Pourquoi les féministes devraient-elles s’unir ? Un récap' des différents courants
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19 mai 2023 à 14:01
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Par Chloé Olivier pour Les Grenades
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"Même entre elles, les féministes ne sont pas d’accord." Des affirmations de ce genre, il ne suffit que quelques clics sur les réseaux sociaux pour en trouver à la pelle. Comme tout mouvement d’idées et d’actions, la pensée féministe évolue, se diversifie et se multiplie, jusqu’à former différents courants.
Le 25 avril dernier, à l’occasion de la sortie de son nouvel ouvrage Calmez-vous madame, ça va bien se passer, la docteure en science politique et directrice de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques, Marie-Cécile Naves, revenait avec nos confrères et consœurs de La Première, sur "les réceptions du féminisme" à l’heure actuelle.
À l’occasion de cet entretien, la sociologue et politiste abordait la question du manque d’unité des féministes entre elles : "C’est une bonne nouvelle qu’il y ait des débats et des discussions parfois vives au sein du féminisme. Cela a toujours existé. C’est justement parce qu’il y a une pluralité des approches que ça en fait un mouvement riche. Le débat, c’est la démocratie."
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"C’est une bonne nouvelle qu’il y ait des débats vifs au sein du féminisme"
Les questions féministes sont en effet omniprésentes dans l’espace public et médiatique, et les vifs échanges qu’elles suscitent sont autant de signes de la vivacité des luttes féministes, au pluriel. Pourtant, la mauvaise compréhension de cette pluralité met à mal l’intelligibilité des nombreux débats et renvoie l’image d’une Femme, avec lettre majuscule, que toute singularité aurait quittée – niant de facto que chacun·e dispose d’un vécu propre, et peut souffrir de discriminations spécifiques.
Afin de mieux comprendre les différents positionnements féministes, cet article vous propose un tour d’horizon de ses principaux courants. Ce texte se veut non exhaustif, tant les féminismes se sont développés, comme les racines d’un très grand arbre qu’un tronc commun maintient ensemble.
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Le féminisme libéral ou égalitaire : l’égalité des sexes
"Quand on est féministe, il faut assumer comme un homme, être responsable comme un homme." Ces propos ont été confiés à La Libre par la députée fédérale Sophie Rohonyi (Défi), à l’occasion de la démission de Sarah Schlitz (Écolo) de son poste de Secrétaire d’État à l’Égalité des Genres, l’Égalité des Chances et à la Diversité. Ces paroles sont l’essence-même de ce que défend le féminisme libéral aujourd’hui. Aussi appelé "féminisme égalitaire", il trouve son fondement dans une volonté profonde d’égalité entre hommes et femmes.
Écrit en 1791, le manifeste Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges contient des passages faisant grandement écho aux mots prononcés par Sophie Rohonyi. "La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune", avançait cette révolutionnaire et femmes de lettres, deux ans avant d’effectivement finir sur l’échafaud…
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Ce que les féministes égalitaires revendiquent, c’est l’application d’une pensée libérale, exigeant une liberté de l’individu, à la lutte féministe. Elles se mobilisent pour l’obtention de droits politiques et civils égaux, comme le droit de voter, d’exercer une profession rémunérée ou encore d’être élue. Mais les féministes égalitaires réclament également un salaire identique à celui des hommes, un accès à l’instruction similaire et une responsabilité partagée équitablement dans le mariage.
S’il a autrefois coûté la vie à Olympe de Gouges, il est aujourd’hui le féminisme communément accepté dans la sphère publique. Et pour cause : il est le seul, à l’heure actuelle, à ne pas considérer qu’il faille abolir le système dans lequel nous nous trouvons, mais qu’il est tout à fait possible de le réformer de l’intérieur afin de le voir évoluer.
Le féminisme différentialiste ou essentialiste : "Égales mais différentes"
Par opposition à ce courant féministe teinté de libéralisme se trouve le féminisme différentialiste ou essentialiste. Pour les essentialistes, pas question d’avancer que la femme serait l’égale de l’homme en tout point. Bien au contraire ! Les femmes et leurs réalités biologiques sont mises en avant et considérées en tant que telles, comme des atouts et non des poids qui empêcheraient l’égalité.
Les essentialistes appellent à une prise de conscience des femmes de ce qui les constitue, de leurs qualités. Leur capacité à porter la vie et à devenir mères tient une position centrale dans ce raisonnement. Le féminisme différentialiste met donc un point d’orgue à responsabiliser les femmes quant à ce pouvoir qu’elles détiennent en elles, et qu’elles ne devraient pas laisser aux mains des hommes.
Antoinette Fouque, femme de lettres française, co-fondatrice du Mouvement de Libération de la Femme et essentialiste de la première heure, précisait d’ailleurs dans le troisième tome de son ouvrage Féminologie : "Nous n’étions pas un mouvement contre les hommes, mais un mouvement pour les femmes. En revanche, nous étions contre la misogynie qui existe chez des hommes ou chez des femmes." La motivation principale de ce courant est donc de proposer une alternative à une hégémonie masculine à échelle sociétale.
Le féminisme radical, fer de lance contre le patriarcat
Cette société, justement, ou plutôt son fonctionnement global, sont ce qui pose problème aux féministes dites "radicales". La société dans son état actuel serait dysfonctionnelle ; il faudrait donc totalement la repenser pour que chacun·e puisse s’y retrouver.
Le féminisme radical identifie une source commune à ce dysfonctionnement : le patriarcat. Ce dernier, constitué par et pour les hommes – blancs, cisgenres et hétérosexuels – serait le responsable de toutes les oppressions systémiques perpétrées envers les femmes et minorités (de genre, ethniques, religieuses, culturelles, …). Autre constat : ce patriarcat est violent. Pour asseoir sa domination et sa mainmise sur la société, il utilise les violences, qu’elles soient physiques ou psychiques, pour détruire et silencier toute personne souhaitant se dresser contre lui.
Ce courant se marque par un rejet des conventions sociales traditionnellement attribuées aux femmes, jugées comme profondément sexistes. En ce point, le féminisme radical s’oppose totalement au féminisme essentialiste.
Au-delà du radicalisme, la croisée des luttes
Une diversité de mouvements aux objectifs tout aussi divers s’est créée sur base des mêmes postulats que pour le féminisme radical : le féminisme queer, l’afro-féminisme, le féminisme islamique, le féminisme socialiste ou marxiste, … Tant de mouvements associant l’émancipation des femmes et des minorités à d’autres luttes, comme la décolonisation ou l’établissement d’une société plurielle et hétéroclite où tout culte, toute culture, toute identité ou expression de genre aurait sa place.
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Le féminisme intersectionnel s’inscrit également dans cette lignée. Il s’agit d’un féminisme qui se veut conscient de la nature plurielle du joug patriarcal, et qui se place à la convergence de toutes les luttes.
Les féministes intersectionnel·les sont donc convaicu·es que toutes les femmes sont opprimées par le système, mais que certaines femmes se trouvent à l’intersection de différentes discriminations. Une femme racisée porteuse d’un handicap subira par exemple une discrimination spécifique, à la croisée du sexisme, du racisme et du validisme.
Certaines personnes auraient donc un paquetage bien plus lourd que d’autres et ce, dès leur naissance. Pour les féministes intersectionnel·les, l’enjeu est d’englober dans les luttes toutes ces personnes victimes de l’oppression patriarcale, constituant une véritable diversité sociale et sociétale.
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L’écoféministe suit également la tendance, et a par ailleurs fait parler de lui récemment à travers la figure de Mathilde Caillard, assistante parlementaire à l’Assemblée Nationale française.
Comme son nom l’indique, il met en lien la destruction de nos écosystèmes et les oppressions des femmes et personnes minorisées. Pour les écoféministes, la domination du patriarcat sur les individus et sur l’environnement devrait être abrogée conjointement.
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Quels féminismes aujourd’hui ?
À ce jour, il est parfois compliqué de comprendre les réels enjeux de débats en place publique autour des questions féministes, tant les courants et les voix se sont multipliés et diversifiés.
Au-delà de la sphère politique, le débat continue également à faire rage. Sur les réseaux sociaux, notamment, avec de nombreuses prises de position du grand public face aux nombreux débats médiatisés. Auprès des jeunes, sur le réseau social TikTok par exemple, des voix aussi diverses que nombreuses montent et se font entendre.
Ainsi, des influenceur·euses prennent aujourd’hui la parole pour défendre la liberté à disposer de son corps et à exercer le métier de travailleur·euse du sexe. D’autres internautes, en revanche, prônent un retour à des "valeurs traditionnelles et familiales" positives, à travers des vidéos où les femmes se retrouvent souvent dans la sphère domestique, accomplissant des travaux ménagers ; il s’agit du phénomène des Trad Wives, ou "épouses traditionnelles", qui s’amplifie depuis quelques mois sur le réseau social chinois.
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Vous l’aurez donc compris : la diversité et la pluralité sont les maîtres-mots lorsqu’il s’agit de parler féminismes. La pensée féministe en tant que mouvement kaléidoscopique est par ailleurs ce qu’explore Elsa Dorlin dans son essai Sexe, genre et sexualités.
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Pourtant, au-delà des divergences, l’unité féministe se veut concrète, réelle et veille à faire bouger les lignes, jour après jour. "Les sensibilités féministes sont différentes, mais le travail est commun", expliquait l’auteure, slameuse et formatrice Lisette Lombé au micro de La Première, en mars 2018.
Des méthodes d’action variées, donc, mais un objectif similaire : celui de rendre notre société plus inclusive et égalitaire, pour toutes et pour tous.
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Cet article a été écrit lors d’un stage au sein de la rédaction des Grenades.
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