Elections en Pologne : comment les femmes ont fait pencher la balance
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il y a 4 heures
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Par Camille Wernaers pour Les Grenades
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L’opposition centriste pro-européenne en Pologne a revendiqué ce lundi 16 octobre la victoire aux élections législatives, cruciales pour l’avenir du pays. Selon les sondages à la sortie des urnes, elle a en effet remporté la majorité parlementaire, battant les populistes nationalistes au pouvoir et l’extrême droite réunis.
Si ces résultats se confirment, ces élections mettraient fin aux huit ans du gouvernement du parti Droit et Justice (PiS) de Jaroslaw Kaczynski. Les trois formations d’opposition, la Coalition civique menée par Donald Tusk (KO), les chrétiens-démocrates de la Troisième voie, ainsi que la Gauche, ont remporté ensemble 248 sièges dans le parlement composé de 460 député·es. Le PiS et la Confédération (extrême droite) réunis n’ont remporté quant à eux que 212 sièges.
Il a été annoncé que le taux de participation à ce scrutin a battu un record : 74,38% des Polonais·es ont voté, un chiffre plus élevé que celui de l’élection législative de 1989 qui a marqué la fin du communisme dans le pays.
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Les femmes ont plus voté que les hommes
Il a cependant moins souvent été mis en avant que le taux de participation des femmes a été bien plus haut que celui des hommes. "On se réveille dans une meilleure Pologne, les femmes qui se sont battues pour le droit de vote il y a 100 ans auraient été fières de nous", a d’ailleurs annoncé le Congrès des Femmes de Basse-Silésie, une citation reprise dans le média Gazeta Wyborcza dans un article titré : "Les manifestations noires ont montré qu’elles en avaient assez que des mecs prennent des décisions à leur place."
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En Pologne, les "manifestations noires" est le nom donné à un mouvement massif des femmes et des féministes polonaises, également appelé Grève des femmes, qui a commencé en 2020 contre la décision du tribunal constitutionnel, sous l’égide du parti populiste nationaliste Droit et justice (PIS), de réduire drastiquement l’accès au droit à l’avortement dans le pays. Les manifestantes critiquent également ce qu’elles considèrent comme d’autres problèmes, dont l’ingérence de l’Eglise dans les affaires du pays. Ces mobilisations se sont également produites durant la campagne électorale.
Depuis 2020, l’avortement est interdit en Pologne, sauf en cas de viol ou de danger pour la mère. Mais même dans ces cas-là, les médecins hésitent à pratiquer des avortements depuis le changement de loi. Certains médecins attendent en effet que le fœtus soit mort avant d’intervenir. Six femmes sont décédées dans ces circonstances.
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Ce taux élevé de participation des femmes est donc dû à une mobilisation massive et historique de la société civile, notamment féministe, qui a poussé les citoyennes à faire entendre leur voix, aussi bien dans les grandes villes que dans les plus petites villes.
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Des femmes connues se sont également exprimées publiquement contre les décisions du PIS et ses promesses électorales, dont Małgorzata Rozenek-Majdan, présentatrice de télévision, ou encore l’actrice Maja Ostaszewska.
Le parti de la droite conservatrice a par exemple promis d’allouer 800 zlotys (178 euros) par mois par enfant d’ici janvier 2024, une somme conséquente pour certaines familles mais aussi une manière d’essayer de faire oublier qu’il est responsable de la restriction de l’avortement dans le pays, enjeu majeur de ce scrutin.
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"Le PiS voulait faire taire le sujet de l’avortement, le réduire à l’hystérie des femmes des grandes villes. Ce discours s’est toutefois effondré, car les cas de femmes décédées dans les hôpitaux ne se sont pas produits à Varsovie et à Wrocław, mais à Pszczyna et à Nowy Targ. C’est ce qui a incité les jeunes filles à voter pour l’opposition", souligne l’activiste non gouvernementale Róża Rzeplińska dans une interview donnée à l’hebdomadaire Tygodnik Powszechny. "Les femmes ont-elles obtenu ce qu’elles voulaient du PiS ? Non. Ce qu’elles ont obtenu, c’est de l’argent et des services publics dégradés. Une école médiocre et un service de santé déplorable pour leurs enfants. […] Dans le même temps, le parti n’a pas réussi à désamorcer les peurs qu’il a lui-même créées. Il a essayé de déplacer la peur vers les viols présumés commis par les migrants. Cette tentative a échoué."
Car les femmes ont voté bien plus à gauche que les hommes. Selon l’hebdomadaire Tygodnik Powszechny, si on se penche uniquement sur le résultat de vote des femmes, le parti d’extrême droite la Confédération ne serait pas du tout entré au parlement, le PiS aurait perdu et la gauche et le KO de Donald Tusk auraient gagné le plus de voix.
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Un nombre record de femmes sur les listes électorales
Autre aspect important de ce scrutin : il y avait 43,8% de femmes sur les listes pour le parlement, ce qui signifie que près d’une liste sur quatre a été attribuée à des femmes pour ce scrutin : il s’agit d’un record dans le pays. "Lors de la précédente législature pour le parlement, 29% des député·es étaient des femmes. Nous ne savons pas encore combien il y en aura dans la prochaine. Cent vingt-cinq femmes se sont présentées pour les première et deuxième places sur les listes des cinq partis qui se sont présentés au parlement", poursuit Róża Rzeplińska dans Tygodnik Powszechny.
Pour Jean-Michel De Waele, politologue à l’Université Libre de Bruxelles, spécialiste de l’Europe centrale et orientale, interrogé par la RTBF, si cette coalition se forme, il s’agira d’un "tournant", notamment sur la question de l’IVG et des droits des personnes LGBTQIA + : "Il y aura évidemment toutes les questions liées à l’avortement. […] Il y aura sans doute débat. Les trois [partis] membres de la coalition au pouvoir ne sont certainement pas exactement sur la même ligne. Tous veulent libéraliser la loi actuelle, mais jusqu’où ? Je pense que ça sera une question de gouvernement. Un autre enjeu sera évidemment celui du droit des LGBT +. [Ielles] cesseront d’être montré·es du doigt et verront sans doute certains droits leur être accordés", explique-t-il.
Autant d’enjeux à garder à l’esprit dans les semaines qui viennent.
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