J’ai commencé à lire des ouvrages, sur l’histoire du cinéma du point de vue féminin, des podcasts qui déconstruisent la masculinité comme ceux de Victoire Tuaillon… ça a nourri ma réflexion en parallèle à la création de ce film. Je dirais que mon féminisme n’est pas un engagement militant au quotidien, mais plutôt un regard sur les petits détails de la vie ordinaire. Là où moi, à ma petite échelle, je peux interroger tous ces rapports de domination, toutes ces injustices.
C’est important de montrer des histoires "banales", parce que c’est aussi un geste politique : dire voilà, c’est une vie comme une autre, il y en a plein partout, et ça vaut autant que la vie de quelqu’un qui a eu un trajet extraordinaire. Les joies et les difficultés de ma mère sont aussi importantes que celle d’une héroïne. Tu peux toucher à du politique en restant sur des choses très intimes.
C’était important de pouvoir lui dire : maman, maintenant je te vois, je te comprends
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Et votre mère alors, comment a-t-elle reçu le film ?
Je lui ai posé la question : "Maman au fond, est-ce que tu regrettes ?" Elle m’a dit, "Mais enfin Faustine, évidemment que non. Mais il faut dire ce qui est : faire des enfants, c’est un tsunami. Ça a bouleversé ma vie. Mais je suis fière de qui vous êtes, jamais je ne regretterai.’’ Et c’est aussi ce qui m’a fait tenir, pour faire ce film, durant toutes ces années. Je voyais qu’elle était invisibilisée, que tous ses sacrifices elle les a faits par amour, et quelque part, ils se sont retournés contre elle. Je voulais aussi pouvoir lui dire "Maman, maintenant, je te vois, je te comprends." C’était hyper important de pouvoir lui faire ce cadeau d’amour. Elle l’a pris comme ça. Elle m’a dit "Maintenant, tu me vois".
Une vie comme une autre de Faustine Cros. En salles ce mercredi 26 avril.
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