Sommes-nous vraiment allées trop loin dans la promotion des droits des femmes ?
Des femmes manifestent ce 8 mars à Bogota, en Colombie.
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18 mars 2023 à 12:12
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Temps de lecture7 min
Par Esmeralda de Belgique, une chronique pour Les Grenades
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Ces derniers jours, un sondage réalisé au Royaume-Uni par Ipsos et King’s College London a révélé que la majorité des jeunes de la génération Y (millénials) et Z (zappeurs) estime que la société est allée trop loin dans la promotion des droits des femmes et que les hommes sont victimes de discrimination.
Au même moment, les Nations-Unies déclaraient que les dernières données disponibles sur l’objectif de développement durable (ODD) n°5 montrent que le monde n’est pas sur la bonne voie pour atteindre l’égalité des sexes d’ici 2030. En fait, au rythme actuel, selon António Guterres, le Secrétaire-Général des Nations Unies, il faudrait 300 ans pour que l’on puisse l’atteindre !
Au-delà de ces perceptions contradictoires, quelle est la réalité ?
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L’impact positif des femmes sur la société
Il est exact que partout dans le monde, des initiatives sont lancées pour la promotion des femmes, pour faire entendre leur voix et protéger leurs droits. On pourrait presque dire que cette décennie est entièrement consacrée aux femmes et aux filles afin de parvenir à l’égalité des sexes et mettre fin à la violence et au harcèlement.
Les femmes et hommes politiques, les économistes et les hommes d’affaires affirment que l’autonomie réelle des femmes engendrera une croissance du PIB, diminuera le taux de mortalité, aidera à ramener la paix dans de nombreuses régions troublées de notre planète, contribuera à lutter contre la crise climatique et à modifier les comportements au sein des communautés.
Des études ont été publiées témoignant de l’impact positif des femmes sur la société : lorsqu’elles y sont équitablement représentées et sont agents actifs dans tous les secteurs de la vie publique, elles apportent tolérance et prospérité.
En conclusion, plus de femmes aux leviers de commande favoriserait et accélérerait l’accès au bien-être planétaire.
Alors, où en sommes-nous aujourd’hui ?
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Des statistiques peu encourageantes
Les progrès sont à la traîne. Les statistiques ne sont pas encourageantes. L’évolution des droits des femmes est vraiment une affaire inachevée, comme le confiait Hillary Clinton…
Quelques chiffres : au niveau mondial, le pourcentage moyen des femmes dans les gouvernements est de 16,1%. Dans les parlements, il est de 22,9%. Seules 24 femmes sont chefs d’État ou de gouvernement. Nous venons d’ailleurs d’en perdre deux avec les retraits de Jacinda Ardem en Nouvelle-Zélande et Nicola Sturgeon en Ecosse.
La représentation des femmes aux postes de pouvoir et de prise de décision reste inférieure à la parité. De plus, comme seulement 47% des données nécessaires pour suivre les progrès de l'ODD 5 sont actuellement disponibles, les femmes et les filles demeurent effectivement invisibles.
Le covid-19 a encore contribué à ralentir les perspectives d’égalité des sexes. Bien que les femmes aient joué un rôle très important au plus fort de la pandémie – elles constituaient la majorité du personnel soignant – elles en ont subi plus gravement les conséquences. Dans les pays du Sud, après le confinement, des millions de filles n’ont pas réintégré l’école.
La majorité des jeunes de la génération Y et Z estime que la société est allée trop loin dans la promotion des droits des femmes et que les hommes sont victimes de discrimination
Et globalement, davantage de femmes que d’hommes ont perdu leur emploi. La pandémie, le climat et les crises humanitaires ont encore accru les risques de violence, en particulier pour les femmes et les filles les plus vulnérables. Une sur trois en a souffert. 650 millions de femmes vivantes aujourd’hui ont été mariées alors qu’elles étaient enfants. 1 fille sur 5 serait mariée avant 18 ans. 200 millions ont subi des mutilations génitales féminines.
Les droits reproductifs – qui concernent à la fois la santé de la reproduction et celle de la non-reproduction – sont menacés jusque dans les pays où ils sont garantis depuis un certain temps.
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Les femmes ont encore du mal à accéder aux postes de responsabilité dans les entreprises. Alors même qu’aux États-Unis elles représentent la majorité des diplômés universitaires, leur proportion diminue à chaque étape de leur carrière pour n’être plus que minoritaire dans les emplois de premier échelon…. Les raisons vont de la discrimination sur base de préjugés sexistes à la rigidité des conditions de travail.
Une enquête menée par 4 Girls Local Leadership a interviewé des jeunes filles de différents pays et continents à propos de ce qu’elles souhaiteraient le plus voir modifié dans leur vie. Elles ont répondu : leur carrière. A la question de ce qui pourrait contribuer à ce changement, plus de 60% ont déclaré : elles-mêmes. Et de quelle façon ? En ayant accès à l’éducation et en acquérant confiance en soi.
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Corrélation avec les crises que nous vivons
Nous constatons de plus en plus la corrélation entre les droits de l’homme et les différentes crises auxquelles nous sommes confronté·es. Nous ne pourrons faire face aux changements climatiques sans lutter contre les inégalités. Il apparaît aussi clairement que nous devons aborder ces crises depuis une perspective qui tient compte des genres.
Au cœur du dérèglement climatique sévit encore l’injustice entre les sexes. Les effets du chaos atteignent davantage les femmes parce que celles-ci constituent la majorité des populations déshéritées.
En Afrique et en Asie, 70% des personnes vivant sous le seuil de pauvreté sont des femmes. Elles sont également 20 millions sur les 26 millions des déplacés en raison d’événements météorologiques extrêmes, et donc plus que jamais exposées aux risques de violence, de harcèlement sexuel et de mariages forcés.
De plus, en raison du rôle que la société leur a assigné, dans les communautés rurales du monde entier, les femmes et les filles sont en charge de la collecte de nourriture, d’eau et de ressources énergétiques.
En Afrique subsaharienne, elles consacrent 40 milliards d’heures par an à chercher de l’eau. Un travail non rémunéré qui empêche les filles d’aller à l’école et perpétue ainsi les inégalités. Elles ont un accès restreint à la formation agricole et technique et au crédit. Elles ne possèdent que 15% des titres de propriété et n’ont donc qu’un pouvoir de décision très limité sur les terres.
Et pourtant ! Les femmes sont des agents de changement essentiels ! Elles ont le pouvoir de faire évoluer les comportements au sein de leurs communautés et sont les premières à réagir en cas de catastrophe comme en temps de conflit.
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Nouvelle stratégie de financement
En raison de leur connaissance approfondie de la nature et de ses ressources, elles sont souvent des leaders dans la conservation et l’adaptation aux changements climatiques.
Plus de femmes aux leviers de commande favoriserait et accélérerait l’accès au bien-être planétaire
Les femmes des régions rurales reculées de l’Himalaya ne sont qu’un exemple parmi tant d’autres. Aux prises avec un environnement rebelle, conscientes de leur rôle dans la communauté locale, elles se sont documentées et se sont retrouvées au cœur du système de production, gérant l’agriculture, la sécurité alimentaire, la nutrition et les ressources naturelles.
Un rapport de Mongabay-Inde révèle également que les femmes de la tribu indienne Gond, dans un village du Madhya Pradesh, ont appris collectivement des techniques agricoles et ont mis en place un système d’irrigation solaire pour surmonter les défis de la pénurie d’eau dans la région sèche.
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Alors, quelles sont les solutions pour que davantage de femmes puissent jouir de leurs droits et apporter leur contribution à la société ?
Outre un engagement politique fort, il faut adopter une nouvelle stratégie de financement du développement. Au lieu d’être égarés dans les méandres des multiples ONG du Nord, les fonds doivent être directement versés aux organisations féminines locales très à même de déterminer les priorités.
L’éducation des filles
Nous devons investir dans l’éducation des filles en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STEM), y compris dans les sciences de l’environnement. Actuellement, trop peu de femmes poursuivent des carrières dans ces domaines.
Elles représentent moins de 20% de la main-d’œuvre professionnelle dans le secteur de l’énergie. Et dans le domaine de l’Intelligence Artificielle, le ratio est 1 femme pour 5 hommes.
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Nous devons éliminer les obstacles et développer les opportunités grâce au mentorat et en encourageant les institutions, publiques et privées, à soutenir les femmes dans le domaine scientifique à tous les niveaux.
Un nouveau modèle de leadership avec une vision 50/50 nous ferait progresser vers un avenir durable. C’est ce que prône l’organisation SHEChangesClimate qui milite pour une participation pleine et égale des femmes et des filles dans toutes leurs diversités aux processus décisionnels.
Sans la moitié de l’humanité ?
Depuis la première Conférence sur le Climat en 1995, seules quatre femmes ont été nommées présidentes.
A la COP27 de Sharm El Sheikh en Égypte, seulement 7 des 110 dirigeants mondiaux présents étaient des femmes… Et dans les délégations, elles ne représentaient que 34%. Certains pays venant même avec des équipes à 90% masculines !
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Amina Mohammed, Secrétaire-Générale adjointe des Nations Unies avait déclaré à propos du Nigeria, son pays : "Je ne pense pas qu’il y ait un plafond de verre. C’est un plafond de ciment que nous devons constamment ciseler jusqu’à ce que nous trouvions une fissure pour nous y faufiler."
Au cœur du dérèglement climatique sévit encore l’injustice entre les sexes
Son message demeure essentiel. Sans l’égalité des sexes aujourd’hui, un avenir durable reste hors de notre portée. Comment peut-on espérer résoudre les nombreuses crises actuelles avec un bandeau sur un œil ou une main attachée dans le dos ?
Le partage égal de la vision et des décisions sera profitable pour notre société, notre économie et plus que toute autre chose, c’est une question de justice pour la moitié du monde.
Le backlash, retour de bâton contre les droits des femmes – Un podcast Les Grenades, série d’été
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