Zahia, le sexe et l'argent : le paradoxe d'une petite fille qui ne voulait pas grandir
Zahia, le sexe et l'argent : le paradoxe d'une petite fille qui ne voulait pas grandir
Modifié le 24-06-2013 à 14h27
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Temps de lecture : 4 minutes
Par Bruno Clavier
Psychanalyste et psychologue
LE PLUS. Soupçonnés d'avoir eu recours la prostitution d'une mineure, les footballeurs Franck Ribéry et Karim Benzema ne passeront finalement devant le tribunal qu'en janvier 2014. De son côté, Zahia Dehar a paradoxalement été propulsée super-star. Comment comprendre son parcours ? Analyse de Bruno Clavier, psychanalyste et psychologue clinicien, auteur de "Les fantômes familiaux".
Édité par Louise Pothier
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Le monde enchantée de l'ancienne call-girl Zahia Dehar (J.BRINON/SIPA)
Il existe deux Zahia : la première, call-girl mineure, a fait les frais, et sûrement profité, d’une large médiatisation. La deuxième, femme majeure d’entreprise mène une existence de princesse.
Sa marque de lingerie de luxe est développée dans des locaux d’un quartier chic de Paris, où selon ses volontés, tout est rose, en forme de cœur du sol au plafond. Zahia assume cet univers de petite fille et elle l'affirme dans les médias :
"Quand j’étais petite, j’adorais me maquiller, me coiffer. Aujourd’hui je vis mon extase de petite fille de 6 ans." ("Paris Match", juin 2013)
Dans son monde rosé, tout se mélange étrangement : sexe, scandale, notoriété, bons sentiments, argent, enfance, âge adulte…
Du mode mineur interdit au mode majeur légal
Coachée par un ami d’âge mur, conseillée par sa mère, Zahia fait de son histoire et de son corps sa marque de fabrique, jusqu’à sa chute de reins qui, moulée à part, trône dans son atelier.
Elle est donc passée d’un mode mineur sulfureux et hors-la-loi, celui qui cause des tracas à certains de nos footballeurs nationaux, au mode majeur légal, people, ayant pignon sur rue avec tout de même une attitude prudente. Plus question de frasques, de sexe, de ce qui semble appartenir à un passé dont elle dit :
"Je n’avais pas l’impression de faire quelque chose de mal, je m’amusais, j’aimais beaucoup sortir."
Zahia a maintenant 21 ans. Que représente son parcours, que pouvons-nous en comprendre ? La sexualité et l’argent semblent en être les deux piliers fondamentaux.
Une sexualité qui n’est pas sexuelle
Dans son histoire, la sexualité est paradoxalement présente à tous les niveaux et absente dans le fond.
Dorénavant secrète sur sa vie privée, elle se présente aujourd’hui comme un personnage asexué, qui part en vacances seule, enfin presque : deux chiens l’accompagnent partout, elle les promène plusieurs fois par jour. Ils sont présentés comme les seuls vrais compagnons de la jeune femme qui semble n’avoir pas d’âge, ce qui est souvent le cas quand on a eu une enfance volée.
Initialement call-girl, ou escort girl, elle n’apparaît pas vraiment y avoir vécu de la sexualité, comme si le sexe ne pouvait être incarné que par les brutes sportives ayant en quelque sorte abusé d’elle, une enfant. Cette absence de sexualité au sein même de la sexualité à outrance témoigne d’un manque de représentation psychique qui, poussé à l’extrême, pourrait faire croire qu’une éternelle petite fille ne serait jamais atteinte par ses actes, puisqu’innocente.
Karim Benzema et Franck Ribéry : deux Bleus clients de Zahia (SIPA)
La pureté sexuelle de l’enfant
Tout apparaît comme si la sexualité sous forme de bonbons roses et sucrés n’en serait pas, à l’image du commentaire sur elle dans "Paris Match" (légende de photo) : "Sur un plateau, des cache tétons en silicone en forme de gâteaux à la chantilly."
Le monde de Zahia, toutes proportions gardées, ressemble fort à celui de Michael Jackson, "Bambi", où le sexe était apparemment absent puisque c’était un monde d’enfants. Or l’histoire de Zahia, en fin de compte, nous enseigne qu’une sexualité qui ne se parle pas et qui ne se pense pas, continue à faire de nous des enfants et surtout continue à faire en sorte que les femmes n’en soient jamais.
Cet environnement féminin, lingerie y compris, semble plutôt celui où elles ne peuvent être que petites filles, mères ou …call-girls.
Zahia énonce, à travers son "extase de petite fille de six ans", qu’il y a un au-delà à une vie de femme qui n’existe pas, en particulier quand les hommes et les pères sont absents du paysage. Car les seuls hommes dont on parle dans cette affaire ressemblent à des enfants qui, malgré leur notoriété footballistique et leurs gros comptes en banque, ne peuvent s’offrir que des poupées jouets pour leur anniversaire.
C’est bien l’argument de leur défense : comment pouvaient-ils savoir l’âge du jouet ? Sexualité, omniprésente dans l’image et absente dans les mots. Un deuxième élément joue du même registre de présence-absence : l’argent.
L’argent présent-absent, comme le sexe
De la même façon qu’une sexualité dont on parlerait serait obscène, l’argent que l’on nommerait serait sale.
Dans le monde de Zahia, on ne parle pas des origines de l’argent, comme le note l’article de "Paris Match", mais par contre, on le représente, on l’affiche ostensiblement. Savoir d’où il vient ne compte pas, tout comme très souvent dans notre société, est manquante l’information sur la sexualité que l’on pourrait donner aux petites filles pour les aider à devenir des femmes.
Ce qui compte donc n’est pas le sens de ce qui est fait mais l’image de ce qui est fait, pourvu que l’image soit tentante. On sait donc que Zahia ira en vacances "en avion privé à 20.000 euros et qu’elle y séjournera dans une villa de luxe à 1000 euros par jour, qu’elle roule en berline noire avec chauffeur" ("Paris Match") ; on voit donc tout mais on ne sait rien.
Ainsi, l’argent et la sexualité, montrés sans mots, ne s’inscrivent pas dans ce qui fait l’humain : un être de parole et de transmission par celle-ci.
Zahia et les footballeurs, des exemples limitants
Le message inconscient de Zahia est clair : la sexualité n’a pas d’importance – sa première vie –, mais elle peut être un tremplin pour l’argent – sa deuxième vie.
L’argent et la sexualité sont donc interchangeables à partir du moment où ce qui importe est ce qu’on fait et non pas pourquoi on le fait. Le monde de Zahia est en fait un monde aussi pauvre que celui des footballeurs millionnaires, le procès qui s’ouvrira finalement en janvier confrontant deux images.
D’un côté, celle de grands gamins, malheureusement modèles pour les futurs hommes, qui ne peuvent qu’argumenter par des "je ne savais pas, madame, monsieur, excusez-moi".
De l’autre, celle de cette petite fille grandie trop tôt qui, constitue pour sa part un exemple médiatique assez limitant pour les jeunes filles : faisons de nos rêves de six ans une réalité, au risque de ne pas devenir des femmes.
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