"Drogue-moi à la tendresse", les slogans du festival Les Ardentes passent mal pour certains collectifs liégeois
08 juil. 2022 à 10:15 - mise à jour 09 juil. 2022 à 10:00
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Par Camille Wernaers pour Les Grenades
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Ce jeudi 7 juillet a marqué le coup d’envoi du festival liégeois Les Ardentes 2022. Une quinzième édition un peu spéciale puisqu’elle prend place, après deux années d’annulation pour cause de pandémie, sur le nouveau site de Rocourt où quelque 200.000 personnes sont attendues ces prochains jours.
Cette édition a également lieu après l’émergence du mouvement Balance ton bar en Belgique qui a visibilisé les violences sexistes et sexuelles qui se produisent dans le milieu festif, notamment la soumission chimique (c’est-à-dire l’administration de certaines drogues à l’insu de la victime pour l’agresser) et les piqûres en soirée.
Les responsables du festival ont d’ailleurs annoncé faire du consentement leur "priorité " cette année et ont créé le plan Synka, qui signifie "consentement" en grec.
Concrètement, il s’agit d’une série de toutes nouvelles actions et mesures de prévention. Des permanences sont organisées au sein des deux Safety Zones qui se situent sur le site du festival et au camping, afin d’écouter et d’accompagner toutes les personnes qui le désirent autour des questions d’agression, de harcèlement et de consentement. Des psychologues et infirmières du Centre de Prise en charge des Violences Sexuelles (CPVS) seront présentes. Le festival met en place un numéro d’appel d’urgence joignable 24h/24 par toutes les personnes qui participent au festival (0800 20 301). Des dispositifs de prévention tels que des protections de verres anti-drogue, réutilisables après le festival, seront distribués.
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"Romantiser les violences sexuelles"
Cette campagne d’envergure a été fortement saluée, y compris sur les réseaux sociaux. Cependant, plusieurs collectifs féministes liégeois, dont le collectif "Et ta sœur ?" expriment leur mécontentement. "Même si un certain nombre de choses mises en place sont intéressantes, nous avons été alertées par les slogans de cette campagne qui ont été postés sur les réseaux", explique aux Grenades l’une des membres de ce collectif, engagé en faveur des droits des femmes et des minorités de genre.
Elle fait référence aux phrases "Drogue-moi à la tendresse", "Pique-moi le cœur, pas le corps" et "Pas d’accord, pas de corps-à-corps" qui ponctuent les flyers de la campagne et les t-shirts des bénévoles évoluant sur le site du festival. "Pour nous, ces slogans décrivent les violences sexuelles d’une manière romantisée", souligne-t-elle.
Autre problème selon le collectif, la campagne s’adresse essentiellement aux victimes. "On ne parle jamais des auteurs. Cependant, on dit aux victimes de faire attention à leur verre. Si elles sont agressées, on va leur dire qu’elles devaient faire plus attention ?", questionne-t-elle. "Dans une telle campagne, on s’attendrait plutôt à voir des slogans clairs, comme ‘Ne violez pas.’ "
C’est à nouveau mettre la responsabilité sur les victimes, c’est flippant. On dirait qu’elles se font violer par l’air ! Rien n’est dit sur les agresseurs
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"Ce n’est pas comme cela que nous allons régler ce problème"
Même son de cloche du côté du collectif "À nous la nuit", formé à la suite du mouvement Balance ton bar et qui est actif à Liège contre le harcèlement, les agressions chimiques, sexistes et sexuelles en milieu festif. "Il n’y a pas de raison que les violences s’arrêtent à la porte des lieux de fête, réagit Eléonore Goffin, membre fondatrice du collectif qui travaille également au sein de la salle de concert KulturA. Le collectif "À nous la nuit" a été présent dans plusieurs soirées ces dernières semaines pour y mener des actions de sensibilisation.
Dans une telle campagne, on s’attendrait plutôt à voir des slogans clairs, comme ‘Ne violez pas.’
Éléonore Goffin utilise l’adjectif "honteux" pour qualifier le plan Synka. "Nous, on travaille toutes bénévolement sur cette question dans nos collectifs, sans aucun moyen, alors qu’on se doute que de l’argent a été investi pour créer cette campagne, il y a de quoi être dégoûtées… Ce sont principalement des mesures tape-à-l’œil. Je pense à la présence accrue de policiers qui est annoncée, ce qui est l’inverse que ce nous proposons. Ce n’est pas comme cela que nous allons régler ce problème. Cela ne nous intéresse pas d’être dans la seule répression, il faut s’intéresser à l’aspect systémique de ces violences, se former sur ce sujet, etc. La campagne ne parle même pas vraiment de consentement."
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Il en est de même selon elle pour les capuchons à poser sur son verre pour éviter d’être drogué·es. "C’est une mauvaise idée. Si une victime oublie de le mettre, elle va être culpabilisée, nous ne faisons pas la promotion non plus de ces dispositifs-là. Par ailleurs, à la fin de l’interview de présentation du plan Synka, il est dit que le plus grand facteur d’agression en soirée, c’est l’isolement, donc que les personnes ne doivent pas rester seules. Cela se base sur quels chiffres ? C’est à nouveau mettre la responsabilité sur les victimes, c’est flippant. On dirait qu’elles se font violer par l’air ! Rien n’est dit sur les agresseurs", poursuit Éléonore Goffin.
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"Nous avons choisi l’humour"
Contactée, Justine Marchi, chargée de communication pour le festival, se dit "étonnée" car les deux collectifs féministes ont été contactés par Les Ardentes en vue du projet Synka. Aussi bien "À nous la nuit" que le collectif "Et sœur ?" nous le confirment mais soulignent avoir été contactés "une seule fois et puis plus rien".
"C’est vrai, répond Justine Marchi. Parce qu’à un moment, nous ne sommes rendu compte que nous ne pourrons pas contenter tout le monde. Et les revendications de ces collectifs s’éloignaient de notre objectif de sensibilisation, étant donné leur engagement féministe. C’est pour cela que nous nous sommes associés au Conseil de la nuit de la Ville de Liège qui regroupe toutes ces associations et s’en fait le porte-parole ". Les deux collectifs se démarquent de cette affirmation. "Non, le Conseil de la nuit n’est pas assez spécialisé sur cette question", reprend Éléonore Goffin. Un festival comme Les Ardentes, même si les gens ne sont pas là pour refaire le monde, est super important pour déconstruire certaines choses et faire réfléchir les gens et les jeunes, aussi avec une lecture féministe. C’est le moment pour faire circuler des informations importantes. C’est triste que cela ne soit pas le cas cette année."
Nous avons voulu mettre le doigt sur ce sujet mais avec une touche légère
Concernant les slogans au cœur de la polémique, "ils ont été élaborés en collaboration avec la Ville de Liège, la police et le CPVS. Nous avons estimé que nos jeunes ne sont pas dupes, ils savent très bien de quoi nous parlons. D’ailleurs, quand nous avons lancé la campagne, nous avons été énormément contactés par des parents mais aussi par les jeunes eux-mêmes qui sont en demande sur ce sujet et très inquiets. Nous avons donc choisi l’humour pour ces slogans, pour ne pas participer à l’hystérie ambiante. Nous avons voulu mettre le doigt sur ce sujet mais avec une touche légère", explique Justine Marchi.
Selon la chargée de communication, la campagne s’adresse directement aux agresseurs : "Quand on dit ‘pique mon cœur et pas mon corps’, cela s’adresse à eux. Il est vrai qu’une partie de la campagne s’adresse aux victimes, pour les recevoir et les écouter, mais nous, avec les bénévoles, l’équipe de gardiennage et les responsables des bars, avons également été formés par le CVPS le 27 juin pour nous aider à repérer les agresseurs et à intervenir, sans les gronder, en trouvant les bons mots pour que l’agression s’arrête et sans nous mettre en danger. Il y a aura aussi cette attention sur le site du festival. Nous y avons travaillé en amont."
Justine Marchi estime que la campagne Synka est perfectible et que des améliorations pourraient avoir lieu pour les prochaines éditions du festival.
14% de femmes programmées
Il y a ce qui se passe dans les coulisses, mais aussi sur la scène. Cette année, l’édition des Ardentes a donné lieu à plusieurs polémiques, notamment sur la question de la faible présence des femmes artistes dans la programmation.
Les deux collectifs féministes liégeois indiquent que selon le tout récent rapport de Scivias, qui lutte pour plus d’égalité sur la scène musicale en Fédération Wallonie-Bruxelles, Les Ardentes compte seulement 14% de femmes programmées.
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Une "tendance" qui ne trouve pas uniquement aux Ardentes : en 2022, dans les 13 festivals analysés par Scivias, et qui comptabilisent pas moins de 1.255 artistes, 982 sont des hommes (78%), sont des femmes (21%) et 5 sont des personnes non-binaires (moins de 0,5%).
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Les Ardentes / La stratégie payante du rap
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